« Il a fallu cent ans pour effacer les discriminations les plus criantes entre les hommes et les femmes, mais qu’attend-on pour abréger  celles  qui restent ? ».. Benoîte Groult.

L’origine de la journée internationale des femmes (selon l’appellation officielle de l’ONU), également appelée la journée internationale des droits des femmes fait l’objet de plusieurs mythes et réalités, dans cet article, j’essayerai de vous faire voyager dans l’histoire des origines de la journée du 8 mars.

Les origines reposent en réalité sur un mythe. Françoise Picq, militante féministe, historienne, sociologue et maîtresse de conférences en sciences politiques à l’université Paris-Dauphine, l’a « démasqué » dès la fin des années 1970 : « À l’époque, toute la presse militante, comme celle des “groupes femmes” du Mouvement de libération des femmes, relayée par les quotidiens nationaux et internationaux, écrivaient que la Journée des femmes commémorait le 8 mars 1857, jour de manifestation des couturières à New York. » Or cet événement n’a jamais eu lieu ! « Les journaux américains de 1857, par exemple, n’en ont jamais fait mention », indique Françoise Picq. Et il n’est même pas évoqué par celles qui ont pris l’initiative de la Journée internationale des femmes : les dirigeantes du mouvement féminin socialiste international.

Ce mythe continue tout de même de circuler dans l’histoire des mouvements des femmes.

Les couturières new-yorkaises, un mythe né en 1955.

Mais alors comment est né le mythe des couturières new-yorkaises ? « C’est en 1955, dans le journal français L’Humanité, que la manifestation du 8 mars 1857 est citée pour la première fois », explique Françoise Picq. Et l’origine légendaire, relayée chaque année dans la presse, prend le pas sur la réalité. Pourquoi détacher le 8 Mars de son histoire soviétique ? « Selon l’une de mes hypothèses, poursuit-elle, Madeleine Colin, qui dirigeait alors la CGT (la confédération générale du travail – France), voulait l’affranchir de la prédominance de l’UFF (union des femmes françaises, actuellement femmes solidaires) et du parti communiste français pour qu’elle suive ses propres mots d’ordre lors du 8 Mars. La célébration communiste de la Journée des femmes était devenue trop traditionnelle et réactionnaire à son goût… ». Et c’est pourquoi, en se référant aux ouvrières américaines, elle la présente sous un nouveau jour : celui de la lutte des femmes travailleuses…

Les ouvrières ont lutté pour l’acceptation de leurs revendications dans le mouvement ouvrier.

Clara Zetkin était une militante et une figure importante dans le parti socialiste allemand, une socialiste convaincue et une championne des droits des femmes, mais aussi une opposante déterminée au féminisme bourgeois. Lors de la réunion où a été décidée la mise sur pied de la Deuxième Internationale (1889), elle avait déjà argumenté que le socialisme ne pouvait pas exister sans les femmes, que les hommes devaient lutter ensemble avec les femmes pour les droits des femmes, que cette lutte faisait partie aussi de la lutte des classes. La réponse peu encourageante qu’elle avait reçue l’avait conduite à prendre l’initiative d’un mouvement socialiste des femmes, ayant pour but d’influencer les partis socialistes. Elle avait essayé d’acquérir et d’élargir cette influence avec le journal femme socialiste Die Gleichheit (L’Égalité), dont elle était rédactrice en chef.

Car c’est un fait, c’est en août 1910, à la IIe conférence internationale des femmes socialistes, à Copenhague, à l’initiative de Clara Zetkin, qu’a été prise la décision de la célébrer. La date du 8 mars n’a pas été avancée, mais le principe est admis : mobiliser les femmes « en accord avec les organisations politiques et syndicales du prolétariat dotées de la conscience de classe ». La Journée des femmes est donc l’initiative du mouvement socialiste et non du mouvement féministe pourtant très actif à l’époque. « C’est justement pour contrecarrer l’influence des groupes féministes sur les femmes du peuple que Clara Zetkin propose cette journée, précise Françoise Picq. Elle rejetait en effet l’alliance avec les “féministes de la bourgeoisie”. »

Mais, malgré l’acceptation de la résolution, l’enthousiasme pour le droit de vote des femmes était tiède dans la plupart des partis socialistes. Pour changer cela et pour impliquer davantage les femmes dans la lutte, la deuxième Conférence Internationale des Femmes Socialistes a décidé de tenir chaque année une journée internationale des femmes, une journée pendant laquelle on manifesterait, on ferait de la propagande, … En 1911, la Journée Internationale des Femmes a été célébrée en Allemagne, en Autriche, au Danemark, en Suisse et aux États-Unis. En 1912, la journée a été célébrée en France, au Pays Bas et en Russie. La liste des pays s’est élargie jusqu’à la Première Guerre Mondiale.

