Le 20 août 2017, le Roi du Maroc Mohammed VI a consacré une bonne partie de son discours à la politique africaine du Maroc. Pour le souverain marocain, le choix du Maroc de se tourner vers le continent africain « n’a pas été le fruit d’une décision fortuite, il n’a pas été non plus dicté par des calculs conjoncturels ou des supputations éphémères ». Le choix opéré par le Maroc pour l’Afrique n’est pas né du néant. Certes, l’histoire commune, la géographie et les relations séculaires du Maroc avec sa profondeur africaine, ont joué un rôle dans cette orientation stratégique du Maroc. Tous ces facteurs déterminants et autres dont le souci de pragmatisme ont permis au Maroc de développer une vision globale et intégrée qui a pu déboucher sur une stratégie africaine inclusive et à long terme, axée sur approche graduelle et progressive.
Pour la mise en œuvre de la stratégie africaine du Maroc, le Roi Mohammed VI a effectué une cinquantaine de visites de travail dans 29 pays du continent, dont 14 pays ont été visités au cours de la période allant d’octobre 2016 à août 2017.
Au cours de ces visites de travail et d’amitié, des dizaines d’Accords bilatéraux ont été signés en vue d’élargir et d’intensifier le cadre juridique régissant les relations entre le Maroc et ses partenaires africains. A titre d’exemple, lors de la visite du Roi Mohammed VI au Ghana en février 2017, 25 Accords bilatéraux ont été conclus entre les deux pays. Ceux-ci ont concerné plusieurs domaines de coopération dont notamment l’agriculture, l’assurance, la finance, l’investissement, l’industrie et les mines. Parmi les plus importants Accords signés à cette occasion, on peut citer la convention de non double imposition et de prévention de l’évasion fiscale en matière d’impôt sur le revenu et le mémorandum d’entente pour l’ouverture des négociations sur le projet d’Accord sur la promotion et la protection réciproque des investissements. Il faut savoir que ces deux Accords jouent un rôle central et déterminant dans le processus de promotion des investissements entre les pays.
Lors de la visite royale en Tanzanie en octobre 2016, 22 Accords bilatéraux ont été signés afin d’encadre la coopération bilatérale dans plusieurs secteurs, dont notamment la coopération économique, scientifique et culturelle (coopération interétatique), les énergies, les mines, la géologie, l’industrie,le transport aérien, l’agriculture, les pêches maritimes, l’assurance, les banques et le partenariat entre les secteurs privés dans les deux pays.
A cet égard, il sied de souligner que la stratégie prônée par le Maroc vise la promotion des intérêts communs grâce à des partenariats solidaires de type gagnant-gagnant ( win-win) axés sur des projets concrets, parfois de grande envergure, dont notamment le gazoduc atlantique Nigeria-Maroc, les complexes de production d’engrais en Ethiopie et au Nigéria, les cimenteries et les projets de développement humain destinés à améliorer les conditions de vie en ciblant la satisfaction des besoins urgents des populations africaines. Dans ce cadre, plusieurs projets ont été réalisés ou lancés dans les domaines de la santé, de la formation professionnelle et des infrastructures requises pour une pêche productive et rationnelle (construction des villages de pêcheurs).
Il faut aussi rappeler que la stratégie marocaine est fondée sur un partenariat fructueux axé sur des investissements et des programmes associant les secteurs public et privé du Maroc et ceux de ses partenaires africains. Il sied aussi de souligner que la stratégie africaine du Maroc n’aura, en principe, aucun effet négatif sur l’échelle des priorités nationales. Au contraire, elle devrait apporter une plus-value à l’économie marocaine.
