migrationLors d’un débat avec les entreprises algériennes, organisé le 20 octobre dernier, le chef de la diplomatie algérienne, M. Abdelkader Messahel, a accusé les banques marocaines « de se livrer au blanchissement en Afrique de l’argent de la drogue et que la compagnie publique marocaine de transport aérien, la Royal Air Maroc (RAM) ne transportait pas que des personnes » .

Évidemment, ce dérapage à la fois inadmissible et irresponsable du ministre algérien des Affaires étrangères, n’a pas pu passer inaperçu et a provoqué un tollé au Maroc e. En guise de réaction, le ministère marocain des affaires et de la coopération a convoqué, d’urgence, le Chargé d’affaires de l’ambassade algérienne, pour lui signifier le caractère très grave et « puéril » d’une telle sortie. L’ambassadeur du Maroc à Alger a été rappelé pour consultation. Il faut signaler que le recours à ces démarches en diplomatie n’est pas un fait anodin et normal. Au contraire, les Etats liés par des relations diplomatiques ne sont obligés de recourir à ces démarches que lorsqu’ils estiment que leurs relations normales sont menacées par des agissements inamicaux et des attitudes graves et à hauts risques émanant d’un pays tiers.

Au lieu de chercher des sorties médiatiques pour apaiser les esprits et amortir le choc provoqué par la déclaration de M.Abdelkader Messahel, le premier Ministre algérien , M. Ahmed Ouyahia est monté au créneau pour jeter de l’huile sur le feu et s’offrir le luxe d’encenser les propos de M. Messahel. Lors d’un entretien accordé à une radio algérienne, le premier ministre algérien qui est aussi le chef du parti « Rassemblement National Démocratique » , la deuxième formation politique en Algérie, s’est déclaré « derrière son gouvernement à 100% » ajoutant que « si nos voisins s’en émeuvent tant mieux pour eux, ou tant pis pour eux ». Une façon claire et nette pour exprimer son adhésion et son ferme soutien aux propos, fort controversés, tenus auparavant par le ministre des Affaires étrangères.

Quelques jours après la déclaration de M. Messahel, que le Maroc a fustigée, l’Algérie a été vivement critiquée et épinglée par Amnesty International (AI) et Human Rights Watch (HRW), deux des plus importantes ONGs internationales opérant dans le domaine de la promotion et de la protection des droits de l’Homme à l’échelle planétaire. Dans des déclarations très récentes, ces deux ONGs ont vigoureusement dénoncé « le recours des autorités algériennes (la police et la gendarmerie) à des arrestations arbitraires, au profilage ethnique et aux expulsions massives par vagues successives des migrants Africains subsahariens vers le Niger et le Mali », sans leur accorder la possibilité d’exercer le droit de contester cette mesure.

Plus grave encore, ces deux ONGs ont pu remarquer que parmi les milliers de migrants d’origine subsaharienne expulsés d’Algérie figuraient des femmes enceintes, des familles avec de nouveaux nés , des mineurs et des mineurs non accompagnés, c’est-à-dire des personnes représentant toutes « les catégories vulnérables »que le Droit international essaie de mieux protéger.

Par ailleurs, dans sa déclaration, HRW estime et, à juste titre d’ailleurs, « que l’autorité dont dispose un État pour contrôler ses frontières n’est pas un blanc-seing pour traiter des personnes « comme des criminels ou leur refuser le droit de séjour au motif de leur ethnicité ».

En effet, la souveraineté des États et les prérogatives dont ils jouissent leur accordent le plein droit de prendre toutes les mesures appropriées qu’ils jugent nécessaires pour un contrôle rigoureux de leurs frontières. Les États ont aussi la liberté de prendre les mesures requises pour que leurs ressortissants puissent vivre en paix et gouter aux bienfaits de la sécurité, de la quiétude, de la paix et de la prospérité économique…

Mais, les États doivent aussi agir pour la protection, mais aussi pour la promotion des droits de l’Homme à l’intérieur de leur territoire et dans le monde. Les États ont aussi le devoir de respecter leurs engagements internationaux. Le taux de crédibilité d’un État et son image de marque dépendent en grande partie du respect de ses engagements vis-à-vis de la communauté internationale.

Malheureusement, en agissant de cette manière qui laisse à désirer, l’Algérie a commis une erreur qu’il fallait éviter. Ce faisant, l’Algérie a opté pour « une mauvaise piste » « qui l’a conduite à une violation flagrante de plusieurs conventions internationales régissant le domaine des droits de l’Homme dont notamment la convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et les membres de leur famille. Entrée en vigueur, le 1er juillet 2003, cette convention a été ratifiée par l’Algérie, le 21 avril 2005.

Les mesures prises par l’Algérie peuvent être aussi se ranger parmi des violations graves de deux autres conventions internationales à savoir la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale et la convention internationale contre la torture et d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Outre ces conventions internationales, les mesures prises par l’Algérie violent d’une façon claire les dispositions de la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples de l’Union Africaine (charte de Banjul) qui interdit aux États de procéder à des expulsions collectives d’étrangers. Une charte ratifiée par l’Algérie.

Avant de clore ce dossier, il ne serait pas sans utilité de signaler que le directeur de Cabinet du Président de la République algérienne avait déclaré, il y a quelques mois, « que les migrants dans le pays amenaient le crime et les trafics illégaux, y compris de drogue ».

Ainsi et comme par le passé, au lieu de s’interroger sur les mauvais choix stratégiques et les multiples erreurs commises , probablement d’une façon involontaire, et qui ont conduit à l’échec désastreux de la Stratégie Algérienne du Développement ( SAD) formulée et mise en œuvre quelques années après l’indépendance ; les autorités algériennes, ont préféré créer des polémiques pour déplacer le débat et occulter les causes réelles qui ont empêché l’Algérie de réaliser ses ambitions et son décollage économique .

