Si le 52eme Sommet de la CEDEAO, organisé le week-end dernier à Abuja, n’a finalement pas acté, comme certains observateurs nationaux et africains l’avaient annoncé, l’adhésion du Maroc à la Communauté économique régionale la mieux intégrée politiquement et économiquement du continent, il a tout de même eu le mérite de clarifier les étapes de la procédure d’adhésion à laquelle le Royaume devra naturellement se soumettre.

En effet, le communiqué final du Sommet d’Abuja, fait état, dans son paragraphe 52, de la décision « de mettre en place un comité de Chefs d’Etat et de Gouvernement composé de la République Togolaise, de la République de Côte d’Ivoire, de la République du Ghana, de la République de Guinée et la République Fédérale du Nigeria pour adopter les Termes de Références et superviser l’étude approfondie des implications » des adhésions du Maroc, en tant que « membre », de la Tunisie en tant qu’ « observateur » et de la Mauritanie en tant que « membre associé ». Les paragraphes 53 et 54 de ce document sanctionnant les travaux du Sommet précisent que les questions d’adhésion « devraient être précédées par la mise en place de cadre institutionnel approprié qui devrait constituer la base juridique de telle décision et appellent la Commission de la CEDEAO à « engager immédiatement le processus d’élaboration d’un Acte communautaire approprié qui définira le processus de prise de décision ».

Il faut avoir à l’esprit qu’une adhésion à un groupement tel que la CEDEAO, qui assure la libre circulation des biens, des personnes et des services, aspirant à un régime de monnaie unique à l’échéance 2020, n’est pas chose simple sur le plan institutionnel, réglementaire et juridique. Il ne s’agit pas là d’une adhésion à une organisation essentiellement politique, comme l’Union Africaine, où la simple ratification de son Acte constitutif et des instruments d’adhésion par le Parlement marocain, a suffi, mais d’une demande d’adhésion à une zone de libre-échange, désignée en modèle d’intégration en Afrique. Dans ce cadre, il est normal, voire sain pour toutes les parties, que l’adhésion du Maroc, puissance économique africaine et premier investisseur africain en Afrique de l’Ouest, dont le dynamisme des entreprises et notamment des institutions bancaires et financières est une réalité dans cette région, suscite des interrogations, donc des inquiétudes, et soit soumise à un cadre de négociations bien défini.

L’Afrique de l’Ouest correspond au prolongement géographique naturel du Royaume, tant son enracinement à la fois économique, politique, culturel et cultuel à cette Région est incontestable. Au moment où la désunion d’un Maghreb, enlisé dans ses inerties, est une vérité, malheureusement constatée par tous, le Maroc, à la faveur de son action africaine volontariste, portée par la Vision de SM le Roi Mohammed VI, fait de son appartenance à un arc « Nord-Ouest africain » allant de Tanger au sud du Nigéria – dont le Royaume en est le pivot naturel de part son positionnement géographique et son poids économique – une réalité politique et une priorité stratégique. C’est parce que la présence économique en Afrique de l’Ouest du Royaume est une évidence du quotidien – où on peut consommer marocain à Dakar, avoir un compte dans une banque marocaine à Conakry, habiter dans un logement construit par des entreprises marocaines à Abidjan et avoir un opérateur téléphonique marocain à Bamako – et que la densité des partenariats politiques bilatéraux entre le Maroc et les différents pays de la zone matérialise les liens d’exceptions unissant le Royaume à la Région, que le Maroc a exprimé son souhait légitime d’intégrer la CEDEAO.

Cette demande d’adhésion a été « enregistrée » lors du 51eme Sommet de la CEDEAO, à Monrovia en Juin dernier, où les pays membres ont exprimé leur « accord de principe », dans la version française du communiqué final de ce Sommet, qui dans sa version originale en anglais, évoque plus subtilement les termes « takes note » (« prend note » – paragraphe 59) et « supports in principle » (« soutient en principe » – paragraphe 61). Subtilité qu’on comprend mieux aujourd’hui à la lecture des décisions du 52eme Sommet, d’autant plus, que rien n’indiquait clairement, contrairement à ce qui avait été annoncé, que le Sommet d’Abuja acterait l’adhésion du Maroc à la CEDEAO.