Le Maroc, un des principaux investisseurs étrangers en Afrique subsaharienne
Les efforts inlassables et constants entrepris par le Maroc depuis quelques années ont commencé à donner leurs fruits. Ainsi, le Maroc a pu se positionner parmi les principaux investisseurs étrangers en Afrique subsaharienne. Les investissements directs étrangers (IDE) du Maroc en Afrique subsaharienne concernent, pour le moment, sept (07) secteurs clés, qui représentent les têtes de pont pour la stratégie marocaine, à savoir : la banque, les télécommunications, l’assurance, l’exploitation minière, l’industrie (dont notamment les unités de production des médicaments, les usines d’exploitation de phosphates et les cimenteries…), le holding et l’immobilier. Cette stratégie n’a pas encore atteint sa vitesse de croisière car le Maroc a la ferme intention et les moyens pour diversifier davantage les secteurs d’investissement et multiplier les pays africains récipiendaires des IDE marocains. L’ouverture du Maroc sur des pays de l’Afrique centrale et orientale entre dans ce cadre, car elle a pour objectif d’atténuer la concentration régionale des investissements marocains en Afrique. Pour le moment, les investissements marocains restent fortement concentrés dans les pays de l’Afrique occidentale qui accueillent presque 65% des IDE marocains en Afrique subsaharienne, suivie de l’Afrique centrale (25%) et de l’Afrique de l’Est avec seulement ( 10%).
En 2016, le Maroc a occupé la première place parmi les économies les plus attractives du continent africain et le premier rang dans le classement des pays africains ayant investi en Afrique, détrônant ainsi l’Afrique du Sud qui a occupé cette place pendant plusieurs années mais qui reste toujours leader africain selon le critère du nombre de projets lancés ( 29 projets lancés contre 17 pour le Maroc). Selon le rapport publié par le cabinet Ernst and Young ( E Y) en mai 2017, le Maroc aurait investi 4 milliards de dollars en Afrique, ce qui représente 5,1% du total des IDE réalisés en Afrique, en 2016.Les 17 projets lancés en Afrique par le Maroc, en 2016, ont permis la création de 3957 postes d’emplois, ce qui représente 3,1% des emplois générés par les IDE réalisés en Afrique. Au cours de l’année en question, deux banques marocaines à savoir Attijariwafa Bank et la Banque Centrale Populaire ont largement contribué à renforcer le volume des IDE marocains en Afrique. Ainsi, Attijariwafa Bank a pris le contrôle de la banque rwandaise « Cogebanque » et de Barclays Egypt. Pour sa part, la Banque Centrale Populaire avait investi pour acquérir le statut de principal actionnaire de la Banque Internationale pour l’Afrique du Niger( BIA-Niger) et la banque de Kigali –Bank of Kigali.
Le terrain balisé par la diplomatie économique royale a conduit les plus grandes et performantes entreprises marocaines à faire le pari de l’Afrique. Parmi ces entreprises, qui jouent le rôle de têtes de ponts pour concrétiser la stratégie marocaine, on peut citer Attijariwafa Bank, BMCE Bank of Africa et la Banque Centrale Populaire, Maroc Telecom, Saham ( assurance), l’OCP ( leader mondial des phosphates), Addoha (immobilier), CIMAF et Lafarge-Holcim Maroc( cimenteries), Nareva Holding ( énergies renouvelables), Cooper pharma, MANAGEM (mines), SOTHERMA (thermalisme et eau minérale), SOMAGEC (génie civile) , STROC ( conception et réalisation des installations industrielles)….
Evidemment, comparé aux grosses pointures et aux grands investisseurs étrangers en Afrique, le Maroc demeure largement devancé par la Chine Populaire qui a réalisé 66 projets en Afrique, en 2016. Ce qui a nécessité un volume d’investissement total de l’ordre de 36,1 milliards de dollars, soit presque 39% des investissements directs étrangers en Afrique(IDE). Sur le plan social, les 66 projets chinois en Afrique ont généré 38.417 emplois, soit 30% des emplois créés en Afrique par les IDE durant l’année en question. La France qui se positionnait, pendant longtemps, parmi les plus importants investisseurs étrangers en Afrique (surtout francophone) à côté des USA et du Royaume Uni, semble céder le terrain. Avec un investissement global en Afrique de seulement 3,6 milliards de dollars, en 2016, la France se classe derrière le Maroc dont les IDE en Afrique ont atteint le montant de 4 milliards de dollars au cours de la même année. Les IDE marocains en Afrique ont été réalisés dans 13 pays africains.
