mouchoirsMon visage vous ai certainement familier. J’ai pignon sur Boulevards Zerktouni et Anfa. (Casablanca,. NDLR) Je suis la jeune fille avec un enfant sur le dos, qui vend des mouchoirs. Il est impossible que vos regards ne viennent pas s’agripper sur mon corps élancé. Je suis belle et ce n’est pas une boutade narcissique.  Je suis très bien sculptée, mes attributs de féminité sont indéniablement parfaits, héritage d’une mère à la beauté légendaire. La nature s’est donnée du mal pour me doter d’un corps et d’un charme fatal et ensorceleur, alors que j’étais destiné à m’abimer dans les rues assassines de Casablanca

J’ai 17 ans, mon nom est Houriya. Je suis née un jour de printemps, dans un bidonville à l’orée de Casablanca. C’est une colonie de miséreux, de marginaux et de fanatiques, que les vicissitudes de la vie ont charriées vers ce hameau maudit. Les gens survivent dans la précarité et au renoncement à leur humanité. Les familles sont entassées, empilées dans des cabanes lugubres.  Les charrettes, les animaux et les parasites, cohabitent avec les êtres humains. Les armoiries de notre bourgade c’était la barbe et le voile. Mes parents étaient de modestes parias qui se sont retrouvés par pur hasard dans ce ghetto. Ils sont originaires des Rhamnas dans la région du Haouz. Ils ont subi de plein fouet les affres de la sécheresse qui a sévit pendant des lustres dans ces contrées inhospitalières. Ils étaient contraints de s’extirper dans la douleur de leur matrice, et venaient renforcer les rangs des épaves humaines qui déambulent sans objectifs dans les ruelles tortueuses du bidonville.

Mon père était colporteur. Il passait sa journée à faire écouler sa marchandise à Derb Omar. Il rentrait le soir épuisé et parfois dans une rage incommensurable lorsqu’on lui confisque sa charrette. Ma mère s’occupait de moi et de notre petit enclos. Notre logis se réduisait a une petite baraque en tôle, sans électricité ni eau courante. On faisait nos besoins dans un bocal, le soir il est déversé dans une décharge. La pestilence empestait de manière insoutenable. Notre organisme s’est accommodé a vivre en harmonie avec cet environnement sordide.

La vie devient intenable. Mon père devenu impotent, a sombré dans une dépression profonde. Il a perdu son auréole, il n’est plus le mâle dominant. Son statut à été ébranlé le jour ou ma mère à quitter le foyer pour aller travailler et renflouer le maigre budget de la famille. Elle à trouver un emploi chez Hajja SFIA. Célèbre femme dans notre bidonville. C’est une NEGGAFA, elle arrangeait et organisait les mariages. Ma mère s’occupait uniquement du trousseau de la mariée. Elle veillait sur la garde robe et les bijoux que la mariée allait arborer dans sa nuit de noces. Notre quotidien c’est amélioré. Ma mère est devenue le catalyseur de la famille. Apres quelques années nous avons changés notre taudis par une demeure moins abjecte et plus spacieuse, mais les stigmates de la misère persistaient. Ma mère recevait beaucoup de femmes pour diverses raisons, il y a celles qui cherchaient des maris pour leurs filles, d’autres qui voulaient célébrer un mariage. Elle a acquis une notoriété resplendissante parmi les familles.

J’étais une ombre. Je passais inaperçue entre les baraques pour aller a mon école. J’étais toujours habillée d’une robe, mais avec un pantalon. C’était l’habit sacré de toutes les filles. Il donnait une assurance pudeur et avortait toute tentative d’attouchement ou de libertinage. Ma mère me défendait d’avoir des amies. J’étais un simple électron libre. Je jouais souvent en solitaire et  j’inventais des personnages  pour me tenir compagnie.

 MÈRE VOLAGE

Omar, un jeune loubard qui venait d’être élargit de la prison, tenait un commerce de cigarettes au détail, devant l’épicier du coin, qui accepta sa présence avec la peur au ventre. Omar, l’air patibulaire, était bien bâti et d’une extrême irascibilité. Il était la terreur du bidonville. Chaque fois que je passais devant lui il me gratifiait d’une friandise, je trouvais bizarre son geste, lui qui faisait régner une peur bleue chez les habitants. Un jour il est venu frapper à notre porte, quand j’ai ouvert, il était là. J’ai paniqué mais il m’a rassuré avec un sourire ensorceleur. Il m’a remit un panier imposant. Ma mère m’a demandé de ne rien dire à mon père. Les visites d’Omar sont devenues plus fréquentes. Ma mère l’invitait parfois à entrer et me chargeait de faire des courses.