Cette guerre n’a pas signifié seulement un massacre massif, mais aussi la désintégration de la Deuxième Internationale. Le soutien à la guerre, venu d’abord de la social-démocratie allemande mais adopté ensuite par tous les partis de la Deuxième Internationale, a montré que, dans chacun de ces partis, le soutien à sa propre bourgeoisie dans le cadre d’un socialisme réformiste avait pris le dessus sur l’internationalisme, sur le refus de laisser les travailleurs de « son » pays tirer sur ceux d’autres pays, au seul bénéfice de leur propre bourgeoisie belliqueuse. Le seul parti qui est resté fidèle aux principes internationalistes du socialisme a été le parti russe, et en particulier son aile gauche majoritaire (les bolcheviks) sous la direction de Lénine, suivi dans cette voie par une partie de l’aile gauche de l’Internationale Socialiste.

L’organisation internationale des femmes a continué d’exister et s’est rangée dans le camp anti-guerre. Les Femmes Socialistes allemandes, au contraire de la direction du SPD (Parti Social-Démocrate allemand), ont aussi continué à mobiliser contre la guerre et contre la répression de l’État, notamment en 1914 contre la guerre qui approchait à grands pas et contre l’arrestation de Rosa Luxemburg, militante socialiste et communiste et théoricienne marxiste, qui participait avec Clara Zetkin à la direction des groupes de gauche dans le SPD.

Les femmes ouvrières manifestent par millions pour porter au grand jour leurs exigences et réclamer leurs droits :

  • Droit à la journée de 8 heures;
  • Droit de vote;
  • Droit d’adhérer à un syndicat;
  • Droit à la protection de la maternité;
  • Droit à la suppression du travail du samedi, …

Quelques années plus tard, la tradition socialiste de la Journée internationale des femmes subit le contrecoup du schisme ouvrier lié à la IIIe Internationale. C’est en Russie que la Journée des femmes connaît son regain : en 1913 et en 1914, la Journée internationale des ouvrières y est célébrée, puis le 8 mars 1917 ont lieu, à Petrograd (aujourd’hui Saint-Pétersbourg), des manifestations d’ouvrières que les bolcheviques désignent comme le premier jour de la révolution russe. Une nouvelle tradition est instaurée : le 8 Mars sera dès lors l’occasion pour les partis communistes de mobiliser les femmes. Après 1945, la Journée des femmes est officiellement célébrée dans tous les pays socialistes (où elle s’apparente à la fête des mères !).

Relance de la lutte des femmes dans les années ’60

Dans le reste du monde, la Journée Internationale des Femmes a été de plus en plus oubliée pour n’être reprise qu’à la fin des années ’60 par le nouveau mouvement féministe, ce qu’on a appelé la « deuxième vague » (après une « première vague » pour le droit de vote).

Les années ’60 ont vu un grand afflux de femmes sur le marché de travail. Vu le chômage très bas, les femmes ont été stimulées à aller revendiquer leur place au travail. La nouvelle vague féministe s’est donc développée sur la base de ces conditions économiques favorables.

Cette nouvelle vague féministe, qui a coïncidé avec le développement d’autres mouvements d’émancipation comme celui des homosexuels, avait comme objectifs d’obtenir l’indépendance économique, de rompre avec la répartition classique des rôles entre hommes et femmes, d’arracher la libération sexuelle, de casser le « plafond de verre » qui tenait les femmes loin des hautes fonctions, y compris dans la politique. Dans beaucoup de pays, cette lutte a obtenu des acquis importants, entre autres sur les questions de la contraception et de l’avortement, de l’assouplissement des lois sur le divorce, illustrés par des slogans comme le très connu « maître de mon ventre » ou « le personnel est politique ».

En termes légaux, la revendication “à travail égal, salaire égal” a été obtenue, tout comme l’interdiction des discriminations professionnelles, mais sur ce plan on doit aujourd’hui bien constater que les salaires réels des femmes sont toujours en moyenne 25% plus bas que ceux des hommes.

Le  « 8 mars » au Québec

À la fin des années 60, l’intérêt pour la Journée internationale des femmes est avivé par le mouvement de libération des femmes qui prend naissance au Québec. Le 8 mars 1971, le Front de libération des femmes lance officiellement une campagne nationale pour l’avortement libre et gratuit. Une marche est alors organisée à Montréal de même qu’un colloque. Les groupes de femmes, les syndicats et les groupes communautaires concourent également à faire du « 8 mars » une manifestation annuelle. Luttes contre la discrimination, revendications sociales et économiques ou conditions de travail sont des sujets avancés sur la place publique, à la faveur de ce moment de réflexion et d’action que constitue cette journée spéciale.

L’Organisation des Nations Unies contribue à la cause des femmes et des filles.

La Charte des Nations Unis adoptée en 1945, a été le premier instrument international à affirmer le principe de l’égalité entre les femmes et les hommes. Depuis, l’ONU a contribué à créer un héritage historique et internationalement reconnu de stratégies, de normes, de programmes et d’objectifs destinés à améliorer la condition des femmes dans le monde.

