Dans l’émission de Laurent Ruquier où vous officiez tous les samedis, vous dites : « le but avec les juifs pendant la guerre, ça a bien été de les exterminer, de les tuer, et ça introduit une différence fondamentale, alors qu’on veut confondre avec par exemple l’esclavage et l’esclavage des Noirs envoyés aux États-Unis ou ailleurs, et où c’était exactement le contraire. C’est-à-dire l’idée, c’était qu’ils soient en pleine forme, en bonne santé pour pouvoir les vendre et pour qu’ils soient commercialisables. Donc non, ce n’est pas vrai que les traumatismes sont les mêmes, que les souffrances infligées aux peuples sont les mêmes ».

Est- ce que vous savez que la plupart des esclaves qu’on transporte sur des bateaux de fortune, pendant des mois, enchainés comme du bétail, empilés les uns sur les autres, dans leurs excréments, dans leurs sueurs. La plupart mourraient de maladie, de faim ou tout simplement de mauvais traitement. Et c’est ça que vous appelez prendre soin de la santé des esclaves !

Vous dites : « finalement l’esclavage, n’est pas une forme d’extermination, ce n’était pas un génocide », est ce que vous savez, que dans le sud des États-Unis, il est tout à fait normal de tuer les noirs, de les pendre, de les lyncher systématiquement, et de les brûler sur la place de la République, comme pour le lynchage de Jesse Washington à Waco au Texas le 15 mai 1916. Et les organisations du KU Klux Klan qui avaient pour seul but d’éradiquer tous les noirs qui se trouvent aux États-Unis, juste comme ça pour le plaisir. Est-ce que pour vous ce n’est pas une sorte de génocide ?

Comme l’a si bien formulé Madame Christiane Taubira, vous avez un esprit sacrément tordu pour vouloir comparer les tragédies humaines entres elles. Il faut être particulièrement inculte pour penser que l’esclavage a pu être cela à n’importe quelle période et en particulier en cette longue période spécifique où l’esclavage a été organiquement lié à la traite, c’est-à-dire en clair au commerce d’êtres humains, à la vente et à l’achat de femmes, d’hommes, d’enfants, au point qu’il leur a fallu inventer des théories raciales, et racistes, pour justifier leur commerce. Et montrer de la désinvolture, face à une réalité humaine aussi massive et aussi douloureuse, est une marque d’immaturité et l’attitude est obscène. Et puis quand même, il faut une dose extraordinaire d’imbécilité pour s’habiller, sortir de chez soi, passer au maquillage, entrer sur le plateau d’une télévision publique et déblatérer en proférant des énormités archaïques et odieuses, autant qu’elles sont invraisemblables. Vous voyez que nous n’avons pas à nous en faire, il y a des gens à qui nous n’avons rien à dire, parce qu’il n’y pas entre nous le minimum essentiel : la conviction de l’unité de l’espèce humaine, la certitude que dénier sa dignité à une seule personne au monde met en péril l’espèce toute entière. Nous n’avons rien à dire à des personnes qui ne savent pas qui nous sommes : survivants obstinés, résilients magnifiques, voilà ce que nous sommes.

Prenons le cas d’un noir américain, né dans cette république étincelante, quand vous êtes enfant, vous êtes innocent, et pour vous tout le monde est blanc. Et n’ayant pas encore utilisé de miroir, vous pensez l’être aussi. Cela fait un choc, à l’âge de 6 ou 7 ans, alors que vous étiez du côté des blancs contre les Indiens, de découvrir que les indiens c’est vous. Cela fait un choc de découvrir que votre pays de naissance, auquel vous devez votre vie et votre identité, n’a jamais dans son système de fonctionnement, créé de place pour vous.

Bien sûr, vous Madame Angot, vous êtes blanche, vous êtes écrivaine, vous avez le micro,  une sorte de pouvoir. Vous vous exprimez à l’heure d’une grande écouté devant des millions de téléspectateurs, vous donnez votre avis.

Le comble, c’est que Ruquier qui ne s’est jamais intéressé au sort des noirs, a invité des intellectuels noirs pour sa dernière émission pour parler de la mémoire des esclaves. Il l’a fait pour éteindre le feu que vous avez allumé, autrement, il n’aurait pas invité ces braves écrivains et historiens noirs.

Oui Madame Angot, l’histoire des noirs n’intéresse personne.  Mais gardons d’être pessimiste. Et comme le disait l’écrivain américain James Baldwin, il y a 40 ans : « Je ne peux pas être pessimiste, car je suis vivant. Pour un pessimiste, la vie humaine est une matière académique. Je suis forcé d’être optimiste, forcé de croire que chaque obstacle peut être surmonté. Cependant, l’avenir des noirs de ce pays, sera soit radieux, soit sinistre, suivant l’avenir de notre pays. Il ne tient qu’au peuple américain, et à ses représentants, de décider ou non, de regarder en face, et d’embrasser, cet étranger qu’ils ont si longtemps calomnié. Les blancs doivent chercher à comprendre pourquoi, dans leur cœur, la figure du nègre leur était nécessaire. Je ne suis pas un nègre, je suis un homme. Je suis un nègre car vous en avez besoin. Ce que la population blanche du pays doit se demander, au Nord comme au sud, car c’est un seul pays. Cela revient au même pour les noirs. La différence se fait juste dans la manière dont on vous castre, mais la castration elle-même est un fait américain. Si je ne suis pas un nègre, et si vous, les Blancs, l’avez inventé, vous devez comprendre pourquoi. L’avenir de ce pays repose sur votre volonté d’y réfléchir. »

Madame Angot, hiérarchiser le génocide, c’est une vision raciste qui a pour but de normaliser l’exploitation de masse de ceux que le racisme a déshumanisé et construit comme bien-meubles, à savoir les Africains. « On n’avait pas l’intention de les tuer, juste de les exploiter » disent-ils, jusqu’à la mort. Mort physique en masse : durant la traversée notamment et une fois arrivés, à cause des conditions inhumaines de terreur inhérentes à ce système, seules à mêmes d’assurer son fonctionnement. En effet, personne n’ayant pour projet de se soumettre de plein gré à une telle exploitation, celle-ci ne peut résulter que de la contrainte absolue, contre laquelle la résistance ne peut être elle aussi qu’absolue : il s’agit des révoltes d’esclaves dont la finalité – malheureusement de nombreuses fois avortée – était l’abolition de l’esclavage et pas de « meilleures conditions de travail ». Mort, également, sociale pour ceux qui restent en vie. Systèmes culturels, politiques, économiques brisés. Coût démographique pour l’Afrique, etc. Donc si l’extermination n’était intentionnelle, le résultat est pourtant bien là.

Que vous le voulez ou pas, il va falloir que vous intégriez, le fait que les noirs, ont vécu un génocide atroce et que nul  n’a pas le monopole de la souffrance.

Par Mustapha Bouhaddar pour Maghreb Canada Express, page 13, Vol. XVII, N°7 , JUILLET 2019

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