Qu’ils étaient heureux, ces agriculteurs marocains de voir la pluie, oh combien tardive cette année, s’abattre sur le pays en cette fin du mois de mars ! Et ces fellahs, travestis en reporters d’un jour, qui déversent des centaines de vidéos sur les réseaux sociaux montrant l’œuvre ‘’bénéfique’’ de ces dernières précipitations… Comme cette cascade d’Ouzoud devenue un torrent rouge-bistre que les singes (nombreux dans cette zone) contemplaient avec inquiétude ou cette rivière Tassaout charriant des kilotonnes de boue et de gravier vers le barrage Al Massira en aval..!
Mais autant en emportent la boue et les gravats; la pluie est bien là et c’est l’essentiel !
Et elle est bien là cette pluie; comme l’assassin faisant demi-tour sur la scène de crime… pour mieux achever sa victime à coup de mégatonnes de boue et de gravats drainés vers les 146 grands barrages (recensement de 2020), exacerbant ainsi l’érosion des bassins versants (en amont des barrages); érosion estimée à 100 mégatonnes par an dont 60% se déposent directement dans les barrages selon un récent rapport du Groupe de la Banque Mondiale sur le climat et l’environnement au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Et, à ce rythme (et selon la même source), 20 grands barrages marocains seront complètement envasés d’ici à 2040 tandis que près de la moitié des réservoirs de barrages auront perdu à peu près 50% de leur capacité en 2050; et la quasi-totalité des petits barrages construits seront probablement envasés d’ici à 2040 (fin de citation).
Le paradoxe de la sécheresse engendrant l’envasement des barrages
Et ils sont nombreux à cultiver et à nourrir ce paradoxe : depuis le montagnard qui arrache l’arbre à la racine (gênant ainsi les bassins versants à canaliser l’eau pluviale vers les nappes phréatiques et accélérant l’érosion de la mince pellicule de terre arable) aux pilleurs de sable dans les cours d’eau condamnant les eaux de pluie (faute de pouvoir se freiner et s’infiltrer via le sable) à éroder les berges des cours d’eau voire les terrains agricoles avoisinants et faire migrer les sols fertiles vers les réservoirs des barrages qui verraient leur durée de vie se réduire comme une peau de chagrin.
De leur côté les changements climatiques rendront les précipitations rares et, quand ces précipitations tombent, elles tombent en averses destructrices.
À la base de cet engrenage destructeur : la concentration des industries polluantes et émettrices de particules fines dans un bassin limité par l’océan atlantique et la mer méditerranée d’une part et par les chaînes du Rif et du Moyen et haut Atlas d’autres part. Les particules fines se trouvent ainsi piégées avec une liberté conditionnelle de mouvement au gré des vents entre les altitudes moyennes des versants montagneux orientés vers la mer.
Quand l’anticyclone des Açores faiblit, les masses d’air chargées d’humidité s’échappent vers le Maroc et rencontrent dans leur sillage ces particules fines qui vont précipiter la condensation des nuages en masse et accélérer la formation de fortes précipitations locales .
Tout ce qu’il restera à la population c’est de prier pour que ces précipitations soient solides ; sous forme de neige, car la neige prend son temps pour libérer son eau dont une partie va alimenter les nappes phréatiques et l’autre partie les cours d’eau de surface. Or les conditions météo auraient plus tendance à favoriser les précipitations liquides que solides avec les impacts que nous vivons actuellement : Écoulement rapide en surface empêchant le remplissage efficace des aquifères et par conséquent la hausse du niveau des nappes phréatiques, exacerbant l’érosion des berges des cours d’eau ainsi que des terres agricoles avoisinantes et, par conséquent, augmentant drastiquement l’envasement des réservoirs de barrages.
Le gouvernement marocain a mis sur pied des politiques louables pour faire face à la crise : Programmes de reboisement, interconnexion des bassins versants, programmes de gestion de l’eau dans le domaine agricole, etc. Mais force est de constater que la pénurie d’eau est devenue structurelle .