La SAD qui accordait un rôle central et déterminant au secteur étatique était basée sur un modèle théorique visant le développement d’un mode de production interne axé sur l’industrie lourde. Fortement articulée sur les industries dites lourdes, la SAD a conduit les autorités politiques algériennes à commettre une erreur, qui s’est avérée lourde de conséquences, en opérant la                soustraction du système des prix et par conséquent les revenus et les profits aux lois du marché. A ce sujet, il faut rappeler que les bases du système capitaliste basé sur le libre jeu des lois du marché ont été lancées en Algérie vers 1880, c’est-à-dire un demi-siècle après sa colonisation par la France.

Sur le plan théorique, il sied de rappeler aussi que la SAD a été formulée en partant du concept « d’industries industrialisantes » forgé par l’économiste français Gérard Destanne de Bernis et du concept des pôles de croissance ou « diffuseurs de développement », développé par un autre économiste français, François Perroux, à partir du schéma de la reproduction élargie de Karl Marx. La SAD qui visait l’industrialisation totale du pays, en moins de deux décennies, a été lancée en 1976, suite à l’accord donné par les autorités politiques algériennes concernant le choix des « industries motrices », qui devaient constituer l’épine dorsale de la SAD.

 Quelques années seulement après le lancement de la SAD, le rêve algérien commençait à s’évaporer à cause des résultats décevants obtenus, notamment au début de la décennie 80 du vingtième siècle. Les autorités algériennes se sont rendues compte que la matrice des échanges inter-industriels n’a pas été suffisamment noircie. Concrètement, cela veut dire que les secteurs industriels n’étaient pas fortement liés ni par les inputs ni par les outputs ( achat et vente). Autrement dit, les industries motrices n’ont pas eu l’effet d’entrainement souhaité ni en amont ni en aval. Le résultat était largement en deçà du souhaitable : L’Algérie a pu se doter de certaines industries sans pourvoir amorcer un vrai processus d’industrialisation. Évidemment, les coûts et les manques à gagner étaient énormes pour l’économie algérienne.

L’Algérie, et il faut le reconnaitre, a beaucoup investi dans le développement économique. Mais les résultats obtenus étaient très décevants et se situaient en deçà des objectifs ciblés. Selon une étude publiée en 2012 par la revue algérienne « Insaniyat », entre 1970 et 2011, l’Algérie a investi 665,78 milliards de Dollars alors que la Tunisie n’a investi que 166,85 milliards et le Maroc 351,39 milliards.

Au cours de la période précitée, l’Algérie a donc investi presque 4 fois le montant investi par la Tunisie et 90% de plus que le Maroc. Malgré cet énorme écart quantitatif au profit de l’Algérie, le Maroc et la Tunisie ont pu réaliser des taux de croissance économique nettement meilleurs que celui enregistré par l’Algérie, durant cette période qui s’étend sur 41 années.

Par conséquent, les autorités algériennes devaient décortiquer la SAD pour connaitre les vraies raisons qui ont conduit à « un effort d’investissement énorme » que permettaient les recettes substantielles de la rente énergétique, pour des résultats presque insignifiants sur le processus d’industrialisation de l’Algérie. Les autorités algériennes devaient ouvrir un débat public sur le sort qui a été réservé à la plus value dégagée à l’époque. En d’autres termes, il fallait s’interroger sur la proportion de la plus value qui aurait été affectée à l’accumulation du capital, puisque les responsables algériens de la période post coloniale raisonnaient dans le cadre de la pensée marxiste. Le peuple algérien a le droit de connaitre les causes qui ont conduit à l’échec, même relatif, du modèle économique adopté par les responsables algériens au cours des décennies 60 et 70 du siècle dernier. Cet échec relatif, puisque l’Algérie a réalisé des avancées et des progrès non négligeables dans le domaine industriel, est-il dû aux choix idéologiques opérés ou à une mauvaise gestion et des dysfonctionnements qu’ils convient d’élucider et prendre les décisions qu’il faut pour rectifier le tir.          Les autorités algériennes devraient aussi s’interroger sur les causes de l’échec de la révolution agraire, entamée en 1971, et qui a eu des effets et des résultats pervers et sans rapport avec les      objectifs escomptés.

 Pourquoi et pour quelles raisons objectives et subjectives, la réforme engagée dans le secteur agricole n’a pas pu bouleverser les structures agraires et débarrasser l’agriculture de ses goulots d’étranglement et ce, en dépit des énormes efforts entrepris à cet effet ??? Une question que les autorités algériennes doivent se poser pour trouver les véritables clés de développement. Pointer du doigt un pays voisin ou des migrants en situation de faiblesse et de précarité est une action contreproductive qui ne servira à rien. L’Algérie est dotée de tous les facteurs et les atouts qui peuvent lui permettre d’amorcer un vrai décollage économique. Il suffit d’y croire et de se débarrasser « de certaines mauvaises habitudes » qui consistent à responsabiliser autrui, et à incriminer des facteurs exogènes, chaque fois que le pays traverse une conjoncture difficile sur le plan économique ou social. L’Algérie a tous les moyens pour réussir, à condition que les responsables algériens se donnent volontairement le devoir de concentrer leurs efforts sur l’essentiel, c’est à dire le développement économique autodynamique et autocentré. Le Maroc, le Maghreb et l’Afrique ont besoin d’une Algérie forte économiquement, qui œuvre pour que nos frères Algériens puissent vivre dans la prospérité matérielle, et jouir d’une paix et d’une sécurité durables.

A. Saber pour Maghreb Canada Express

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