Au fil des ans, l’ONU et ses institutions spécialisées ont favorisé la participation des femmes, en tant que partenaires égales des hommes, à la réalisation du développement durable, de la paix, de la sécurité et au plein respect des droits de l’homme.

En 1977, l’ONU adopte une résolution pour inviter chaque pays de la planète à consacrer une journée à la célébration des droits des femmes et de la paix internationale. Le « 8 mars » est ainsi devenu cette journée de reconnaissance dans de nombreux pays.

En 1995, La Déclaration et le Programme d’action de Beijing, qui constituent une feuille de route de portée historique, sont adoptés par 189 gouvernements lors de la quatrième Conférence mondiale sur les femmes. Ils contiennent des engagements complets en réponse à 12 domaines critiques et constituent encore une puissante source d’orientation et d’inspiration. Le Programme d’action projette un monde où chaque femme et chaque fille peut exercer ses libertés et ses choix et connaître et comprendre tous ses droits, notamment le droit de vivre sans violence, le droit à l’éducation, le droit de participer à la prise de décision et le droit de recevoir un salaire égal pour un travail égal.

À la suite d’une proposition présentée par le gouvernement du Canada en 2011, l’ONU déclare le 11 octobre Journée internationale des filles. Cette reconnaissance est le fruit du plaidoyer mondial de la campagne « Because I am a Girl » de l’organisation Plan international, dont la mission est de mettre fin à l’inégalité de genre et de promouvoir les droits des filles à travers le monde.

En 2014, la 58ème session de la Commission de la condition de la femme (CSW), qui est le principal organe intergouvernemental mondial dédié exclusivement à la promotion de l’égalité des sexes et de l’autonomisation des femmes, avait pour thème prioritaire : les résultats obtenus et les difficultés rencontrées dans la réalisation des Objectif du Millénaire pour le développement (OMD) en faveur des femmes et des filles. Les institutions de l’ONU et des ONG accréditées du monde entier ont examiné les progrès accomplis et les défis qu’il reste à relever en vue d’atteindre ces objectifs. Les OMD ont joué un rôle important dans la mobilisation de l’attention et des ressources sur l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes.

L’égalité entre les sexes et les Objectifs de développement durable

La Journée internationale de la femme est également l’occasion de réfléchir aux moyens d’accélérer le Programme 2030 et favoriser la mise en œuvre effective de ses objectifs, en particulier de l’Objectif n.5 (« parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles ») et de l’Objectif n.4 (« assurer l’accès de tous à une éducation de qualité, sur un pied d’égalité, et promouvoir les possibilités d’apprentissage tout au long de la vie »).

Parmi les cibles les plus importantes il s’agit notamment de :

  • Faire en sorte que toutes les filles et tous les garçons suivent d’ici à 2030, sur un pied d’égalité, un cycle complet d’enseignement primaire et secondaire gratuit et de qualité (Objectif n.4).
  • Faire en sorte que toutes les filles et tous les garçons aient accès, d’ici à 2030, à des activités de développement et de soins de la petite enfance et à une éducation préscolaire de qualité qui les préparent à suivre un enseignement primaire (Objectif n.4).
  • Mettre fin, dans le monde entier, à toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et des filles (Objectif n.5).
  • Éliminer toutes les formes de violence à l’égard des femmes et des filles dans les sphères publique et privée, y compris la traite et l’exploitation sexuelle et autres type d’exploitation (Objectif n.5).

Éliminer toutes les pratiques préjudiciables, telles que le mariage des enfants, le mariage précoce ou forcé et la mutilation génitale féminine (Objectif n.5).

Une lutte éternelle

Tout au long du 20e siècle, cette journée a été importante pour mettre de l’avant les revendications des femmes, et particulièrement des travailleuses, face à l’État et aux patrons. Aujourd’hui, la journée internationale des femmes demeure célébrée à travers le monde et permet de donner une visibilité aux luttes féministes, tout en les réactualisant. Au fil des victoires, de nouveaux combats s’ajoutent et de nouvelles actrices font entendre leur voix.

Tant que les femmes seront ciblées par les politiques d’austérité;
Tant que les femmes gagneront moins en en faisant toujours plus;
Tant que les soi-disant mesures pro-laïcité s’attaqueront aux droits des femmes musulmanes;
Tant que l’accès à une interruption de grossesse gratuite et sécuritaire sera menacé;
Tant que les vies des femmes autochtones seront jugées comme moins importantes;
Tant qu’on apprendra encore aux filles à ne pas être agressées;
Tant que les inégalités existeront entre les femmes;
le 8 mars ne sera pas jour de fête, mais jour de lutte !

Par Nasser Bensfeia pour Maghreb Canada Express,, pages 4 et 5, Vol. XVII, N°3 , Mars  2019.

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ÉDITION MARS 2019

 

 

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