Le 28 mars le gouvernement Legault a déposé son projet de loi 21 sur la laïcité de l’État.

La loi stipule principalement l’interdiction du port des signes religieux par les fonctionnaires de l’État en position d’autorité. Et en considération au principe des droits acquis accordé, l’application ne concerne que ceux embauchés à compter du 27 mars 2019.

Dans la mire de la Loi sur la laïcité

Les fonctionnaires concernés sont : les juges, les greffiers, les juges de paix, les régisseurs, l’arbitre nommé par le ministre du Travail, le président et les vice-présidents de l’Assemblée nationale, les gardiens de prison, les policiers, les constables spéciaux, les gardes du corps, les avocats du gouvernement, le ministre de la Justice et procureur général, le Directeur des poursuites criminelles et pénales, un commissaire d’une commission d’enquête, les agents de la faune, les enseignants et directeurs d’école du réseau public.

La loi stipule aussi que l’identification dans un service public doit se faire à visage découvert, même dans les bus publics.

Pour barrer la voie aux processus judiciaires de contestation, le gouvernement Legault compte appliquer la clause dérogatoire, en vertu de l’article 33 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui permet au parlement de contourner certains droits prévus de la Charte canadienne des droits et libertés.

Et, pour appuyer sa loi sur la laïcité, par rapport à la Charte des droits et libertés de la personne, le gouvernement Legault veut aussi apporter des modifications à la Charte québécoise des droits et libertés, pour préciser que les libertés et les droits fondamentaux s’exercent dans le respect de la laïcité de l’État.

La loi précise aussi que tous les signes religieux sont interdits, peu importent leur forme et leur taille et, même les signes cachés sont interdits, sans toutefois recourir à la fouille à nu.

La loi précise par ailleurs que les écoles privées en sont exemptées.

Quelles sont les réactions que cela suscite?

La loi est jugée discriminatoire par le Gouvernement Trudeau.

La Ligue des Droits et Libertés conteste son effet restrictif des libertés, et précise qu’il n y a aucun fait qui la justifie, tout en poursuivant que c’est le comportement et non l’apparence, qui doit être codifié.

La Centrale des syndicats du Québec, (CSQ) trouve les propos de la loi exagérés, la loi ratisse large et préparée à la hâte, et précise que le milieu des enseignants n’est pas coercitif mais éducatif.

Seuls dans le vif, le syndicat de la fonction publique du Québec (SFPQ) et le centre de documentation sur l’éducation des adultes et condition féminine (CDEACF) saluent la loi, et expriment leur soutien à l’initiative du gouvernement.

Historique de la question

Juste pour rappel, les campagnes électorales successives depuis 2007 ont fait de la question identitaire, de la charte des valeurs et de la laïcité leur principal cheval de bataille: Mario Dumont (2007), Pauline Marois (2012-2014), Gilles Duceppe (2015) et Steven Harper (2015). Ils ont tous échoué suite aux tempêtes soulevées et aux chicanes provoquées au sein de la société. Le PLQ de Jean Charest a lancé en 2007 la commission Bouchard-Taylor pour mener une consultation publique sur la question des accommodements raisonnables, qui a abouti à la publication d’un rapport qui paraissait calmer le jeu et satisfaire le consensus minimal recherché, jusqu’à ce que viennent remuer de nouveau la question, successivement, Pauline Marois du Parti Québécois en 2012-2014, et maintenant le Parti de la Coalition Avenir Québec de François Legault.

Enjeux et fondements en question

S’il l’on se fie aux faits, il n y a aucun fait qui soutient ce projet de loi. Le Gouvernement lui-même s’est lancé dans un exercice de recueil de statistiques des cas, au moment de la préparation de la loi. Les résultats de cet exercice ont révélé, qu’il n y a pas de porteurs de signes dans les fonctions coercitives, police et juges.

Seul pour le milieu de l’enseignement, alors que les commissions scolaires ont refusé de livrer ce genre d’information, le Gouvernement a conclu que le cas concernerait une centaine de personnes seulement. Il s’agit pour la plupart d’enseignantes musulmanes portant le foulard, et qu’aucun fait ne vient appuyer cette loi, aucun fait rapporté quant à la compromission de leur neutralité. Les artisans du projet de loi partent d’un problème imaginaire sans fondement.

Les politiques et les médias ont tellement chargé la scène publique de ce faux problème, que les sondages qui suivent ne font que refléter cette charge obsessionnelle et ce que le Gouvernement tient pour acquis et utilise comme fondement, pour défendre son projet.

