En ce moment en France au point de vue médiatique, politique, sociologique, c’est difficile d’être musulman. Au point où vont les choses, je redoute le pire.
En effet, quand le ministre de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer invité sur le plateau de BFMTV, dit : « Le voile n’est pas souhaitable dans notre société. » Le tout en plein débat politique sur le port du foulard par les mères qui accompagnent leurs enfants en sortie scolaire. Trois jours plus tard, Jean-Michel Blanquer a tenu les mêmes propos, cette fois-ci au micro de France Inter. « Est-ce qu’on doit se réjouir du développement du voile dans la société et chez des mères d’écoles accompagnatrices? Non, je ne peux pas m’en réjouir! Sinon, il faudrait que j’abandonne l’objectif d’égalité hommes femmes auquel je tiens. »
Le ministre de l’Education, mal éduqué devrait plutôt s’occuper du sort des professeurs, qui s’immolent à l’image de cette directrice d’école dans le département du 93, pour savoir si une femme voilée peut accompagner les enfants pour une sortie ou pas. La question est de savoir, de quel droit, ce ministre se permet de semer la haine dans les communautés et dans le vivre ensemble.
Où peut-on porter le voile islamique en France et dans quelles circonstances ?
Les fonctionnaires, quelles qu’elles soient, ne peuvent pas l’arborer: les agents publics, qui travaillent au service et au contact des usagers, tout comme ceux qui exercent une mission de service public – par exemple le personnel d’une Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) -, sont soumis à une obligation de neutralité et de laïcité. Ils ne peuvent donc manifester, dans l’exercice de leurs fonctions, leurs convictions religieuses, tant à l’égard des usagers que vis-à-vis de leurs collègues. En revanche, ce devoir ne s’impose pas aux usagers des services publics: le principe de laïcité leur garantit la liberté de conscience, donc la possibilité de manifester leurs convictions religieuses, sous réserve de ne pas troubler l’ordre public.
Cependant, les élus eux, ne sont pas soumis à la loi de neutralité. Une femme voilée peut ainsi se présenter sur une liste électorale, et garder son foulard lors d’un conseil municipal.
Une surenchère sans fin contre les femmes voilées
Alors que les musulmans ont globalement respecté la loi de 2004 sur les signes religieux à l’école, la tension autour du voile n’est pas retombée. Pire : un lien dangereux s’est établi dans le débat public entre visibilité de l’islam et terrorisme, deux phénomènes distincts. Comme on peut le lire dans « La Tribune », du 17/10/201, sous la plume de Haoues Seniguer maître de conférences en science politique, c’est lui qui souligne : « A tort ou à raison, l’on pouvait espérer après le vote de la loi du 15 mars 2004 sur les signes religieux dans les écoles, collèges et lycées publics, un apaisement, voire un reflux des tensions autour du foulard dit «islamique».
En toute bonne foi et pour commencer, chacun devrait pouvoir reconnaître que, dans les faits, les musulmans s’y sont généralement rigoureusement conformés ; ils ont globalement joué le jeu, et ce, bon gré mal gré. On ne peut à cet égard nier leur légalisme. Pour autant, objectivement, ce constat, rarement signalé d’ailleurs, n’a en aucune façon fait retomber le niveau de tension, de controverse et de polémique à répétition au sujet du symbole religieux (réel ou supposé) en question.
Bien au contraire : un discours dépréciatif, sinon ouvertement prohibitionniste, s’est solidement installé dans le pays ; à ce propos, les querelles vont crescendo, a fortiori à chaque fois qu’un événement malheureux survient, en particulier des actes de violence commis au nom de l’islam. C’est précisément là où le bât blesse et, à ce titre, l’on devrait tous s’interroger un instant. »
Toujours selon Haoues Seniguer, « il faut impérativement souligner qu’un type particulier d’amalgame et de reductio ad «islamismus» pose toute une série de problèmes à la fois d’ordre analytique et moral. Car d’une part, un lien éminemment insidieux est quasi systématiquement établi d’un côté entre visibilité de l’islam dans l’espace public, notamment au travers du voile, et de l’autre terrorisme et violences, comme s’il existait effectivement une causalité ou un continuum évident entre deux phénomènes pourtant parfaitement distincts. D’autre part, il est devenu récurrent d’indexer nos discussions sur le foulard sur ce qui se passe dans des pays notoirement autoritaires et répressifs qui, il est vrai, obligent des femmes, à la différence des régimes démocratiques, à porter un voile, à l’instar de l’Iran ou de l’Arabie Saoudite.
