Par Abderrazaq MIHAMOU (Maroc)
Depuis son lancement, ChatGPT-5 fascine autant qu’il inquiète. Prouesse technologique d’OpenAI, cette nouvelle mouture repousse les limites du dialogue homme-machine. Mais derrière ses performances Impressionnantes se cache une réalité plus nuancée, faite d’espoirs, de liens à réinventer et de risques bien réels. Faut-il y voir une opportunité historique ou une menace silencieuse pour nos sociétés ?
Une avancée technologique… qui change déjà nos gestes
ChatGPT-5 n’est pas seulement plus rapide ou plus “intelligent”. Il raisonne mieux, comprend les images, tient des conversations plus naturelles et s’intègre à des outils du quotidien. On lui confie la rédaction d’emails, l’analyse de tableaux de bord, la correction de code, la génération de visuels ou la préparation de cours. Dans les entreprises comme dans les salles de classe, il s’installe à la place voisine.
« On gagne un temps considérable sur certaines tâches, notamment la rédaction ou la traduction », souligne le Pr. Youne Koutaya, président de l’Observatoire National de l’Intelligence Artificielle (ONIA) au Maroc. Beaucoup y voient un coéquipier patient et disponible, qui fluidifie l’accès à l’information et fait tomber des barrières linguistiques ou techniques.
La question qui fâche : vers une dépendance numérique ?
Cette efficacité a un revers. À force de déléguer des tâches cognitives, risquons-nous d’atrophier nos propres compétences ? Des enseignants racontent ces devoirs « impeccables » mais sans voix propre, ces exposés bien structurés mais sans effort visible. « C’est l’équivalent numérique de la calculatrice, mais pour l’écriture et la réflexion », observe un professeur de philosophie. L’outil n’est pas en cause en soi ; c’est notre manière de l’utiliser qui peut nous rendre paresseux.
Autre angle mort: la qualité perçue des réponses peut masquer des erreurs ou des biais. Un texte convaincant n’est pas toujours exact. Dans un climat déjà saturé par la désinformation, des contenus générés à grande échelle – parfois sans vérification – peuvent semer le doute, polariser le débat ou manipuler subtilement l’opinion.
Emploi : destruction, transformation… et créations invisibles.
L’IA bouscule la frontière entre ce qui est “automatisable” et ce qui relève du jugement humain. Oui, certains postes se contracteront. Mais l’histoire des technologies montre aussi des métiers transformés, des tâches réinventées et des emplois nouveaux, souvent moins visibles au départ. « Il faut anticiper une redéfinition massive des compétences », prévient un économiste. Autrement dit: préparer plutôt que subir.
Opportunités et menaces éventuelles par métiers
- Rédacteurs et journalistes
• Opportunités : assistance à la recherche, synthèse de sources, drafts plus rapides, personnalisation par audience, Journalisme avec données améliorées.
• Menaces : banalisation des contenus “moyens”, pression sur les tarifs, risques de plagiat et d’erreurs factuelles si la vérification éditoriale se relâche.
- Traducteurs et interprètes
• Opportunités : gain de productivité, pré-traduction + post-édition, accès à de nouveaux marchés, spécialisation technique (juridique, médical, brevets).
• Menaces : Banalisation des traductions simples, baisse des volumes “généraux”.
- Développeurs logiciels
• Opportunités : génération de tests, Remaniement du code, débogage assisté, documentation automatisée, prototypes plus rapides.
• Menaces : pression sur les profils juniors, illusions de compétence pour des non-spécialistes, dépendance au code suggéré.
- Enseignants et formateurs
• Opportunités : préparation de cours, différenciation pédagogique, suivi individualisé, exercices adaptatifs, correction assistée.
• Menaces: triche facilitée, uniformisation des productions, perte d’effort cognitif chez les élèves.
- Service client et support
• Opportunités : réponses 24/7, self-service intelligent, baisse du temps d’attente, mieux-disant en multilingue.
• Menaces : déshumanisation, réponses erronées ou hors politique, escalade tardive vers un humain.
- Marketing et communication
• Opportunités : génération rapide de variantes, tests A/B, personnalisation à grande échelle, veille des réseaux sociaux.
• Menaces : saturation de contenus, baisse de la différenciation, risques réputationnels (hallucinations, ton inadapté).
- Juristes et fonctions conformité.
• Opportunités : revue de contrats assistée, recherche jurisprudentielle accélérée, génération de clauses types, veille réglementaire.
• Menaces : fausses références, erreurs de contexte local, confidentialité des données.
Médecins et professionnels de santé.
• Opportunités : résumé de dossiers, assistance au diagnostic différentiel, suivi patient, triage, éducation thérapeutique.
• Menaces : sur confiance, biais, responsabilité médicale, protection des données sensibles.
Un tournant éthique et politique inévitable
Les États avancent, parfois à pas inégaux, sur la régulation : traçabilité des modèles, obligations de transparence, gestion des droits d’auteur, protection des données, sécurité des usages sensibles. La compétition mondiale pousse à aller vite, mais la confiance se gagne avec des garde-fous clairs : audibilité, étiquetage des contenus générés, mécanismes de recours, sanctions dissuasives en cas d’abus.
S’outiller sans s’aliéner : quelques principes simples
- Clarté d’usage : dire quand l’IA a contribué à un contenu, surtout dans l’éducation, le journalisme ou la santé.
- Vérification : croiser les sources, relire les faits, garder la main sur le jugement.
- Compétences : former massivement aux fondamentaux de l’IA, à la littératie des données et à l’éthique numérique.
- Sécurité et confidentialité : choisir des solutions conformes, maîtriser où vont les données.
- Conception responsable : limiter les biais, prévoir l’escalade vers l’humain, évaluer l’impact social dès la conception.
Une opportunité à manier avec prudence
ChatGPT-5 n’est ni un démon ni un messie. C’est un outil puissant, à double tranchant, qui exige méthode et maturité. Notre défi n’est pas de l’arrêter, mais d’apprendre à coexister : l’utiliser pour amplifier la créativité et l’accès au savoir, tout en cultivant nos compétences critiques, notre responsabilité et notre humanité. La révolution sera bénéfique si nous restons aux commandes.