Ma mère à négligé mon père, sa chambre est devenue insalubre, l’air délétère. Sur son corps des escarres purulentes faisaient irruption. Au retour de l’école je rentrais directement pour le nettoyer et le soigner même de façon rudimentaire. Une fois je l’ai trouvé les yeux inondés de larmes, j’avais de la peine pour nous. Ma mère sans pudeur recevait Omar chez nous. Les  voisins voyaient d’un mauvais œil cette relation, mais ravalaient leur rage de peur de s’attirer les foudres d’Omar.

Omar a cédé son commerce à un autre lascar. Il a acheté une camionnette, et changé sa garde robe défraichie. A la maison, ma mère est devenue d’une humeur acariâtre, elle se perdait dans des réflexions, se nourrissait sans appétit. Cette attitude alarmante était prodrome d’un désastre. Un jour notre Moqadem est venu nous remettre une convocation de la police. Ma mère a paniqué, elle m’a prise dans ses bras. Je sentais ses larmes s’écouler sur mes cheveux.

Le matin ma mère s’est présentée au commissariat. Accusée du vol des bijoux de SFIA la NAGGAFF, elle est écrouée après un interrogatoire musclé. Quand j’ai appris la nouvelle, le monde s’est écoulé autour de moi, une vague d’amertume m’emportait vers les abimes.

 L’ERRANCE

 J’avais 15 ans lorsque je me suis retrouvée seule. Un père impotent, une mère en prison, une société cruelle, tous les ingrédients étaient réunis pour faire de moi la loque que je suis. Nous avons pu tenir pendant un mois mon père et moi dans une misère noire. Les voisins, aussi indigents que nous, subvenaient bien que mal à nos besoins alimentaires, avec une grande réserve.  Nous sommes les pétrifiés du bidonville. Un mur d’exclusion est édifié entre nous et eux sans pourtant se départir de leur solidarité généreuse. Le propriétaire est venu un jour accompagné des gens de l’Assistance Sociale pour embarquer mon père vers le centre de bienfaisance de Tit Mellil.

Allongé sur une civière rouillée, mon père ou ce qu’il on restait, ne réalisait pas que notre univers a implosé et que l’énergie de gravitation à libérer les démons dans le cosmos de l’incertitude et de l’errance. Le soir venu, ma peur croissait graduellement, mes membres sont glacés et j’étais paralysée.  Mes facultés sensorielles étaient décuplées. Je pouvais clairement distinguée les ronflements des voisins ainsi que la bataille que se livraient les chats et les souris dans les caniveaux. Je serrais fortement mes genoux contre ma poitrine. Je sentais ma sève s’écouler sur le sol, je me vidais de mon essence, j’étais réduite à une simple coquille vide.  Mes paupières refusaient de s’agglutiner. Le petit matin pointait a l’horizon. J’entendais la voix stridente du muezzin appelant les fideles à la prière d’el Fajr.

Mon angoisse se dissipait, mon corps refusait encore de m’obéir, c’est avec une énergie sans égale que j ai pu échapper au sol.

Le propriétaire accompagné d’un serrurier est venu pour changer la serrure. Je lui ai demandé les larmes dans les yeux, de m’héberger un certain temps. Il m’a transpercé d’ un regard belliqueux.

– Tu quittes ma maison immédiatement sinon je te tire par les cheveux !

– Je n’ai nulle part ou aller, je t’en conjure de me garder le temps trouver un refuge,

– Hors de question que tu restes, d’ailleurs le nouveau locataire viendra s’installer cette semaine,

Devant l’intransigeance de ce monstre cupide, j’ai vite empaquetée mes dérisoires affaires, la rage dans l’âme. J’ai quitté cette demeure sans regrets. Je me suis dirigée vers le bain maure pour demander l’hospitalité à Mi Rkiya. C’était la seule option qui s’offrait à moi.  Mi Rkiya, était une femme imposante, avec un corps surdimensionné. Elle était despotique, et faisait régner un ordre indéfectible dans le bain. Lorsque je venais avec ma mère, elle nous réservait un accueil particulier, c’était à cause de la générosité ma mère. Elle habitait une minuscule chambre à l’entrée du bain. Elle s’engouffrait avec peine à l’intérieur. Je me suis présentée à elle. Elle connaissait mon calvaire :

– Qu’est ce qui t’amène Houriya ?