Pour avoir une stratégie équilibrée en Afrique associant investissements et échanges commerciaux, le Maroc a déployé d’énormes efforts pour diversifier et promouvoir ses relations commerciales avec l’Afrique subsaharienne, qui restent toujours quantitativement faibles et largement en deçà du niveau escompté. Les échanges commerciaux tissés entre le Maroc et les pays de l’Afrique subsaharienne qui ont connu un taux de progression moyenne annuelle de 9,1%, entre 2008 et 2016, ne représentent que 3% des échanges commerciaux du Maroc avec le reste du monde (avant 2008, cette proportion était très faible puisqu’elle se situa à un niveau inférieur à 2%). La balance commerciale Maroc/ Afrique subsaharienne fait ressortir un excédent en faveur du Maroc. En 2016, les exportations marocaines vers les pays africains ont été de l’ordre de 2 milliards de dollars. Les importations marocaines ont atteint le montant de presque 800 millions de dollars. Par conséquent, le Maroc a réalisé un excédent commercial de 1,2 milliards de dollars dans ses échanges commerciaux avec les pays subsahariens. Ces échanges qui demeurent faibles sont caractérisés par une concentration régionale et par pays (Afrique de l’Ouest et notamment la Cote d’Ivoire, le Sénégal et le Nigéria) et une faible diversification (domination des produits de l’industrie chimique et des denrées alimentaires).
Ainsi, il parait que la stratégie économique africaine du Maroc vise le développement des investissements mais aussi des échanges commerciaux avec ses partenaires subsahariens. Une approche équilibrée qui prend aussi en compte l’importance cruciale du facteur « transport » dans la réussite de cette stratégie. C’est dans ce cadre que la compagnie nationale de transport aérien « la RAM » a entrepris d’énormes efforts pour multiplier les possibilités de connexions avec l’Afrique à partir de la ville de Casablanca qui ambitionne de se positionner en tant que Hub pour le transport aérien vers l’Afrique. Actuellement, la RAM relie Casablanca à 3O pays africains et 26 villes de l’Afrique subsaharienne. Ce qui permet à la RAM d’assurer le transport de 1,4 millions de voyageurs du continent. Après Nairobi, la RAM a pour objectif d’élargir son réseau pour couvrir aussi des villes de l’Est africain dont notamment Addis-Abeba, la Capitale éthiopienne, siège de l’Union Africaine.
Si des efforts colossaux ont été déployés au niveau du transport aérien avec l’Afrique, beaucoup reste à faire pour améliorer la fréquence des liaisons maritimes en cherchant de faire de Tanger Med un hub pour le transport maritime en direction des ports africains. Le Maroc se place à la tête des pays africains les mieux connectés en matière de transport maritime. Pour consolider cette position, , la CMA/CGM, premier armateur français et troisième mondial de transport maritime a lancé, en 2017, une liaison maritime aérienne hebdomadaire entre le Maroc et l’Afrique de l’Ouest.
Selon certains statistiques, un volume de trois millions de tonnes de marchandises sont expédiées annuellement du Maroc vers l’Afrique par voies terrestres et surtout maritimes.
La stratégie marocaine qui a accordé, il y a quelques années, une priorité quasiment absolue aux relations bilatérales, a connu un tournant décisif suite au retour du Maroc à l’Union Africaine ,en 2017, et à la présentation officielle de sa demande d’adhésion à la CEDEAO( Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest- ECOWAS). Une adhésion qui devrait être définitivement actée lors du 52ème sommet de la CEDEAO, qui a eu lieu à Abuja, la Capitale nigériane, le 16 décembre 2017, en lieu et place de Lomé.
Lors de ce sommet délocalisé, les 15 membres de la CEDEAO ont décidé de reporter l’examen de cette adhésion à une date ultérieure. Un comité composé de 5 chefs d’Etats ou de gouvernements des pays membres de la CEDEAO (Nigéria, Guinée, Cote d’Ivoire, Togo et Ghana) a été mandaté pour superviser l’étude approfondie des implications de l’adhésion du Maroc, de l’octroi de statut de membre- observateur pour la Tunisie et celui de membre-associé pour la Mauritanie. Il y a lieu de rappeler que la Mauritanie avait quitté la CEDEAO en 2000.
