Cet été,  j’ai réussi enfin à m’organiser pour passer mes vacances en Sicile. Cette île carrefour des civilisations, la plus grande île de la Méditerranée qui s’est forgée un cadre bien à elle où, sous un même soleil, se retrouvent de fabuleux temples grecs, de châteaux et des cathédrales érigés par les Normands dans un style empruntant à la fois au roman, aux byzantins et aux Arabes, des jardins orientaux semblant tout droit sortis de la lampe d’Aladin, des palais et des églises au baroque tardif hispanisant.

J’ai réservé dans un club situé dans une ville qui se prénomme Polina à quelques kilomètres de Palerme, car pour échapper au problème du logement dans le sud de l’Italie, il n’y a pas mieux que de résider dans un club et faire des excursions à sa guise.

Ma première excursion était la visite de Palerme, mon billet en poche, j’ai pris mon petit déjeuner très tôt le matin, car le car qui doit nous embarquer à Palerme part à 7h du matin.

Nous étions une trentaine de touristes dans le bus et bizarrement j’étais le seul « Arabe » parmi une vingtaine de français et quelques allemands.

Avant le départ, un homme d’une quarantaine d’années aux yeux verts se présenta à nous avec un micro à la main. Il parlait un français parfait sans un accent, et aussi l’anglais.

Il avait la dégaine d’un professeur de faculté, le genre de professeur séducteur qui a eu une histoire avec des jeunes étudiantes, et qui a quitté l’enseignement pour endosser le costume de guide.

D’emblée, il nous a narré l’histoire des Arabes qui ont enrichi la Sicile de leurs connaissances scientifiques, comme la microchirurgie, la philosophie, la biologie, l’architecture, les mathématiques et l’astronomie.

Il nous a appris que le pape avait demandé l’aide des Normands pour débarrasser la Sicile des Arabes. En effet, les Normands étaient de grands cavaliers grâce à leurs physiques, ils mesuraient plus de 2 mètres, et quand ils chevauchaient leurs chevaux, c’était une force de la nature. Après avoir battu les Arabes, ils se sont rendu compte que parmi ces derniers, il y avait des scientifiques et des savants. Alors, pourquoi les expulser de la Sicile ? Ils ont besoin de leurs savoirs.

Au centre du Palais Royal, à quelques centimètres du guide, j’étais sur une autre planète, toute cette beauté et cette architecture, c’était l’œuvre de mes ancêtres, car les Arabes qui vivaient en Sicile venaient du Maghreb, de mon pays d’origine. Le guide aussi était fasciné par ces Arabes, car chaque fois qu’il les citait, il disait toujours : « nos cousins les arabes. » Ce qui énervait les Français qui étaient pour la plupart d’origine normande. Je ne sais pas si le guide le faisait exprès, car à la sortie du Palais Royal, il a dit : « pour résumer notre visite, on peut dire que les Normands, c’était les bras, et les Arabes, le cerveau. »

Cette phrase était la goûte d’eau qui a fait déborder le vase, car les touristes français ont tout d’un coup abandonné le guide pour mon bonheur, et le bonheur de quelques allemands qui peuvent maintenant poser des questions au charmant guide, des questions qu’ils n’avaient pas pu poser avant.

Quant à moi, après avoir bombé le torse pendant plus d’une heure, je me suis commandé un café italien dans une terrasse, et je suis resté des heures à admirer ce chef d’œuvre qui est le Palais Royal. Ce dernier était encore plus beau que la Chapelle Sixtine que j’ai vue à Rome, et sans me rendre compte, j’ai eu les larmes aux yeux. La charmante serveuse qui me ramenait l’addition a vu mes larmes, et m’a dit avec un français approximatif : « Monsieur, ça va ? Vous allez bien ? » Je lui ai répondu : « oui, je viens juste de retrouver mon identité devant ce chef d’œuvre. » Elle m’a souri et m’a dit : « je vous offre un autre café ? »

Par Mustapha Bouhaddar, Maghreb Canada Express, Vol.xv, N° 08, page o6, août 2017

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