– Mi Rkiya, tu connais mon histoire. Je n’ai nulle part ou aller, si tu peux m’héberger le temps de trouver une solution ?

– Ma fille je suis désolée, je t’aime bien mais tu sais que je vis dans l’exigüité et la précarité, je n’ai pas de quoi te nourrir,

– Mi Rkiya, prends moi, que Dieu te vienne en aide, si tu me chasses je serais dévorée par les loups. Je ferais tout ce que tu me demanderas.

Assise sur son imposant postérieur, elle sombra dans une profonde réflexion, j’étais là toute petite, la tête bien coincée entre mes épaules, mes yeux rivés sur ses lèvres charnues, j’attendais le verdict.

– Ma fille tu restes avec moi le temps de trouver une solution. Tu vas t’occuper de la chambre et tu prépares les repas. Ici on se réveille à 5 H du matin, pour mettre au point le bain avant l’arrivée des clientes.

– MI RIKIYA, je t’obéirai au doigt et à l’œil.

La journée était épuisante. Le soir après le départ de la dernière cliente, armées  de nos serpillières nous nettoyons le bain. C’était écœurant. Un amas de cheveux, de poils de pubis et des aisselles trainaient partout, des lames de rasoirs collées aux murs présentaient un réel danger, après j’ai pris une douche, mes muscles se sont relâchés. Mi Rkiya, est entrée pour faire son tour d’inspection. J’étais nue, elle a posée son regard impudique sur mon corps, j’ai vite enfilée ma robe. Arborant un sourire de satisfaction, elle ferma la porte, et regagna la petite chambre. Je la suivais comme un somnambule.

J’ai vite avalée mon diner, une simple miche de pain et l’huile d’olive avec un verre de thé. Mi Rkiya, me libéra un petit espace pour dormir. J’étais coincée entre le mur et  l’insondable panse du mastodonte. J’étais anesthésiée par la fatigue, mais les caresses insistantes sur mon corps m’ont réveillée. Mi Rkiya, avait glissée sa main dans ma culotte, j’ai ressentie une colonie de fourmis qui remontait mon échine. J’ai pris un malin plaisir à ce jeu pervers sans y participer. Mi Rkiya, satisfaire d’avoir trouvée une esclave pour assouvir sa vacuité libidinale. Je suis devenue son objet fétiche, elle à lâcher les brides a ses penchants lubriques. Elle commençait à m’entourer d’une magnanimité et d’une tendresse sans équivoque. Je suis dispensée des charges domestiques ingrates, je m’occupais désormais des repas et de la vaisselle. Mi Rkiya, prêtait une attention à ma garde robe, particulièrement à ma lingerie fine. J’ai compris que mon corps était une valeur monnayable.

Une lassitude émotionnelle commençait à s’installer dans notre couple pervers. Mi Rkiya, devenait acariâtre. Elle explosait dans une colère meurtrière, crachant une diatribe dégradante, au moindre faux pas. J’ai sue que la fongibilité de mon corps a atteint ses limites et que la braise qui mettait en émoi la dame s’est éteinte.

– Écoute ma fille, je suis incapable à continuer de te prendre en charge. A présent tu es une jeune fille, tu peux te débrouiller seule. Plusieurs foyers cherchent des bonnes, tu trouveras certainement une famille d’accueil plus prospère.

– Mi Rkiya, que Dieu te bénisse, garde moi encore avec toi !!

– Je te donnerai un peu d’argent qui te permettra de tenir le temps de trouver du travail. Demain matin tu PARS.

Le ciel s’est effondré sur ma tête, j’étais désemparée, l’horizon obstrué ne présageait rien de bon. J’avais tellement envie de croupir en prison avec ma mère pour purger la sentence de misère. Que vais-je devenir ?

J’ai tiré mon lourd fardeau vers l’épicerie de Massoud, qui régnait en maitre sur le commerce du détail. C’était un type peu recommandable. Il était à la fois l’indicateur des flics et l’usurier du bidonville. Sa boutique servait aussi à son hébergement. Je me suis affaissée à coté de sa boutique, mon visage était décomposé par l’intensité du chagrin qui rongeait mon cœur. Massoud, m’invita à rentrer à l’intérieur. Le désarroi avait désormais un visage, c’était le mien.