Normalement un pays puise sa force dans une intégration sous-régionale. La proximité géographique et le voisinage immédiat ainsi que l’appartenance à un espace culturel et linguistique commun sont des facteurs qui favorisent une intégration régionale qui permet une libre circulation des personnes et des marchandises. Or, le Maroc a pris la décision de tourner le dos à l’Union du Maghreb Arabe(UMA) et de se tourner vers sa profondeur africaine. Pourtant, le Traité instituant l’UMA a été signé au Maroc, le 27 février 1989, par les Chefs des 5 Etats membres de l’UMA à savoir le Maroc, l’Algérie, la Mauritanie, la Tunisie et la Libye. 28 ans après, l’espoir semble s’évaporer pour céder la place au doute et même à l’inquiétude. L’UMA souffre d’un immobilisme qui la pousse vers l’agonie, voire la disparition et la faillite pure et simple. C’est ce constat regrettable qui aurait poussé le Roi du Maroc, Mohammed VI, à consacrer une partie de son discours prononcé devant le 28ème sommet de l’Union Africaine ( 31 janvier 2017 à Addis-Abeba), à l’état désastreux et la léthargie dont souffre l’UMA depuis plusieurs années. Le Roi du Maroc a estimé, et à juste titre d’ailleurs, que la « flamme de l’UMA s’est éteinte parce que la foi dans un intérêt commun a disparu ». Le Roi du Maroc a déploré le fait que le Maghreb reste la région la moins intégrée de l’Afrique. A titre d’exemple, le commerce intrarégional qui est de l’ordre de 19% pour la SADEC, se situe à 10% au niveau de la CEDEAO, et seulement 3% pour l’UMA. Outre l’état de léthargie regrettable qui la caractérise depuis plus de deux décennies, l’UMA doit faire face à un autre facteur de blocage à savoir la fermeture des frontières terrestres entre le Maroc et l’Algérie, depuis le mois d’août 1994.
Rendre visite à des proches représente un vrai parcours du combattant pour les Marocains et les Algériens
L’on se rappelle que suite à l’attentat perpétré, le 24 août 1994 contre un hôtel de Marrakech, et qui a coûté la vie à deux touristes espagnoles, les autorités marocaines ont pris des mesures sécuritaires contre les ressortissants algériens dont le rétablissement de la formalité du visa. En guise de rétorsion, les autorités algériennes ont décidé de fermer les frontières terrestres entre les deux pays, un verrouillage absurde qui dure jusqu’à présent, soit plus de 23 ans après le malheureux incident du 24 août 1994. Evidemment, il s’agit d’une décision souveraine du gouvernement algérien qu’il faut respecter, car la sécurité et la gestion des frontières font partie des prérogatives des Etats. Néanmoins, le respect de cette décision unilatérale prise par le gouvernement algérien ne doit pas nous dispenser d’en évaluer la pertinence et les conséquences désastreuses sur les deux peuples frères. La ville marocaine d’Oujda est la victime première de cette fermeture des frontières. Ses pertes socio-économiques sont énormes. Des milliers d’emplois se sont évaporés, du jour au lendemain, à cause de l’interruption brusque des rapports commerciaux et autres, surtout avec les villes frontalières de l’Ouest algérien. Pour ceux qui ignorent l’Histoire d’Oujda et ses relations avec plusieurs villes de l’Ouest algérien dont notamment Tlemcen ou même Oran, il suffit de signaler que vers la fin de la décennie 40 du siècle dernier, une bonne proportion de la population de la ville marocaine d’Oujda était constituée d’Algériens. Dans un récit autobiographique, intitulé « Oujda qui m’habite », Ahmed Hammoumi, un algérien qui a vécu avec sa famille à Oujda jusqu’ à l’indépendance de l’Algérie, a bien décrit la vie d’une famille algérienne à Oujda, durant les années 40 et 50 du siècle dernier.