Un pays au bord de la panne sèche
Suite aux récentes précipitations, le ministère de l’Équipement et de l’Eau vient d’annoncer que le taux de remplissage des barrages au Maroc vient d’atteindre les 32,2 %, avec un volume de retenues de plus de 5 milliards de mètres cubes (m3); soit un peu moins que le taux de remplissage des barrages enregistrés en 2022 et qui fut qualifié dans le rapport du Groupe de la Banque mondiale, cité précédemment, de ‘’niveau historiquement bas ; soit de 32,8%’’
Pire : Les besoins en eau renouvelable des marocains sont passés de 2560 m3 par personne et par an en 1960 à près de 620 m3 par personne et par an en 2020 : Le stress hydrique est devenu structurel au Maroc.
Et le Groupe de la Banque Mondiale de poursuivre ses prédictions d’oiseau de mauvaise augure : Le Maroc pourrait atteindre le seuil de pénurie d’eau absolue (qui est de 500 m3 par personne et par an) d’ici 2030.
L’or vert des uns fait le vert-de-gris des autres
Devant un tel scénario apocalyptique, le sage aurait instauré des mesures drastiques de gestion de l’eau surtout dans le secteur qui en consomme le plus; soit l’agriculture, et ce, en limitant la production; voire en bannissant les cultures hydrovores (pardonnez-moi le néologisme) et tout en introduisant des cultures et une arboriculture qui supporteraient au mieux cette soif annoncée.
Or, du Souss au Loukoss en passant par le Tensift, le Gharb et partout ailleurs, les serres dédiées au maraichage, ces nouvelles mines marocaines d’or vert (pour certains bénis par Al Ghazouani comme on dit ici), poussent comme des champignons sur des terres où le fellah est bien, et de loin, sous le seuil de pauvreté !
Parmi les propriétaires de serre (dont le souci est plus le cours de l’or vert sur les marchés étrangers que l’approvisionnement du marché local en légumes de première nécessité), il y a certes des maraichers Made in Morocco , des nantis qui sont nés sous une bonne étoile et ayant hérité de respectables fortunes directement investies dans la culture de l’avocat, de la tomate ou des pastèques. Mais il y a aussi (et beaucoup de) ces extra et multinationaux qui sortent de leur chapeau la nationalité qu’il faut pour louer à long terme (moyennant quelques euros de plus) des terres agricoles, quelquefois privées mais souvent domaniales ou relevant du régime collectif (propriétés de certaines tribus).
Mais puisque les barrages sont presque au régime sec, où trouve-t-on tant d’eau pour cultiver cet or vert pour alimenter, non pas le marché local comme le veut la logique, mais le marché européen, et ce, sans rien donner en retour aux autres marocains ; sinon quelques emplois mal rémunérés; alors que l’eau appartient à tous et que sa pénurie va se transformer en vert-de-gris surtout pour les moins nantis de la population ?
.Je vous la donne en mille : La nappe phréatique, ce réservoir sensé renfermer à peu près l’équivalent du taux actuel de remplissage de tous les barrages et qui apporterait 35% de l’eau utilisée en agriculture maintenant; un pourcentage qui bénéficie bien-sûr aux cultures sous serres; soit les avocats du diable et consorts!
Et on continue de forer… toujours plus fort et toujours plus profond, pour puiser de l’eau, au point de compromettre le renouvellement des nappes ordinaires et de condamner les nappes phréatiques fossiles non renouvelables , et ce, au risque de provoquer des subsidences pouvant causer la diminution de la capacité de la roche à stocker l’eau; voire des séismes. Mais ça… C’est une autre histoire. Et au moins un autre article serait nécessaire pour traiter des impacts de l’exploitation de ces aquifères.
Par Abderrahman El Fouladi, Ph.D., Géographe à la retraite, pour Maghreb Canada Express, Vol. XXII, N°02, Page 03, Avril 2024