Aux pires moments de la Première guerre mondiale, Churchill disait à ses soldats souffrant le martyr dans les tranchées : ‘’Ne dites pas en vous apitoyant sur votre sort: Je suis blessé, mais écriez-vous de joie : Je suis vivant !’’
Et Churchill ne faisait pas partie de ces donneurs de leçons et de conseils à distance : Quand il fut mis à la porte du gouvernement (après l’échec de son offensive des Dardanelles contre les Turques alliés, en ces temps-ci, de l’Allemagne) , ravalant son humiliation, et au lieu de rester dans sa retraite à ruminer sa déception, Churchill partit en France et s’engagea dans l’armée.
Sitôt l’uniforme enfilé, et Colonel qu’il fut, il monta au Front, dormait parmi les simples soldats dans les tranchées boueuses et fut de toutes les attaques meurtrières dans son secteur, et ce, toujours en première ligne… sans jamais se faire blesser !
Pourquoi parler de guerre, de soldats et surtout de Résilience pour rendre hommage à cet ami qui vient de partir sans un au-revoir ? Tout simplement parce que cet ami est, ne serait-ce que pour moi, le symbole de la Résilience !
Comme toutes ces personnes issues des classes marocaines pauvres à moyennes nées durant la première décennie ayant succédé à l’indépendance du pays et qui croient que la victoire contre la précarité passe par l’acquisition du Savoir, Abdelhak Eddoubi partit, la fleur à la bouche, faire sa guerre à sa façon et à l’extérieur du pays.
Sa quête de victoire et de Savoir le conduisit en Tunisie où il entama des études d’Expert-comptable à la Faculté des science économiques et de gestion de Sfax.
Là il fit la connaissance d’une jeune marocaine étudiante en Sciences de la gestion , Saadia Bahli, qui va devenir la compagne de sa vie jusqu’à son dernier souffle.
Ils se marièrent sur le champ !
Mais au moment où il s’apprêtaient à rentrer au Maroc partager avec les leurs le bonheur de leur union et celui de l’obtention de leurs diplômes, le destin frappa durement : La voiture qui les ramenait ce soir chez eux fit une sortie de route et alla s’écraser contre un arbre si je me souviens de ce que m’avait raconté un jour Abdelhak à Montréal .
Par la suite, et malgré un va-et-vient d’environ 2 années entre les hôpitaux spécialisés de France et de Tunisie, le verdict fut sans appel : Abdelhak ne pourra plus jamais marcher et il fut condamné à passer le restant de ses jours cloué à un fauteuil roulant.
Beaucoup auraient perdu le goût de la vie, sombré dans la déprime et se seraient transformés en zombies, en morts-vivants après un tel verdict. Pas Abdelhak, cet Homme qui rêve, qui transforme en projets ses rêves… pour finir par les vivre dans toute leur splendeur en plein jour !
Au revoir l’Afrique et bonjour l’Amérique !
Abdelhak décida de changer de carrière pour rompre avec le mauvais sort. Il s’inscrit à l’université Laval et arriva au Québec en janvier 1991 pour entamer des études en sciences comptables couronnées ensuite d’une Maîtrise, laquelle fut suivie sur le champ d’un PH.D. en Administration scolaire.
Et c’est après cette étape que je fis la connaissance d’Abdelhak dans une caserne militaire de Montréal.
Abdelhak fut embauché par la défense nationale pour mener à bien je ne sais quel projet qui le conduisit de succès en succès dans sa brillante carrière dans plusieurs administrations canadiennes.
Mais ce n’était pas pour parler de l’armée que je le rencontrai dans cette caserne. Ce fut pour l’envoi d’un container de matériel médical et paramédical au Maroc. Car parallèlement à sa vie professionnelle très chargée, Abdelhak cofonda à Montréal une association ayant pour mission de venir en aide aux personnes démunies en général et à mobilité réduite en particulier , qui résident au Maroc ; c’est l’Association de solidarité Canada-Maroc. (ASCM).
Depuis sa création (le 15 mars 2002), l’ASCM réalisa plusieurs opérations dans plusieurs régions du Maroc (Meknès, Casablanca, Province d’El Jadida, Laâyoune, Safi, et Azilal).
En 2004, et après l’envoi du (seul) container d’aide médical et paramédical aux sinistrés du tremblement de terre d’Al Hoceima (Maroc), nous avions écrit au sujet de cette association : ‘’Relevés bancaires en ligne , contrôle de la distribution des dons sur le terrain par des organismes indépendants, réalisation effective de projets souvent ambitieux, l’ASCM est en train de s’imposer comme leader dans le domaine de l’aide aux handicapés et aux plus démunis du Maroc… Un leader qui agit d’abord et parle ensuite. .. En toute transparence..!’’
Retour au Maroc
Interrogé sur le pourquoi de son retour au Maroc, alors qu’il avait une très bonne situation au Canada, Abdelhak répondit à une journaliste du journal québécois ‘’Le Devoir’’ : ‘’J’ai quitté le Maroc mais le Maroc ne m’a jamais quitté’’.
Abdelhak retourna avec sa femme au pays il y a une douzaine d’année environ . Il y fut collaborateur du Président du conseil supérieur de l’enseignement (2008-2009) pour la réalisation du 1er rapport sur l’évaluation du système éducatif au Maroc.
Il regagna ensuite l’OCP en tant que Conseiller pour se voir confier enfin d’importantes responsabilités concernant la mise sur pied et le fonctionnement de l’université Mohammed VI de Bengrir
Ce 22 juillet 2020, Abdelhak s’est libéré de sa chaise roulante et son âme d’aigle s’est envolée vers son créateur à l’âge d’à peine 58 ans. Adieu l’Ami . Ce n’est plutôt qu’un Au-revoir !
Par Abderrahman El Fouladi, pour Maghreb Canada Express, Vol. XVIII, N°08 , page 03, AOÛT 2020.