A l’instar de tous les Algériens qui vivaient au Maroc à cette époque, la famille Hammoumi considérait le Maroc comme une seconde patrie. Oujda, c’est aussi la ville de naissance et de jeunesse du Président algérien, Abdelaziz Bouteflika. La fermeture des frontières a eu des effets négatifs sur les économies de tous les pays de l’UMA et a privé les deux piliers de l’espace maghrébin (le Maroc et l’Algérie) de jouer pleinement leur rôle de locomotives. Le non-Maghreb coûte cher puisqu’il fait perdre plus de 2 points de croissance économique à chaque pays maghrébin. Le non-Maghreb, c’est aussi une perte annuelle de 10 milliards de dollars et des milliers d’emplois qui partent en fumée chaque année. La fermeture a encouragé des activités illicites de tout genre dont la contrebande, car les populations des régions impactées par cette fermeture se voient dans l’obligation d’aller chercher des revenus qui leur permettent de survivre, sans se soucier de la nature de leurs sources. Sur le plan humain, il suffit de donner un seul exemple pour illustrer les conséquences cruelles, inhumaines et partant inadmissibles de la fermeture des frontières : Au lieu de pouvoir rendre visite à ses proches algériens au bout d’une petite marche de quelques centaines de mètres, un marocain résidant au Sud-Est du pays, c’est-à-dire dans une localité située sur la frontière avec l’Algérie, doit passer toute une nuit en bus ( un millier de kilomètres), pour regagner la ville de Casablanca pour prendre l’avion à destination d’Alger ou d’Oran ( des centaines de Kms) puis voyager toute une nuit ou plus pour finalement se trouver, en face et à quelques mètres seulement de son village marocain, mais sur une terre algérienne. La même galère est vécue par un citoyen algérien habitant dans une zone frontalière proche d’Oujda.
Celui-ci, au lieu de pouvoir se rendre à Oujda ou toute autre ville marocaine sur la frontière, au bout de quelques minutes, il doit se rendre à Alger ou à Oran, prendre l’avion pour Casablanca puis le train ou le bus ou tout autre moyen de transport pour regagner Oujda. Des segments d’un voyage qui dure plus de deux jours. Il suffit de voir ces gens (marocains(es) ou algériens(es)) attendre avec des bagages et des petits enfants, dans les gares de train à Casablanca ou ailleurs, pour mesurer l’ampleur des conséquences désastreuses, sur le plan humain, de la fermeture des frontières. J’espère qu’un haut responsable algérien fasse un tel voyage pour se rendre, personnellement compte, de cette absurdité qui dure et qui risque de durer encore et pour une longue période car, il parait que cette question ne figure pas sur l’agenda du gouvernement algérien, au moins à moyen terme. De toutes les manières, les responsables algériens ont les moyens de regagner Oujda par avion en passant par une ville européenne, qu’ils auraient choisie pour passer des vacances.
Le Maroc qui a exprimé, à un moment donné, le souhait de voir les autorités algériennes se débarrasser de l’entêtement qui les habite et revenir à la raison, ne pourrait pas se permettre d’attendre encore et pour longtemps, une décision de la part du gouvernement algérien. C’est pourquoi il s’est engagé sérieusement dans le développement socio-économique de sa région orientale, tout en cherchant des organisations intergouvernementales sous- régionales alternatives, comme la CEDEAO.
La CEDEAO, une alternative à l’UMA
Avec l’adhésion du Maroc, la CEDEAO comptera 16 pays membres. Elle couvrira un vaste territoire de presque 5,83 millions de KM2 qui abrite une population de plus de 384 millions d’habitants. Son produit intérieur brut (PIB) serait de l’ordre de 750 milliards de dollars, ce qui en fera la 17ème puissance économique mondiale.