En France, jusqu’à preuve du contraire, les femmes ne sont pas contraintes de le porter ni de le retirer, hormis en des lieux définis par la loi. Enfin, dans le débat public, on associe à tort et (surtout) à travers port du foulard et islamisme, lequel doit être compris comme une idéologisation de la religion musulmane aux fins de subversion de la République et de promotion de lois spécifiques aux musulmans. Soyons une fois de plus tout à fait clair sur ce point : nous ne nions pas que les Frères musulmans, néo-Frères musulmans ou (néo-) islamistes évoluant ici ou ailleurs, soient d’une certaine façon obsédés par la visibilité de l’islam et le foulard. Ils ne sont objectivement pas les seuls obsédés du voile, puisque désormais nombre de ceux qui les combattent le sont tout autant.
Force est d’admettre que le choix opéré aujourd’hui par beaucoup de celles qui le portent s’est largement émancipé et autonomisé de la matrice-tutelle islamiste originaire, en ce sens qu’il n’y a pas ou plus forcément, à la racine, de motivation idéologique dans la décision de revêtir un voile. Latifa Ibn Ziaten, la maman d’Imad Ibn Ziaten, le militaire victime du terroriste Mohamed Merah, ne peut aussi censément que décemment être soupçonnée d’une quelconque complaisance avec l’islam politique ou, pis, avec le jihadisme. »
Edouard Philippe ne souhaite pas de loi sur les accompagnants scolaires
D’après « Le Monde » du 15/10/2019, le premier ministre Edouard Philippe s’est efforcé, de clore une nouvelle polémique sur le port du voile islamique par les accompagnatrices de sorties scolaires, en réaffirmant la primauté de la loi.
Lors des questions d’actualité à l’Assemblée nationale, il a rappelé que le voile islamique était interdit à l’école mais que la loi n’interdisait pas qu’il puisse être porté par des étudiantes ou des mères accompagnant les sorties scolaires.
« On peut porter un voile quand on accompagne une sortie scolaire mais on n’a pas le droit de faire du prosélytisme et les autorités peuvent et doivent intervenir si tel est le cas », a-t-il déclaré, affirmant que la loi n’avait pas besoin d’être changée en la matière. « Je ne pense pas, pour ma part, que l’enjeu aujourd’hui ce soit de faire une loi sur les accompagnants scolaires », a-t-il affirmé, en réponse à une proposition de loi en ce sens des parlementaires Les Républicains (LR).
Ce n’est pas le voile qui pose problème, c’est plutôt le musulman.
Il faut que le ministre de l’Education sache que les mamans voilées, ne demandent pas un aménagement de la loi ou des lois propres pour accompagner leurs enfants ou des enfants en sorties scolaires ; elles s’en tiennent rigoureusement aux règles élaborées jusqu’alors par le législateur. Aussi, elles ne les contestent pas ni ne cherchent à les contourner ou, pire, à les pervertir. Ces femmes voilées ne demandent pas des menus spécifiques pour leurs enfants en cantine scolaire ou un comportement particulier religieusement motivé lors de la présence de ces derniers à l’école, ni des menus halal.
Une question me taraude, pourquoi en Grande Bretagne, les femmes musulmanes ne déclenchent pas de polémique quand elles portent le burkini dans une piscine municipale, ou les femmes policières qui portent le voile sans aucun problème. Pourquoi ne pas unir les communautés françaises au lieu de semer la discorde et le trouble entre les Françaises et les Français quel que soit leur origine ?
Les politiciens devraient se concentrer sur les vrais problèmes qui touchent les Français comme la précarité, le chômage et l’Education.
L’écrivain américain James Baldwin dénonçait déjà ce problème, il y a quarante ans. Il a écrit : « La vie est tragique, tout simplement parce que la terre tourne, parce que le soleil se lève et se couche inexorablement, et parce qu’un jour, pour chacun de nous, le soleil se couchera pour la toute dernière fois. L’origine de toutes les difficultés humaines se trouve peut-être dans notre propension à sacrifier la beauté de nos vies, a nous emprisonner dans des totems, tabous, croix, sacrifices de sang, clochers, mosquées, races, armées, drapeaux, nations afin de dénier que la mort existe, ce qui est précisément notre unique certitude. »
Par Mustapha Bouhaddar, pour Maghreb Canada Express, page 14, Vol. XVII, N°11 , Novembre 2019.