– Que t’arrive t-il Houriya ? me questionna Massoud,

– Mi Rkiya m’as chassée de chez elle, et je n’ai nulle part ou aller,

– Oh la maquerelle elle a osée ? C’est injuste de mettre une jeune fille à la rue, mais si tu es docile et espiègle tu gagneras une place au soleil.

Je fondis en chaudes larmes, mes sanglots étouffaient le râle qui se faufilait dans ma gorge, Massoud, tira de sa poche un morceau d’étoffe qu’il utilisait pour ses besognes peu scrupuleuses en matière de propreté. Il sécha mes larmes abondantes et introduit des doigts dans mes cheveux et tira ma tête sur son torse qui sentait l’odeur des boites de sardines, la pestilence de son halène me donnait la nausée. Désarmée par mon chagrin, mon libre arbitre est désactivé, l’épicier plongeât sa main dans mes soutiens gorges et prenait sauvagement mes seins, un cri de douleur l’obligeât à retirer sa sale main.

Je suis retournée à ma place devant l’épicerie quand Piko se pointa devant le comptoir et demanda un tube de colle. Massoud, empocha l’argent et lui remettait discrètement le tube.  Piko, était un jeune enfant de la rue. Il avait presque une vingtaine d’années, mais paraissait plus jeune dans son corps chétif et crasseux. Sa coupe de cheveux légendaire était sa véritable identité. Il laissait deux nattes tressées tombées devant ses yeux à l’instar des mangas japonais.

– Piko, je peux te parler ?

– Tu es qui toi ?

– Je suis Houriya, fille de Si-Rbouti,

– Ah c’est toi la fille de celle qui a pris l’or de SFIA,

J’ai rougie de honte, mais les stigmates de l’opprobre sont désormais tatoués sur mon front. Je suis la fille de la voleuse.

– Que puis- je pour toi ?

– Mi Rkiya, m’a chassée de chez elle, et je n’ai pas ou aller, est ce que tu peux m’aider ?

– Tu sais au moins ou tu mets les pieds ? La rue c’est l’enfer.

– Mais tu as de l’expérience, tu peux être mon guide et mon protecteur,

– La rue c’est la jungle, il faut d’abords se réapproprier les instincts de prédation, sinon l’espérance de vie est insignifiante.

– Mais toi tu as fais tes preuves, ton nom inspire le respect et la crainte, donc si tu me parraines j’ai rien à craindre,

– C’est d’accord mais tu dois comprendre que tu t’embarques dans une voie sans issue. Tu vas perdre ton humanité, tu seras simple limicole qui vit dans la crasse et se nourrit de détritus et d’immondices. Si tu tiens à faire partie de ma bande, tu vas prendre l’aspect d’un garçon. Tu te couperas les cheveux, et tu vas cacher ta poitrine et mettre des habits amples. Personne ne doit savoir que tu es une fille sauf moi, désormais ton prénom c’est Fatmi. Je passerai te prendre au coucher du soleil. Allez vas te changer

Avant le coucher du soleil j’étais devant l’épicerie de Massoud, méconnaissable. Je portais des haillons, sur ma tête rasée, un bonnet confectionné à partir de la jambe d’un vieux pantalon. Mon travestissement était réussi, même Mi Rkiya, venue faire une course ne m’a pas reconnue. Enfin Piko venait titubant dans ma direction. Il m’inspecta avec ses yeux injectés de sang, son sourire approbateur signifiât sa satisfaction. Il m’invita à le suivre. C’était mes premiers pas vers la descente aux enfers. Je suivais mon protecteur en me tenant derrière lui. La nuit chassa le jour, les réverbères sont allumés. Nous remontions le Boulevard d’Anfa. Les passants nous évitaient. Nous sommes la hantise des gens, les femmes changeaient de trottoir à notre approche. Je me suis sentie imbue d’une force et d’une intrépidité inégalées. Piko, plongeait sa tête dans les bacs à ordures à la recherche d’un hypothétique repas échappé à la razzia des chats. Nous nous sommes arrêtés devant une belle demeure. C’était une villa abandonnée, sur le Boulevard d’Anfa. Un chef d’œuvre architectural laissé à l’usure du temps. Piko, se retourna vers moi et disait :

– Voila notre demeure, tu seras logée comme une princesse. Le reste de la bande se trouve à l’intérieur, personne ne doit savoir que tu es une fille, c’est clair Fatmi,

– Je me ferai discrète ne t’en fais pas.