Avec le recouvrement de sa place au sein de l’UA et l’adhésion future à la CEDEAO, le Maroc se lance dans une nouvelle stratégie africaine. Après son retrait de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA, ancêtre de l’UA) en 1984, le Maroc a adopté une démarche qui accordait une priorité absolue aux relations bilatérales. A partir de 2017, le Maroc a dû rectifier le tir en adoptant une nouvelle approche axée sur un équilibre entre le bilatéral et le multilatéral. Ainsi, et tout en continuant à développer ses relations bilatérales avec la majorité des pays africains, y compris ceux qui étaient connus par des positions hostiles à la question nationale, le Maroc a renoncé à la politique de « la chaise vide » en décidant d’agir de l’intérieur de certaines organisations intergouvernementales régionales, dont notamment l’Union Africaine. La stratégie adoptée par le Maroc a ses spécificités, ses atouts et points de force. C’est une stratégie qui cherche à développer des relations bilatérales fructueuses sans négliger l’importance du multilatéralisme, accorde une importance cruciale aux relations économiques, que devrait soutenir une diplomatie culturelle et spirituelle. Le Maroc est un pays musulman modéré, sunnite et tolérant se réclamant du rite Malékite. Ce qui en fait le pays le plus proche spirituellement de la majorité des citoyens africains de confession musulmane. Ainsi, il parait clairement que le Roi Mohammed VI a mis le train sur les rails, les opérateurs africains et marocains doivent saisir les opportunités offertes pour ne pas le rater et faire perdre à l’Afrique des points de croissance.
L’Afrique a ses propres fortunes ostentatoires et ses entrepreneurs schumpetériens, il suffit de leur offrir un bon climat d’affaires
Au cours des dernières années, la croissance économique enregistrée par plusieurs pays du continent ont permis la constitution d’énormes fortunes privées. En deux décennies, de nouveaux magnats de l’Afrique ont pu construire des empires financiers capables de résister à la concurrence des multinationales étrangères. Il s’agit d’opérateurs économiques africains dont l’âge se situe entre 40 et 70 ans, des self-made –men issus généralement de milieux sociaux et économiques modestes. Selon le rapport publié en 2017 par l’institut sud-africain New World Wealth, en 2016, l’Afrique subsaharienne comptait 140.000 millionnaires, soit une augmentation de 40% par rapport à 2010. C’est-à-dire que chaque année, presque 6700 nouveaux millionnaires s’invitent dans le club des grosses fortunes de l’Afrique subsaharienne. Pour sa part, le cabinet Capgemini a estimé que la fortune cumulée par les millionnaires africains serait de l’ordre de 1500 milliards de dollars en 2017.Parmi ces nouveaux magnats de l’Afrique subsaharienne, on peut citer le milliardaire nigérian Tony Elumelu qui dirige l’une des plus grandes banques d’Afrique (UBA- United Bank of Africa). Il aussi à la tête du géant conglomérat Transcorp, très actif dans l’agroalimentaire, l’énergie et l’hôtellerie. M Elumelu a monté son propre fonds d’investissement ( Heirs Holding).Agé de 54 ans, Elumelu, fils d’une modeste restauratrice nigériane possède, aujourd’hui la 26ème fortune de l’Afrique. Sur le plan doctrinaire, Elumelu soutient la thèse du « ruissellement », une variante humaniste et éthique de la théorie économique libérale, selon laquelle les fortunes des plus riches profitent aussi aux plus pauvres dans la mesure où elles sont susceptibles « d’irriguer toute la société ». Pour encourager l’innovation, Elumelu a créé une fondation qui porte son nom. Doté d’un fonds de 100 millions de dollars, la fondation Tony Elumelu vise le financement des entreprises africaines innovantes.
Le sud-africain, Patrice Motsepe possède la huitième fortune d’Afrique. Une fortune qu’il a accumulée à partir de l’exploitation minière en Afrique du Sud. M Motsepe a créé sa propre fondation pour laquelle il a réservé, en 2013, la moitié de sa richesse estimée à l’époque à 2,9 milliards de dollars, pour soutenir des projets dédiés aux catégories des plus pauvres et aux plus nécessiteux.