Ce qui était une forme d’acceptation ambiguë à Monrovia peut être, aujourd’hui, suite au Sommet d’Abuja, qualifié d’appel à une négociation encadrée. Ce changement de posture, qui n’en est pas un en réalité, tant l’adhésion du Royaume à la CEDEAO, a, depuis son annonce, comme me l’avaient d’ailleurs indiqué, « en off », plusieurs ministres de la zone lors de la dernière édition des MEDays, suscite d’importantes réticences de la part des acteurs économiques et industriels locaux. Si le Nigéria, qui représente près de 70% du PIB de la CEDEAO, a exprimé plusieurs fois, à travers les déclarations de son Patronat, qui a même menacé de retirer son soutien au Président Buhari, ses inquiétudes et son opposition à l’adhésion du Maroc, des alliés traditionnels du Maroc, comme le Sénégal et la Côte-d’Ivoire, formulent à travers leurs opérateurs économiques leurs craintes et leur appréhension.

Leurs arguments, strictement économiques, sont nombreux : arrivées, sans frais de douane, sur le marché ouest-africain de produits marocains (européens, turcs, ou américains du fait des ALE) plus compétitifs, entraves potentielles à la libre circulation des biens et des personnes, flexibilité du dirham par rapport au Franc CFA, inquiétude du poids de la Banque Centrale marocaine sur la future monnaie unique, remise en question du critère géographique ouvrant la voie à l’élargissement à d’autres pays pouvant à terme menacer le fonctionnement de l’organisation, ou encore la mise à mal de certains principes de convergence réglementaire et institutionnelle. Ces inquiétudes sont légitimes et suffisamment sérieuses pour être considérées et prises en considération par le Maroc. Il ne faut voir dans cette nouvelle étape de discussion qui s’ouvre, qu’une phase préliminaire classique, avant-adhésion, à une organisation sérieuse et crédible, et non pas la conséquence d’un plan ourdi par des alliés de la pseudo « rasd » par crainte du Maroc.  Je le redis, il est sain et normal que ces questions soient posées sur la table de négociation. Penser le contraire serait violer l’esprit de fraternité et d’amitié sincère et solidaire qui nous lie aux populations ouest-africaines. Les réticences et les inquiétudes accompagnent et accompagnerons toujours les adhésions à des Communauté économiques ou la mise en œuvre d’accords de libre-échange. C’est le lot d’une économie régionale et internationale mondialisée.

L’adhésion à une Communauté économique régionale, telle que la CEDEAO, appartient au temps moyen et long. La convergence réglementaire vers les acquis communautaires ne se fait pas du jour au lendemain. Le Maroc, qui a une longue expérience avec les ALE, le sait bien. Aujourd’hui, dans le cadre de son adhésion à la CEDEAO, la puissance économique c’est lui. L’expérience du Royaume avec l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), aurait dû l’alerter quant à la difficulté d’une adhésion, sans négociations, à la CEDEAO. En effet, depuis 2000, le Maroc a initié avec les huit membres de l’UEMOA (zone CFA) des négociations pour la mise en place d’un accord préférentiel de commerce et d’investissement, prévoyant l’abolition partielle des droits de douane (diminution de 50% des droits de douane sur une liste de 250 produits). Paraphé fin 2008, l’Accord Commercial et d’Investissement avec l’UEMOA n’a toujours pas été signé et ratifié. Les raisons de ce retard et les réticences de certains membres de la CEDEAO face à l’adhésion du Royaume se confondent.