Nous empruntions une petite ouverture dans le mur d’enceinte, et nous traversions le jardin sauvage. A l’intérieur une odeur fétide me prenait à la gorge. Des lumières fades s’échappaient des chambres sans portes. Chaque chambre était occupée par un nombre variable de garçons, recroquevillés sur des couches à base de cartons et de jutes. Le sol était encombré par le plâtre effondré du plafond, des boites de conserves rouillées, des bouteilles en plastique jonchent le parterre. C’était une vraie porcherie. Piko, m’indiqua la chambre qui allait être ma demeure. A l’intérieur deux gamins de presque 9 et 14 ans sont allongés sur une couche crasseuse l’air absent, dans un réel détachement de la réalité. Ils respiraient à peine. Piko me tira par la main avec brutalité et m’allongea sur sa couche crasseuse. Il commença à déboutonner mon pantalon, j’ai repoussée ses mains. Son regard torve et intimidant, à inhibé mes défenses. Il m’a mis sur le ventre, saisie d’une vive douleur,  j’ai sentie ma chair se déchirer. Je pleurais sans larmes, sans voix, la dernière fibre d’humanité s’est brisée en moi. Une fois assouvit, la bête se vautra sur le dos le visage inexpressif.

– On fera toujours pareil pour éviter d’avoir des gosses à charge

Il prenait son chiffon imbibé de colle et sniffait, son corps est devenu léthargique. Piko voyage dans un monde qu’il a confectionné de douleur et souffrance. J’arrivais mal à fermer les yeux dans ce taudis. Les rats circulaient librement, ils venaient s’approvisionner des restes. Les deux races vivaient en bonne intelligence et parfaite harmonie. Ils ont éliminés les frontières de l’incompréhension et des préjugés. J’étais gelée sous la couverture en lambeaux que je disputais avec Piko. Un vent glacial me flagellait le visage et la faim me tenaillait l’estomac.

Dehors, la stridulation du grillon insouciant,  mettait mes nerfs à vif.  La circulation devenait plus intense avec le lever du jour. Le vacarme s’intensifiait, les gosses de la bande commençaient à faire bouger leurs membres ankylosés. La vie reprenait. Piko, les yeux lourds, la bave sèche sur sa joue sculptée par des balafres, me dégoutaient au point que j allais vomir. Son halène n’avait rien d’humain, ses dents abimés par la carie, il était le portrait fidèle d’un démon échappé de l’enfer. C’était tout simplement une buse d’égout enveloppée par de la chair. Nous sortions en file indienne, par le même trou. Notre destination était le marché Badr. Notre meute forte de 11 garçons, de 9 à 26 ans faisait régner la terreur  au marché situé au quartier de Bourgogne.

Nous prenions nos positions avant l’ouverture des commerces. Piko, en grand stratège assignait à chacun sa mission. Il fallait intimider les clients pour amener les marchands à nous payer une dime. Je me tenais à l’écart, la horde ne m’a pas adopté, j’étais encore l’étranger. Je devais faire mes preuves pour gravir les échelons de respectabilité. La consécration consiste à spolier à la bande adverse d’un territoire. Les rixes étaient notre quotidien. Les garçons, les sens aux aguets, avaient sous la main soit un coutelas ou un tesson pour répondre à tout impératif et sans délai. Votre ville et notre savane, vous vivez, nous survivons. Mais nous cohabitons dans l’indifférence et l’ignorance de l’autre.

J’ai vécue dans la peur, la faim et l’incertitude pendant six mois. Ma peau a développée une croute épaisse et dure. La pugnacité des punaises, s’est inclinée devant l’inviolabilité de ma peau. Ma poitrine est devenue plate à cause du bandage. Les techniques de survie n’ont plus de secrets pour moi. Mon vocabulaire outrageant et sulfureux est devenu riche. J’ai reçue au cours des batailles plusieurs coups sur la tête. Je me protégeais le visage des lames de rasoir, que je recevais généralement sur l’avant bras. L’hiver était notre vrai ennemi. Nos corps sont livrés à une torture récurrente. Nous dormions accolés sur une couche pour réchauffer nos corps, on évitait de mettre du feu pour éviter l’ignition de nos corps saturés de colle inflammable.