Agé de 71ans, le milliardaire soudanais Mo Ibrahim, a créé en 2006 à Londres, sa propre fondation pour promouvoir la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption en Afrique. La fondation de M Ibrahim prévoit un prix de 5 millions de dollars étalé sur 10 ans en plus d’une prime annuelle de 200.000 dollars à vie pour tout chef d’Etat africain qui « a pu améliorer la sécurité, la santé et le développement des droits économiques et politiques dans son pays ».
Le millionnaire mauritanien, Mohamed Ould Bouamatou, a créé en 2015 une fondation pour l’égalité des chances en Afrique. Elle a pour objectif de soutenir financièrement des programmes d’aide pour l’éducation, la santé et la protection des droits de l’Homme : « Ce que veulent à présent les Africains, c’est pouvoir faire des affaires et prospérer sans passe-droits et sans courbettes devant tel ou tel système politique », a-t-il affirmé dans une récente déclaration faite à un journaliste européen.
Après avoir quitté le tartan, l’ex athlète éthiopien Hailé Gébrésélassié s’est lancé dans des affaires juteuses qui lui ont permis de décrocher une place parmi les multimillionnaires éthiopiens et africains. Fils d’une famille paysanne de dix enfants, Hailé Gébrésélassié gère à présent des affaires qui emploient 2000 salariés. Il possède 4 hôtels, des immeubles, une plantation de café et dirige un commerce florissant de voitures. Hailé compte créer, lui aussi une fondation dont les statuts sont déjà prêts. Selon l’institut New World Wealth, l’Ethiopie, naguère célèbre par ses longs cycles de famines dévastatrices, compte aujourd’hui plus de 2700 millionnaires.
La Cote d’Ivoire comptait 2300 millionnaires en 2015 dont notamment M Alain Kouadio, le fondateur du groupe familial Kaydan qui opère dans la téléphonie et l’immobilier. Un autre ivoirien, Mr Jean Kacou Diagou gère un des fleurons de l’économie ivoirienne, la Nouvelle Société interafricaine d’Assurance( NSIA). Mr Diagou se positionna, en 2015, parmi les 25 plus grosses fortunes de l’Afrique francophone.
Ces exemples montrent clairement que l’Afrique n’est pas synonyme de pauvreté, de famines et d’épidémies. C’est un espace comme tous les autres. Il peut donner naissance à de grosses fortunes.
Pour pouvoir développer l’Afrique, ces hommes d’affaires africains prônent« l’Africapitalisme », qu’ils présentent comme une doctrine économique et sociétale basée sur l’action du secteur privé, l’entreprenariat et l’innovation. Une philosophie libérale qui associe liberté d’action, honnêteté, bonne gouvernance et philanthropie. Pour ces hommes d’affaires, l’Africapitalisme est la voie idoine pour sortir l’Afrique du cercle vicieux du sous-développement.
Le Roi Mohammed VI a tracé la voie au niveau intergouvernemental en rencontrant un nombre important de chefs d’Etats africains y compris les chefs des Etats qui étaient connus par des positions hostiles à l’intégrité territoriale du Maroc, dont notamment l’Afrique du Sud et l’Angola. Pour leur part, les opérateurs marocains privés doivent jouer leur rôle dans un continent qui a ses fortunes et ses entrepreneurs honnêtes et efficaces en allant chercher des partenariats solidaires, durables et fructueux avec leurs homologues africains.Par ailleurs, les responsables gouvernementaux et les opérateurs privés doivent savoir que les disparités sociales et la répartition très inégale des revenus sont des facteurs qui peuvent freiner la croissance économique à moyen et long termes. En 2015, une étude du FMI a montré que plus la fortune des plus riches s’accroit, moins forte est la croissance économique. Lorsque les revenus des 20% des plus riches augmentent de 1%, le PIB baisse de 0,8 point au cours des cinq années qui suivent. En revanche, une amélioration de 1% des revenus des 20% des plus pauvres provoque une augmentation de 0,38 point du PIB.
A bon entendeur…
Par Ahmed Saber pour , Maghreb Canada Express (Édition Électronique – Décembre 2017)