Habib Bourguiba ancien président de Tunisie réputé pour sa modernité à l’image du Turc Mustapha Kemal disait : « J’imposerai la liberté de la femme et ses droits par la force de la loi, sans attendre la démocratie de ceux qui ont été leurrés par une culture machiste au nom de la religion, qui est en est innocente. »

Des années plus tard, comme on peut le lire sur la première page du « Canard » du 25 avril dernier, près de 2000 personnes –  des femmes en grande majorité- ont défilé, le 10 mars à Tunis, pour réclamer l’égalité des sexes en héritage.  Comme dans d’autres pays musulmans, la femme tunisienne n’a droit en effet, qu’à une demi-part successorale. « Au garçon, la part de deux filles », commande aussi le Coran. Une disposition sacrée que la Commission des libertés individuelles et de l’égalité, en Tunisie, pourrait remettre en question.

Politique des petits pas

Instaurer cette égalité impliquerait de modifier le code successoral afin que les hommes n’héritent plus systématiquement du double de ce qui est légué aux femmes, une mesure fondée sur le droit islamique.

Cette question reste tabou dans le monde arabe, et plusieurs sondages laissent entendre qu’une majorité de Tunisiens sont opposés à l’égalité en matière d’héritage.

L’égalité en matière d’héritage est un des dossiers confiés à la commission pour les libertés individuelles, mise sur pied par la présidence pour réformer lois, directives et autres textes entravant ces libertés.

Son rapport initialement prévu en février, et repoussé à juin, devrait préconiser une politique des petits pas, a indiqué un membre de cette commission sous couvert de l’anonymat.

La commission pourrait ainsi proposer aux familles qui le souhaitent de pouvoir choisir de répartir « également » l’héritage entre fils et filles, sans imposer cette égalité dans la loi.

Révolution juridique

L’écrivain et journaliste Kamel Daoud disait que cette démarche des femmes tunisiennes est « la plus grosse révolution juridique dans le monde dit arabe depuis des siècles. » (« Le Point 19/04).

Comme le rappelle le vice-président du Conseil français du Culte musulman, « les versets du Coran, révélation divine, s’ils peuvent être interprétés, ne peuvent être abrogés. » (« Le Monde », 24/04). Et sont donc défendus par des traditionalistes qui jonglent entre legs testamentaires (wasyya »), héritage transmis par la loi (« warth ») et donation de son vivant (« atyya ») pour dire que l’héritage coranique est égalitaire, car l’homme a payé la dot et prend en charge le foyer.

L’égalité, un droit et non une faveur

On se demande pourquoi Habib Bourguiba qui a pourtant qui a pourtant gouverné la Tunisie très longtemps ne s’était pas attaqué à cette loi qui défavorise les femmes.

Lors du jour de la femme en Tunisie, le 13 août dernier, le président tunisien Béji Caïd Essebsi s’était engagé à reprendre le flambeau réformateur inachevé du président de l’indépendance, Habib Bourguiba, et à mettre les lois en conformité avec la Constitution de 2014 qui instaure l’égalité entre les citoyens et les citoyennes.

« Le penseur réformiste de la mosquée Zitouna, Tahar Haddad, avait appelé dès 1930 à abolir la polygamie, permettre le divorce et instaurer l’égalité en matière d’héritage, rappelle Mohamed Haddad, professeur d’islamologie et de religions comparées à l’université de la Manouba à Tunis. Le président Bourguiba avait réalisé les deux premières réformes, mais il avait renoncé au sujet tabou de l’héritage. Le président Essebsi voudrait l’accomplir et laisser une trace dans l’histoire ».

Il n’y a pas qu’en Tunisie que la femme souffre d’inégalité, il faut avoir en mémoire qu’en France, le droit de vote pour les femmes a été instauré le 21avril 1944, alors qu’en Turquie c’était en 1934.

Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Alors, pourquoi parler plus spécifiquement des droits des femmes ? Parce que, contrairement aux engagements pris, aucun État n’a encore complètement traduit dans les faits ni la Convention des Nations unies sur l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard des femmes ni la Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes ni la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (dite «Convention d’Istanbul»).

Aussi, s’appuyant sur ces textes essentiels, Amnesty International s’est engagée à soutenir la lutte des femmes pour leurs droits fondamentaux dans le monde entier.

Comme l’écrivait si bien Simone de Beauvoir : « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. »

Par Mustapha Bouhaddar pour Maghreb Canada Express, page 12, Vol. XVI, N° 06, Juin 2018

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