Pour la question du sondage du mois de mars 2019, si en accord ou en désaccord avec le projet de loi d’interdiction du port des signes religieux, les réponses furent les suivantes :

Juge et procureur : 74% pour, et 21% contre;

Gardien(ne) de prison et policier(ère) : 74 % pour, et 21 % contre;

Enseignant(e) et directeur(trice) du primaire et du secondaire à l’école publique : 69 % pour, et 27 % contre;

Éducateur(trice) en garderie : 67 % pour, et 28 % contre (alors que cette catégorie ne figure pas dans le projet de loi.)

Quant à la question du recours à la clause dérogatoire (ce qui aurait pour effet d’empêcher certaines contestations devant les tribunaux) : 60 % pour, et 24 % contre;

Quant à la question des droits acquis, 35 % sont pour, et 55 % contre.

Il est clair que le sondage reflète l’avis de la majorité des Québécois dits de souche composés de blancs, catholiques, à dominante athée ou non pratiquante. L’avis de la minorité issue de la diversité ne se reflète pas du tout, alors qu’ils sont les victimes de cette loi discriminatoire.

Quels sont les impacts?

Il est certain que les impacts sont multiples et à plusieurs stades et niveaux. La contradiction avec l’esprit des Chartes québécoise et canadienne des droits et libertés est frappante et le conflit de principes ne se cache pas. Le recours vers la clause dérogatoire, pour dépasser les Chartes de droits confirme une fois de plus, la régression de la situation des droits et libertés au Québec sous ce gouvernement.

Sur le plan économique, alors que le Québec souffre déjà d’un déficit alarmant en main d’œuvres et surtout dans le secteur de l’enseignement, si cette loi venait d’être adoptée et considérant ses conséquences, elle ne ferait qu’alourdir ce déficit.

Au niveau de la société, il est certain, à en juger d’après les précédentes tentatives, que ce projet de loi vient inaugurer encore et une fois de plus la valse des chicanes et creuser plus de fossés entre des Nous et des Eux, et compromettre toutes les démarches de renforcer le bien-vivre ensemble, initiées depuis.

Sur le plan sécuritaire, l’impact immédiat de ce genre d’initiative et ce qu’elle suscite comme chicanes et divisions, génère comme constaté avant, la montée de la xénophobie, du racisme, de la discrimination et de la haine de l’autre, et le renforcement des tendances suprématistes

Sur le plan universel, ce projet de loi contreviendrait à la Déclaration universelle des droits de l’homme, en portant une atteinte grave au droit et à la liberté de pensée, de conscience et de religion, ainsi que la liberté de manifester sa religion, tant en public qu’en privé.

L’atteinte aux droits des minorités est manifeste dans ce projet de loi, qui désavantage clairement par rapport à la majorité, les membres des groupes religieux minoritaires, attachés à certains signes en vertu de leurs croyances.  Cet état de fait traduit une violation flagrante au droit à l’égalité des membres de groupes minoritaires en vertu de l’article 10 de la Charte québécoise et de l’article 15 (1) de la Charte canadienne.

À quoi s’attendre?

Il est certain que ce projet de loi va ouvrir des débats houleux et par conséquent exposer la société à davantage de chicanes et de divisions.

Il faut s’attendre à des contestations publiques sous forme de manifestations publiques, de pétitions, de communications avec les députés et avec l’assemblée nationale, pour exprimer la colère d’une frange de la société qui va certainement souffrir des effets discriminatoires de cette loi.

L’autre option consiste aux recours judiciaires auprès des tribunaux pour invalider cette loi en vertu des Chartes québécoise et canadienne des droits, en vertu des chapitres relatifs aux droits et libertés fondamentales d’une part, et ceux relatifs aux droits des groupes minoritaires, d’autre part.

Par ailleurs, cette loi, si elle venait d’être adoptée, causerait des départs vers d’autres provinces, qui offrent aussi bien des opportunités d’emploi et d’accueil, tout en assurant la garantie des droits et libertés.

La morale de l’histoire

Il est très important de distinguer entre, conduite et apparence. La neutralité de l’État doit se manifester à travers les conduites, comportements, attitudes et propos des fonctionnaires qui l’incarnent. L’apparence doit demeurer le droit de chacun, libre de l’assumer, comme bon lui semble, dans la limite de l’éthique. Les amalgames ne font que brouiller les esprit et laissent libre cours à la chicane, à la division et aux conflits.

Par Dr. Brahim Benyoucef, Maghreb Canada Express,, pages 6 et 7, Vol. XVII, N°4 , Avril 2019.

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ÉDITION AVRIL 2019

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