par Abderrafie Hamdi (Rabat, Maroc)

« Lécher, lâcher, lyncher » — cette célèbre formule (les 3 L) de Natacha Polony résume parfaitement l’attitude ambivalente et parfois toxique de certains médias envers les personnalités publiques.

Dans le cas du Maroc, elle s’applique tristement à la récente série d’articles publiée par le quotidien Le Monde.

Annoncée comme une série de six enquêtes « d’investigation », cette offensive éditoriale ressemble davantage à un procès en demi-teinte qu’à un travail journalistique rigoureux. Les premiers volets, tous centrés sur la personne du SM le roi Mohammed VI, naviguent entre rumeurs, insinuations et détails personnels tirés de « sources bien informées »… jamais nommées. L’état de santé du souverain, ses habitudes de vie, son entourage – tout y passe, dans une tonalité lourde de sous-entendus et vidée de nuance.

Le paradoxe est frappant : Le Monde, journal fondé en 1944 par Hubert Beuve- Méry dans le sillage de la Libération, s’est forgé une certaine réputation sur l’éthique journalistique. Mais sa relation avec le Maroc a toujours été faite de hauts et de bas, souvent teintée de paternalisme, parfois de mépris. Même à l’époque du feu Hassan II, cette distance froide, quasi coloniale, persistait. Une certaine presse française peine encore à accepter que le Maroc est aujourd’hui un pays souverain, affirmé, qui n’a plus besoin d’un regard tutélaire pour exister.

Depuis l’accession de S.M. le roi au trône, le Maroc a justement rompu avec les pratiques d’accommodement. Fini les privilèges tacites accordés à certaines rédactions. La règle est claire : respect, transparence, mais pas de traitement de faveur. Plusieurs journalistes occidentaux s’y sont cassé les dents en tentant de monnayer leur influence.
Pourtant, le Maroc n’a pas encore bâti une contre-voix médiatique capable de répondre frontalement à ces attaques. Le sursaut citoyen est bien là, notamment sur les réseaux sociaux, mais il reste dispersé. Le pays ne dispose toujours pas de médias puissants, en français ou en anglais, capables de parler au monde avec autorité.

C’est dans cette perspective que la nomination, en 2023, de Samira Sitaïl comme ambassadrice du Maroc à Paris prend tout son sens. Journaliste chevronnée, ancienne directrice de l’information à 2M, sa mission ne relève pas du lobbying, mais de la médiation intelligente : maintenir un lien constant avec les rédactions françaises, leur rappeler les faits, et offrir au Maroc un visage lucide, ferme, mais ouvert au dialogue.

La souveraineté ne se limite pas aux frontières. Elle passe aussi par la maîtrise du récit, par une diplomatie du mot, par une presse nationale ambitieuse. Le Maroc d’aujourd’hui ne veut pas être flatté ni redouté. Il exige simplement d’être respecté.

Et Le Monde, maintenant — après avoir léché, puis lâché — est-il en train de lyncher ?

By AEF