Par Abderrafie Hamdi (Rabat, Maroc)

Le 22 août 2025, la Chine a organisé à Addis-Abeba son tout premier séminaire consacré aux droits de l’Homme en Afrique. L’événement, peu couvert par la presse internationale, n’en a pas moins constitué un tournant important. Pour la première fois, Pékin a porté un discours public, structuré et assumé sur les droits humains, en dehors de son territoire national — et ce, en partenariat avec des institutions africaines.

Le lieu n’a rien d’anodin : Addis-Abeba, capitale éthiopienne et siège de l’Union africaine, confère à cette rencontre une portée symbolique majeure. C’est au cœur institutionnel du continent que la Chine est venue formuler sa vision du développement et des droits humains.

Le séminaire, organisé par la China Society for Human Rights Studies en collaboration avec plusieurs universités chinoises de renom (notamment Zhejiang Normal University et Zhejiang University), ainsi que le Policy Studies Institute d’Éthiopie, a réuni un large éventail d’acteurs : responsables gouvernementaux, représentants d’organisations internationales, institutions nationales des droits de l’homme,chercheurs, médias et entreprises chinoises et africaines. Loin d’être purement académique, la rencontre fut hautement politique. Elle a donné à voir une nouvelle forme de diplomatie chinoise : celle des idées, en plus des investissements.

Le thème choisi — « Construire une communauté sino-africaine d’avenir partagé et œuvrer ensemble à la réalisation du droit au développement » — traduit bien l’ambition de Pékin : faire entendre une voix alternative sur la scène internationale des droits humains. Car depuis 1948, la Déclaration universelle a été largement façonnée par l’Occident, dans un contexte de guerre froide, de sortie de conflit mondial — et surtout, à une époque où la quasi-totalité des pays africains étaient encore sous domination coloniale. Ils n’avaient, de ce fait, ni siège à l’ONU, ni voix dans la rédaction des textes fondateurs du droit international des droits de l’Homme.

À l’époque, c’est l’URSS qui avait défendu avec vigueur la priorité des droits économiques et sociaux (logement, travail, santé, éducation), en opposition à la centralité accordée par les puissances occidentales aux droits civils et politiques. La Chine, de son côté, a longtemps insisté — et insiste encore — sur le principe de spécificité culturelle, arguant qu’aucun modèle unique ne peut s’imposer à des civilisations et des trajectoires historiques si diverses.

Ce débat, resté longtemps cantonné aux cercles diplomatiques, prend aujourd’hui une nouvelle épaisseur. Le recul relatif des puissances occidentales, la montée de la Chine, le retour de la Russie sur la scène géopolitique, et surtout, l’affirmation d’une Afrique plus exigeante et stratégique dans ses partenariats, offrent une fenêtre d’opportunité pour repenser les fondements du multilatéralisme.

À Addis-Abeba, le seminarie n’a pas contesté de front l’universalité des droits humains. Elle en a simplement proposé une lecture plurielle, articulée autour de la souveraineté, du droit au développement, et d’une approche contextualisée. Cette perspective trouve un écho chez de nombreux États africains, longtemps confrontés à une approche normative perçue comme moralisatrice ou inadaptée à leurs réalités.

Mais cette dynamique ne doit pas être lue comme un simple rééquilibrage théorique. Elle soulève des questions concrètes : la Chine, forte de sa présence économique et de ses investissements massifs — avec un commerce bilatéral avec l’Afrique qui a atteint près de 296 milliards de dollars en 2024 — est en train d’équiper le continent, incontestablement. Ports, routes, chemins de fer, barrages, zones industrielles… la carte de l’Afrique porte aujourd’hui la marque visible de la Chine.

L’équipement est là, mais qu’en est-il du développement ?

Le développement, contrairement à l’équipement, exige un processus complexe, un ancrage local, un transfert de compétences, une durabilité sociale, environnementale et humaine. Or c’est là que se joue la vraie différence. On peut construire une autoroute sans créer de mobilité sociale. On peut électrifier une région sans améliorer la qualité de vie.

Quant à l’Afrique, elle se trouve face à une opportunité unique. Ce moment charnière peut lui permettre de faire entendre sa voix propre : ni alignée sur les modèles occidentaux, ni dépendante d’un nouveau centre de gravité. Une voix qui conjugue souveraineté, dignité, justice sociale et libertés fondamentales.

By AEF