Un jour, comme les autres, nous avons pris nos postes de surveillance autour du marché. Un garçon, lança un sifflet d’alerte. La horde s’est réunie autour de Piko.

– Préparez-vous à affronter la bande de Ould Jarmouniya, il vient avec ses acolytes nous prendre notre territoire. Je vais m’occuper de lui et vous, montrez leur qui nous sommes. Allez chacun à son poste.

Ould Jarmouniya, accompagné d’un balaise entièrement balafré, suivi d’une quinzaine de jeunes loubards, prenait d’assaut nos positions. Nous étions en sous effectif.  La témérité de Piko cédait devant le rapport de force en notre défaveur. Nos lignes ont vite été investies par les assaillants. Piko, maitrisé par Ould Jarmouniya, s’écoulait sous l’avalanche des coups. Son corps ensanglanté gisait inanimé sur le trottoir. Une ambulance l’a embarqué vers les urgences de l’hôpital SOUFFI. Nos amis se sont dispersés.

Le soir nous nous sommes retrouvés dans notre gite. Deux blessés par coups de couteaux se tordaient de douleur, leurs plaies étaient couvertes  d’un pansement qui avait certainement servi plusieurs fois. Au milieu de la nuit, Ould Jarmouniya, faisait irruption avec ses acolytes dans notre logis. Ils nous délogeaient à coups de pied, même les blessés n’étaient pas épargnés. Acculée au fond de la pièce j’étais prise en tenaille par les cerbères, armés de barres de fer, ils s’apprêtaient à me fracasser la tête, voyant la mort en face j’ai crié de toutes mes forces :

– Bande de lâches, vous vous attaquez aux filles !!!

Devant ma réaction imprévisible, Ould Jarmouniya, m’empoigna par les cheveux et glissa brutalement sa main dans mon pantalon. Un sourire révérencieux se dessinait sur sa figure infestée de pustules. Il était fier de son trophée de guerre. Il me poussait violemment sur une couche.et me déshabilla avec  une violence inouïe. Il se jetait sur moi sous les ricanements de ses sbires. Il m’écrasait avec son corps pouilleux et hideux. L’odeur de l’alcool a brulé empestait de sa gueule, je suffoquais, mais le porc était insensible à mes supplications, il me prenait avec rage et bestialité. Je sentais mon corps se dissoudre dans la douleur. Les autres en rut formaient un cercle au tour de l’autel du sacrifice. J’étais tétanisée de peur, mon corps subissait les assauts de ses animaux suivant un ordre hiérarchique. Après la fin de la besogne, ils tirèrent leurs chiffons imbibés de colle et commençaient leur ascension dans l’univers des brumes.

J’ai intégrée la bande d’Ould Jarmouniya. J’étais son ombre, sans pourtant me réserver à son usage personnel. J’étais un bien de la bande.  L’intumescence de mon ventre devenait visible. J’étais enceinte, le bébé se développait indépendamment de moi. Il occupait mon ventre sans que je sois responsable de lui. Je menai la vie tumultueuse et suicidaire des enfants de la rue. Le bébé s’entêtait a venir dans ce monde.  Un soir de printemps j’ai sentie une douleur atroce au bas du vente. J’ai alertée Ould Jarmouniya. Il à piqué une crise de nerfs. Il m’a demandé de déguerpir en me menaçant avec son couteau. J’ai demandé l’aide d’un jeune de la bande. Il m’a épaulé et soutenu jusqu’à l’hôpital SOUFFI. Le type de la sécurité, rebuté par notre présence nous demandait/

– Vous voulez quoi ?  d’un air acerbe,

– Elle va accoucher bientôt, s’il vous plait aider nous,

– Allez vous assoir là-bas, je vais appeler l’infirmière,

Je me tordais de douleur. Les gens qui attendaient sur les bancs, nous regardaient avec un air d’amertume et de dégoût. Une femme parlait d’une voix audible avec sa voisine :

– Il faut que l’État procède à la stérilisation de ces bêtes.

– Mon dieu que va devenir ce pauvre gosse ? rétorquait l’autre

Une infirmière imposante venait nonchalamment dans notre direction. Elle mastiquait un chewing-gum avec vulgarité.

