Ce fut la première phrase d’une lettre que j’avais écrit à mon défunt père (de son vivant, il va de soi) en 1991, juste après avoir immigré au Canada. Je n’avais pas encore trouvé de travail et je commençai déjà à regretter d’avoir fait embarquer tous les membres de ma petite famille dans cette aventure avec la (bonne) intention de leur fournir une vie meilleure.
Et je commençai même à paniquer quand j’ai entendu pour la première fois de ma vie (ici) que ‘’l’enfer est pavé de bonnes intentions !’’
Je me suis mis alors à fréquenter assidument (chaque vendredi) une mosquée situé sur la rue Ontario. Et Un beau vendredi, l’imam, qui n’arrivait pas à contenir sa joie, nous annonça : ‘’Hourra mes frères ! Nous venons d’avoir un cimetière à Laval !’’
Et le soir même j’écrivis à mon père: ‘’Bénissez-moi mon père car je viens aujourd’hui de trouver où mourir avant même d’avoir trouvé de quoi vivre !’’
Le père-Noël était du party
Bien après (en 1999 ?), je continuais de chercher assidument du travail avec tous les moyens . Et j’ai même écrit une lettre au Père-Noël (l’internet commençait déjà à faire sauter tous les circuits conventionnels des communications et à rendre l’aberrant sublime) pour lui demander, comme cadeau de fin d’année et de début du 21ème siècle, un emploi.
Et je l’avais même supplié dans cette lettre (électronique) de localiser mon cadeau au Québec car lui ai-je précisé ‘’je m’y suis très bien intégré; du moment que je partage avec son peuple la langue de Molière (semble-t-il), le romantisme de Victor Hugo, de Lamartine et d’Antoine de Saint-Exupéry ainsi que la rigueur scientifique de Descartes et la philosophie percutante de Voltaire. Ajouter à cela tout l’échange culturel bidirectionnel qu’enrichit notre vocabulaire de merveilleux mots, comme ‘’tabernacle’’, ‘’hostie’’ et ‘’calice’’ d’une part et In3al lahmar taa3 el hallouf taa3 etc… d’autre part !’’ Et de conclure ma lettre (après avoir assuré le Père-Noël que je fais tout pour éviter les chicanes, même celles constitutionnelles) : ‘’Ah cher Papa Noël! Il faut voir l’émerveillement de mes nouveaux compatriotes quand ils m’entendent sacrer dans un bilinguisme impeccable! ‘’
Mais laissons le Père-Noël au froid glacial de son pôle-Nord et penchons-nous d’un peu plus près sur ce froid inattendu qui envahit certains cœurs à partir du 11 septembre 2001; au point d’ exécrer tout ce qui s’apparente de près ou de loin à tout ce qui sent le Musulman. Et du coup, tous le troupeau est accusé de s’apparenter, par association, à certaines vaches folles !
Certes, la lettre à mon père où je lui demandais de me bénir car j’avais trouvé où mourir avant même de trouver de quoi faire vivre mes enfants était pour faire de l’autodérision car en ces temps-ci, et côté chômage, je faisais partie de l’exception; non de la règle. Idem pour la lettre au Père-Noël qui était beaucoup plus pour rire que pour m’apitoyer sur mon sort.
Mais voilà l’histoire du cimetière qui resurgit en 2017; Dans un contexte où le chômage dans la communauté bat des records, où, de plus en plus, il ne fait plus bon être musulman au Québec et où bon nombre de musulmans n’ont absolument plus le goût de rire ! Car l’étoile de l’islam a beau être verte, des brebis galeuses (une quantité infime de grains de sable dans tout un désert) lui ont donné l’éclat maléfique des étincelles de l’enfer. Et du coup, tout musulman doit répondre de l’acte de Kaddour qu’il ne connait ni de Aicha ni d’Ahmed. Et du coup, à chaque fois qu’un désaxé saute un plomb, par le simple fait qu’il s’appelle Jilali, tous les musulmans doivent dénoncer, fustiger et renier l’immonde… Juste pour plaire à des décideurs qui font tout pour que le guerre contre la terreur ressemble de plus en plus à une (nouvelle) Croisade contre la foi musulmane!
Et voilà que les musulmans de bonne foi qui se trouvent comme le troupeau à qui on demande de renier la vache-folle avec de vagues promesses de fermer tous les abattoirs de la Terre!
La couleuvre est un peu trop grosse à avaler surtout quand on voit le changement de perception, à tort, qui fut fait, à l’encontre des musulmans, depuis le 11 septembre 2001.
Ce n’est vraiment pas de gaieté de cœur que de parler de ces tragédies, ouvrir sa gueule après tant de massacres et tant d’effusion de sang ; alors que la raison recommande plutôt le silence; mais jusqu’à quand se taire ? Les musulmans, surtout ceux du Québec, ont plié l’échine dès les premières vagues de xénophobie après le 11 septembre 2001, croyant que la tempête va passer ! La tempête est là, non seulement, pour durer, mais, en plus, en janvier dernier, le terrorisme frappa la communauté dans la sacro-sainte d’une mosquée.
Lors des funérailles des victimes, parmi toute la classe politique émue, la voix du maire de Québec, M. Régis Labaume retentit pour annoncer aux musulmans qu’ils auront leur cimetière. Quelques mois plus tard la population de Saint-Apollinaire, rendant, semble-t-il la Démocratie complice d’une injustice à travers un référendum, dit aux musulmans qu’ils ne sont pas les bienvenus morts (le seraient-ils vivants ? Allez savoir !)
Certes la ville de Québec a vendu, depuis, à la communauté musulmane un terrain pour en faire un cimetière… Cependant, toute personne soucieuse du vivre-ensemble ne serait pas satisfaite par cette solution. Car n’empêche ! Des citoyens de Saint-Apollinaire ont exprimé par référendum ce que plusieurs pensent tout bas par conviction. Bon nombre commencent à craindre de vivre à côté d’un musulman. Même mort !
CONSTAT
Nos associations ont échoué !
Nos leaders communautaires ont échoué !
Il est temps que tout le monde fasse son mea-culpa et de changer sa stratégie… celle basée plus sur la proximité de la classe politique plutôt que sur la proximité des citoyens qui ont porté au pouvoir cette même classe politique.
La bonne intention n’est pas en cause. C’est la façon de faire qui manque le plus… c’est le travail de proximité qu’il faut mettre dorénavant de l’avant. Lors du référendum contre le cimetière musulman , un travail de porte-à-porte fut fait avec succès par les détracteurs.
Il faut que nous allions, à notre tour, taper aux portes pour expliquer que la haine n’a pas de place ici au Québec, ni ailleurs, et que les musulmans d’ici ou d’ailleurs ne sont pas porteurs des germes de cette haine.
Par Abderrahman El Fouladi, Maghreb Canada Express, Vol.xv, N° 08, page 03, août 2017
Pour l’édition (format PDF), cliquer sur l’image :