En ce jour historique du vendredi 22 février 2019, les Algériennes et les Algériens ont rompu avec le silence imposé et la peur propagée, pour dire non au 5e mandat que la coalition au pouvoir impose au profit du Président Abdelaziz Bouteflika, âgé aujourd’hui de 81 ans.

Toutes et tous sont descendus spontanément dans la rue, pour refuser que l’Algérie sombre sous un système qui règne depuis deux décennies par la corruption et la terreur.

Cette première marche du vendredi 22 février revêt une importance capitale pour l’avenir du mouvement. Elle a réussi à rompre avec le silence imposé et la peur propagée. Elle a échappé aux manœuvres partisanes et put avoir lieu grâce aux appels diffusés et partagés entre les citoyennes et les citoyens à travers les médias sociaux. Elle a réussi le pari de se faire dans le calme, l’amour, la paix, la sérénité, dans la solidarité et dans la propreté. Cette première a lancé un message d’espoir à toutes et à tous. Elle a démenti les craintes de violence et d’affrontement que le système a propagé pour dissuader les gens de ne pas marcher. Elle a démenti le mythe que la contestation est synonyme de violence. Elle a mis en échec les mythes du système, installé sur fond de corruption et de peur. Elle a mis à nu la machine partisane de l’opposition, qui depuis longtemps s’est rangée du côté de la corruption et a démontré sa faillite et son incapacité d’améliorer les choses. Cette première a redonné espoir à toutes les Algériennes et à tous les Algériens. Elle a uni toues les Algériennes et les Algériens. Elle s’est déroulée à travers toutes les régions du pays et reçut l’appui de toute la diaspora algérienne à l’étranger. C’est dans ce sens que cette journée prenne toute sa valeur et sa place dans l’histoire.

Le mouvement amorcé n’est qu’à son début, il est et sera suivi d’autres rendez-vous, dont les marches du dimanche 24 février 2019, qu’eurent lieu en Algérie et dans les grandes capitales du monde, Paris, Londres, Genève, Montréal, etc., en attendant les suivantes.

Il faut bien le souligner, les Algériennes et les Algériens ne refusent pas seulement le 5e mandat, mais exigent une rupture totale, réelle et profonde avec un système en faillite qui règne depuis longtemps  par la corruption et la terreur.

Pour rappel, M. Abdelaziz Bouteflika est le 7e président de la République Algérienne. Il a été élu en 1999 pour un premier mandat de 5 ans. Il fut réélu une deuxième fois en 2004, et une troisième fois en 2009. Pour réclamer un quatrième mandat controversé à l’époque, il eut recours à l’amendement de la constitution. En 2013 un accident vasculaire cérébral vint affecter sa santé et réduire progressivement sa capacité de gouverner, au point de cesser d’apparaître en public. C’est surtout une coalition au pouvoir composée des partis du Front de libération nationale (FLN), du Rassemblement national démocratique (RND), le Rassemblement de l’espoir de l’Algérie (TAJ) et le Mouvement populaire algérien (MPA), qui veulent forcer le destin, et imposer le maintien au pouvoir du président Bouteflika, dont l’incapacité physique n’est plus un secret pour quiconque. La même coalition l’impose comme candidat aux élections présidentielles prévues le 18 avril 2019, pour briguer un 5e mandat.

Le changement ou le processus compromis

Quelques étapes-repères

1962-1980 : mutation de l’ère coloniale à l’indépendance au rythme d’une succession de révolutions subies, imposées de force et gouvernées au dogme. La société fut mise sous tutelle du parti unique, gouvernée par la contrainte du dogme, de l’idéologie du parti et de la vérité absolue qu’incarnait à l’époque la révolution socialiste dans ses trois versions : industrielle, agraire et culturelle. Elle allait non seulement être gouvernée par la contrainte du dogme, mais également subir à l’école une éducation de nature dogmatique, la mobilisant à s’aligner face à face, sur les fronts des courants idéologiques de l’époque.

1980-1990 : constats d’échec et tentatives de réformes politiques et économiques.

1990-2000 : réformes avortées par récupération, face à la force de résistance des rentiers du pouvoir, d’une part et de l’extrémisme conservateur religieux, d’autre part. La décennie noire de violence et terreur terroriste devient le contexte favorable au transfert d’une économie publique autrefois centralisée, vers des mains privées, engendrant la formation d’une oligarchie qui allait faire son entrée dans l’échiquier politique.

2000-2018 : c’est l’ère du retour au calme, de l’ouverture après l’isolement, du faste et de la récupération du manque à gagner, l’ère de la corruption et du profit généralisé rendu possible grâce à la flambée des prix de pétrole et du gonflement du fruit de la rente. C’est l’ère où l’oligarchie arrive en force. C’est l’ère où tous allaient goûter à la tentation du faste. C’est l’ère de l’économie libérale et d’une démocratie compromise par la corruption, et compromise par une éducation au dogme qui de plus en plus vidait la société de sa capacité de penser et débattre, et facilitait par là même, sa diversion.

La résistance au changement se fait de plus en plus forte. Il est peu facile pour tous de quitter cette ambiance de profit facile et de rente, où tous, je dis bien tous trouvent leurs comptes. La gouvernance à la carotte semble bien faire son effet durant cette ère.

Entre temps, la classe moyenne, espoir d’un renouveau et levier du progrès de l’État et de la société, semble s’effacer peu à peu, cédant le pas à davantage d’écart entre une classe à la base et une classe hautement aisée.  Et, la partie ignorée demeure cependant : la jeunesse.

La jeunesse, la partie ignorée et la force cachée

Le total de la population algérienne au 1er janvier 2018, selon l’ONS est de 42,2 millions, dont 54% ont moins de 30 ans, avec une espérance de vie variable entre 77 pour les hommes et 78 ans pour les femmes.

Les jeunes n’adhérent pas aux partis politiques. Ils ne sont que 1,7% d’adhérents, selon un sondage d’opinion sur la jeunesse et la politique organisé en 2012 par l’association RAJ, Rassemblement Action Jeunesse. En 2012, et toujours selon le même sondage, ils sont presque 39% seulement à déclarer avoir voté aux législatives de 2012. Ils sont 72% à se déclarer insatisfaits du parlement sortant en 2012, et ils sont 39% à déclarer ne rien attendre du futur. Ils sont plus de 58% à penser que l’action des partis est négative, et 36% à ne pas trouver de positif dans l’action des syndicats.

La manifestation du renouveau a révélé la force cachée de l’Algérie: sa jeunesse. Ils sont plus de 54% de la population algérienne âgés de moins de 30 ans, déçus et laissés à leur sort. Ils vivent la colère de l’exclusion et le cauchemar de l’incertain, et n’ont de choix, que de camper sur l’amertume de l’échec, ou se jeter en mer. Ils rejettent la machine partisane et politicienne, qui les trahit. Ils répondent aujourd’hui à une opportunité, pour briser le silence, et pour annoncer l’ère des jeunes. Ils n’ont rien à perdre, mais tout à gagner.

Les défis du parcours

Le chemin est long et nécessite beaucoup de patience, et surtout de vigilance pour déjouer les manœuvres attendues de diversion, de division et de récupération.

La suite du processus exige aussi beaucoup decompétence organisationnelle et du leadership, pour passer de la contestation à la fondation d’une République dont rêve toutes les Algériennes et tous les Algériens, où règnent : droit, liberté, sécurité, démocratie, justice, justesse et équité, et où le progrès fleurit.

Par Dr Brahim Benyoucef (Le 25 février 2019).

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