Par Abderrahman El Fouladi pour la Gazette du Maroc (19 Mai 2000)
Avec leur population de plus 865 millions d’habitants et leur marché émergeant de plus de 150 milliards de dollars, l’Afrique et le Moyen Orient ont retenu l’attention d’un certain milieu d’affaires canadien qui vient de leur consacrer cette année la sixième édition de la Conférence de Montréal (du 14 au 17 mai).
Pour son Président-fondateur, Gil Rémillard, «la Conférence de Montréal est un forum international sur la « nouvelle économie ». Fondée en 1995, La Conférence accueille chaque année au printemps des participants de toutes les régions du monde pour discuter des grands enjeux internationaux et des réalités d’une économie fondée de plus en plus sur l’international et la révolution technologique».
Gilles Rémillard, ex ministre québécois, croit dur comme fer que La Conférence de Montréal est «un forum international unique fondé sur la liberté et la diversité des idées, tout en demeurant ancrée dans les réalités concrètes de la nouvelle économie ».
Mais on ne peut s’empêcher de penser que, cette année, la conférence a eu l’aspect d’une foire où les uns viennent vendre ce qu’ils ont de mieux et où d’autres viennent exposer leur misère, voire laver leur linge sale en public.
Aussi, entre des hommes d’affaires canadiens qui ont vanté devant plus de 900 participants, l’humanisme de leur coopération et leur partenariat, entre SAR le Prince El Hassan Bin Talal qui souhaiterait que le nouvel ordre mondial soit basé sur la diversité culturelle, entre Cheikh Zaki Yamani qui voit que «l’âge de la pierre de l’énergie est entrain de se terminer non faute de pierres, mais à cause de facteurs exogènes» (dont le progrès technologique), entre tous ces intervenants, le Président algérien serait venu, quant à lieu pour vendre l’image d’une Algérie «cœur battant» de l’Afrique du Nord, leader incontestable de l’Afrique et interlocuteur incontournable pour régler tout conflit ou édifier tout partenariat dans toute la région; Moyen Orient compris.
Ce qui avait surpris plus d’un observateur, chez ce vieux routier de la politique maghrébine, c’est la variation du ton et une certaine agressivité dans le discours. Évidemment, chez nous maghrébins, les sautes d’humeur font partie du quotidien et il n’y a de définitif que ce qui est provisoire. Mais il en va tout autrement pour un nord américain qui verrait dans chaque arabe un terroriste potentiel !
Au terme de son discours fleuve (prononcé en présence de Madame le Gouverneur Général du Canada et devant un auditoire de quelques centaines de personnalités du monde politique, diplomatique et des affaires) et répondant à une question sur une éventuelle coopération entre les 5 pays du Maghreb, M. Bouteflika a commencé par fustiger le Maroc et la Tunisie qui, selon lui, ont réglé leurs problèmes, avec l’Union Européenne, sur le dos de l’Algérie, «alors que celle-ci était dans ses décennies noires».
Comme l’Algérie a été privée de son droit de donner ou de refuser son accord, ce pays va donc négocier avec l’UE en solo. Entre temps l’Algérie ne va pas tolérer que ses frontières «deviennent une passoire pour les produits européens» en provenance du Maroc et de la Tunisie. Dans ce contexte, M. Bouteflika a ajouté qu’il était plus sûr de ses voisins de l’Est que de ceux de l’ouest.
Concernant les relations spécifiques avec le Maroc, M. Bouteflika a tenu à souligner que l’Algérie se sent pénalisée par le Maroc à cause de sa position sur le problème du Sahara marocain. Il a également déclaré que l’Algérie est entrain de faire «revivre» ses accords de coopération avec le Maroc, séparant les deux problèmes clairement : celui du Sahara ; qui doit être tranché au niveau de l’ONU et celui des relations bilatérales, qui «une fois réglé, les frontières pourront s’ouvrir de nouveau entre les deux pays».
Lors de la conférence de presse qui a talonné de près le discours fleuve de M. Bouteflika, le ton est devenu beaucoup plus diplomatique. Le président algérien a notamment déclaré qu’il s’est réuni , lors du sommet euro-africain du Caire, en tête à tête avec Sa Majesté Mohammed VI. Les discussions ont été franches et fraternelles et il a été convenu qu’il «ne saurait y avoir d’intermédiaires entre frères et membres d’une même famille». Aussi il a été décidé que dorénavant le dialogue se fera au niveau des deux chefs d’états.
Par ailleurs, et concernant les problèmes bilatéraux, une commission mixte, présidée par les deux ministres de l’intérieur des deux pays, a été créée. Cette commission (qui se réunira, selon le principe de la rotation, en Algérie et au Maroc) est constituée de cinq sous-commissions, chacune présidée par deux ministres, l’un marocain et l’autre algérien, et aura pour mission de régler les problèmes sectoriels entre les deux pays.
En quittant la conférence, M. Bouteflika a été abordé par notre confrère Rabia Chaouchi, correspondante de Radio Monté-Carlo- Moyen Orient. Dans sa seule déclaration en arabe de la conférence, M. Bouteflika n’a pas tari d’éloges sur le Maroc. Il a tenu à souligner que notre Roi est «un Roi généreux, fils d’un grand homme généreux» et petit fils d’une figure illustre de l’histoire. Il a ajouté qu’algériens et marocains sont des frères et resteront toujours des frères. Évidemment on aurait souhaité, ce mardi 16 Mai 2000, que le président algérien prononce ces paroles devant les 900 participants de la Conférence, quitte à fustiger le Maroc ensuite dans les coulisses. Mais les choses étant ce qu’elles sont, il ne reste plus qu’à souhaiter que la situation évolue au Maghreb avec la même célérité, et dans le même sens, que l’humeur de notre illustre voisin de l’Est.