Dans les faits, la demande d’adhésion du Maroc a créé une division au sein de la CEDEAO. Quatre pays, le Nigéria, le Ghana, la Côte-d’Ivoire et le Sénégal, qui sont les quatre principales économies de la zone, ont émis d’importantes réserves. Il n’est d’ailleurs par fortuit que trois des quatre Chefs d’Etats de ces pays aient été mandatés, par le 52eme Sommet de la CEDEAO, pour adopter les termes de références et étudier les implications de l’adhésion du Maroc. Les autres membres semblent être plus ouverts. Le Royaume doit considérer cette nouvelle phase de négociations et de discussions comme une opportunité à saisir pour lever toutes les réticences, qui accompagnent sa demande d’adhésion, que nous devons considérer comme légitimes. C’est dans ce contexte, que SM le Roi Mohammed VI, une nouvelle fois présent sur le terrain, à travers la démarche proactive qui le caractérise, se rendra dès cette semaine en Guinée, pour donner encore plus de substance au partenariat d’exception qui lie les deux pays et démontrer ainsi que le Maroc et les pays ouest-africains sont membres d’une seule et même communauté de destin.

La démarche Royale doit impérativement être accompagnée par une stratégie transversale de tous les instants, conduite par les acteurs économiques marocains présents en Afrique, la CGEM, mais également les Think Tanks nationaux. Soyons volontaristes et prenons tous nos responsabilités ! Aux réticents, expliquons-leur que l’adhésion se fera graduellement, à travers des mesures de protection et une période transitoire, chapitre par chapitre (une fois qu’ils seront arrêtés et définis par la Commission de la CEDEAO), en prenant en compte les spécificités et les intérêts des deux parties, dans le cadre d’une vision gagnant-gagnant, telle que prônée et portée par le Souverain. Rappelons, que le Maroc ne saurait se soustraire aux dispositions du Tarif Extérieur Commun de la CEDEAO, qui protège les pays membres à travers des clauses sauvegarde des appareils productifs nationaux, pouvant être enclenchées en cas de menace sérieuse. Insistons sur la valeur ajoutée du Maroc au sein de la CEDEAO, qui peut être un modèle à suivre dans bon nombre de secteurs pour les pays de la zone : partenariats public-privés, financement, investissements, infrastructures, dynamisme des entreprises, formations, agriculture, etc. Signalons que l’adhésion du Maroc à la CEDEAO fera de cette zone la 16eme puissance économique mondiale. Ce nouveau statut entrainera de fait de nombreux investissements internationaux et accélèrera le flux des capitaux étrangers vers la Région, d’autant plus que le Maroc est aujourd’hui considéré comme un Hub principal d’investissement vers l’Afrique de l’Ouest. Soulignons enfin, que le Royaume n’a pas attendu d’être membre de la CEDEAO, pour initier et co-conduire avec le Nigéria, première puissance économique africaine, le méga projet du gazoduc Nigéria-Maroc, d’une longueur supérieure à 4000 km. Ce projet, concrétisé à Rabat en mai dernier, lors de la cérémonie de lancement officiel, vise à relier le Nigeria au Maroc et, à terme, à l’Europe, en traversant une douzaine de pays sur la façade atlantique, suscite un réel enthousiasme en Afrique de l’Ouest. Et pour cause, de grandes disparités persistent dans ces pays quant à la production et à la consommation énergétique. Alors que le Nigéria occupe la 22eme place en termes de production mondiale de gaz, certains pays de la zone sont contraints d’importer le gaz en quantités importantes de diverses origines et voient, de ce fait, leur économie impactée. Le gazoduc permettra également de répondre aux problématiques liées au secteur énergétique, dont la production et la consommation d’électricité, rencontrées par ces pays. En plus d’une promesse de création d’emplois, ce projet s’attaque aux problèmes d’électrifications qui, jusqu’alors, constituent un frein au développement de la région.

Le processus d’adhésion du Maroc à la CEDEAO est donc entré dans une double phase, celle de l’action politique et diplomatique, à travers les initiatives et les interactions de SM le Roi Mohammed VI, mais également celle de la négociation stratégique, à travers une task force impliquant l’ensemble des acteurs concernés pour lever les inquiétudes et les réticences que nous devons considérer comme légitimes.

Brahim Fassi Fihri
Président fondateur de l’Institut Amadeus

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