– Suis-moi. me demandait-elle avec un air désenchanté,

Une stagiaire d’origine africaine, assurait la garde. Elle me demandait de m’allonger sur la civière. L’infirmière assurait la traduction. Elle m’examinait avec délicatesse et respect. Elle était noire de peau mais son cœur était rose. Elle à remplie un billet d’hospitalisation dans le service de maternité. On m’avait installée après moult tergiversation du major du service, qui voulait épargner à son service un rebut de la société. J’étais admise dans une chambre sordide et mal éclairée. Les contractions devenaient plus insistantes. On me descendait dans la salle d’accouchement. J’étais révulsée. C’était un abattoir.  La sage femme était  violente et impudique, elle me traitait de tous les noms avec un langage exubérant. Apres un travail surhumain j’ai accouchée d’une fille.

Dans la chambre j’ai reçue la visite d’une jeune et douce dame. Elle était membre d’une association qui s’occupe des mères célibataires. Elle m’a fait savoir qu’ils ont prit en charge mes besoins et ceux du bébé. Chaque jour, elle m’apportait des friandises, du linges et surtout des couches pour le bébé. Depuis que je suis dans la rue je n’ai jamais vécue un confort pareil.

Le jour de ma sortie, la dame est venue avec sa voiture pour me ramener au refuge des mères célibataires. J’étais accueillie par une dame qui gardait des traits de noblesse malgré les affres du temps qui a dessiné des sillons sur son front.

– Sois la bienvenue chez toi ma fille, on va s’occuper de toi et te faire oublier l’enfer que tu as vécu,

Ma fille pleurait a tue tête dans mes bras.

On va commencer par t installer dans ta chambre, ensuite notre infirmière va t’apprendre comment prendre soin du bébé. Seulement je tiens à préciser qu’ici pas de cigarette, pas d’alcool pas de colle. J’espère que c’est clair.

J’ai fais un signe approbateur de la tête.

Je suis devenue une autre personne, mes déboires ne sont qu’un lointain cauchemar. Avec le soutien de l’équipe, j’ai pris gout à la vie. J’étais épanouie. Ma fille AHLAM, est devenue ma raison d’être. Un jour, je flânais avec ma fille dans le quartier de mon calvaire, j’ai croisée par hasard  Ould Jarmouniya. Il m’a pris pas la main et m’a demandé de le suivre. J’avais une peur bleue. J’ai obtempérée dans l’espoir de lénifier son humeur acrimonieuse. Il a pris dans ses mains ma fille. J’avais peur qu’il lui fasse du mal. Son halène mettait en feu ses fragiles poumons, elle piquait une crise de pleurs qui l’a poussé à la déposer dans sa poussette. A l’abri, dans un espace abandonné, il me prenait de force. Ma résistance était vaine devant la détermination du fauve. Il me mettait son chiffon de colle sous le nez. L’odeur sublime de la colle venait chatouiller mes narines, jamais un parfum ne pourrait égaler l’onctuosité et la subtilité de cette ode de liberté et de rupture avec le réel. Le cri de ma fille me parvenait de si loin, mes jambes refusaient de me porter. Au prix d’un effort surhumain, j’ai rampé jusqu’à la poussette. Elle avait faim. J’ai planté maladroitement  la tétine dans sa bouche. Elle s’est calmée.

Les démons ont encore une fois élus domicile en moi. Je suis retournée dans mon troupeau. Nos odeurs nous identifient, nos blessures nous stigmatisent et le néant nous engloutit. Mon monde ne reconnait ni les frontières ni les interdits. J’ai collectée un peu d’argent auprès des  mécènes qui fréquentaient la Mosquée Badr. Ils avaient plutôt pitié de mon bébé, et je profitais perfidement de leur crédulité. J’ai développé un petit commerce de mouchoirs que j’écoulais aux croisements des grands boulevards. Les bénéfices étaient certes modestes mais me permettaient de subvenir aux besoins de ma fille. IL arrive parfois qu’on confisque ma marchandise pour dime non payée au flic. Je me faufilais entre les voitures, ma fille sur le dos, dans un nuage de fumée, je harcelais les conducteurs  surtout les femmes. Je liquidais mes mouchoirs souvent par solidarité et pitié des conducteurs.

Les mouchoirs sont mon voilier. Ils me permettent  de naviguer dans l’océan houleux, sans balise, sans espoir, seulement, au loin, le sourire étincelant de ma petite AHLAM, m’indique le chemin.

Par R. Jalal pour Maghreb Canada Express, (Édition électronique) Vol. XVIII, N°04 , pages 12 à 14, Avril 2020.

 

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