Je ne suis pas fan de Johnny Hallyday, mais je respecte ce qu’il représente pour les Français, surtout ceux de la France profonde. J’étais plus ému par la mort de l’écrivain Jean d’Ormesson que j’apprécie beaucoup, et je suis choqué qu’on ne lui fasse pas des obsèques nationales comme pour Johnny.
Le 11 octobre 2008, sur le plateau de Thierry Ardisson, l’Académicien livrait sa théorie sur les «bons et mauvais jours pour mourir». Ce jour-là, il ignorait que son décès serait potentiellement éclipsé par celui de Johnny Hallyday.
«Vous savez, c’est très mauvais pour un écrivain de mourir, par exemple, en même temps que Piaf», expliquait Jean d’Ormesson le 11 octobre 2008, sur le plateau de Salut les Terriens! , à l’époque diffusé sur Canal+. Ironie du sort: il décéda le 5 décembre 2017… seulement 24 heures avant Johnny Hallyday !
Testament secret
L’annonce par les enfants issus de précédentes unions de Johnny Hallyday de l’existence d’un testament établi par ce dernier au profit de sa seule épouse ainsi que de leur volonté de le contester soulève un certain nombre d’enjeux au plan juridique qui touchent à des problématiques essentielles du droit de succession, principalement de la réserve héréditaire et de son application dans l’ordre international.
Selon l’avocat François Buthiau, « les enfants issus de précédentes unions du célèbre chanteur Johnny Hallyday, Laura Smet et David Hallyday (ci-après » les Enfants « , à l’exclusion donc de ceux qu’il a adoptés), ont publiquement annoncé que celui-ci avait pris des dispositions testamentaires aux termes desquelles il aurait choisi, ou confirmé, l’application de la loi de l’État de Californie (E-U) à sa succession et aurait institué son épouse légataire universelle de celle-ci.
Les Enfants, qui se trouveraient dès lors exhérédés, ont fait connaître leur intention d’agir en justice pour, comme il est indiqué un peu partout, » contester le testament « . »
Toute la question est dès lors de savoir si de telles actions auraient quelque chance d’aboutir au plan juridique et sur quel fondement.
Me Buthiau ajoute que « les actions projetées devraient en premier lieu être engagées, selon les annonces qui en ont été faites, devant les juridictions françaises. Celles-ci pourraient en effet avoir compétence pour en connaître, en particulier en application du privilège de juridiction fondé sur l’article 14 du Code civil et ainsi sur la nationalité des demandeurs à l’action. Toute décision rendue par les juridictions françaises devrait en revanche être ensuite exécutée dans tout État dans lequel des biens dépendant de la succession se trouvent, ce qui pourrait être source de difficultés.
Ensuite et surtout, sur le fond, il convient de s’interroger sur les outils juridiques à dispositions des Enfants pour « contester le testament » du chanteur. »
Les rouages du droit français
Un pharmacien que j’ai connu jadis souhaitait déshériter ses trois enfants, car ces derniers ne demandaient jamais de ses nouvelles. Il avait rédigé un testament stipulant que s’il est décédé, tous ses biens iront à des associations. Il a vite déchanté quand son avocat l’a informé qu’en France, on n’a pas le droit de déshériter ses enfants.
Un héritage complexe
« La première question à se poser est celle de la loi applicable à la succession. Conformément au nouveau règlement européen, il s’agit de la loi de la résidence habituelle du défunt au moment de son décès. Ce peut donc être la loi française s’il était revenu vivre en France de manière habituelle, a fortiori s’il a désigné cette loi comme applicable à sa succession (en tant que loi de sa nationalité). Mais le droit américain pourrait s’appliquer à la succession si le chanteur résidait de manière habituelle aux États-Unis et qu’il n’était revenu en France que dans le cadre de ses soins médicaux », décrypte Gilles Bonnet, notaire à Paris.
Difficile d’imaginer qu’après avoir frôlé la mort à plusieurs reprises, le chanteur, très entouré, n’ait pas anticipé le règlement de sa succession de son vivant afin de mettre sa famille recomposée à l’abri d’un conflit successoral homérique. Il a donc certainement rédigé un testament, en France ou aux États-Unis, et même peut-être choisi la loi applicable à sa succession. Mais celle-ci dépend aussi du régime matrimonial des époux.
Le droit moral
Depuis le début de la carrière de Johnny, une dizaine de conseillers fiscaux ont étudié le dossier. Certains ont préféré assurer, travaillant en collaboration avec le fisc afin d’éviter une fâcheuse erreur au moment de remplir la déclaration de revenus. D’autres se sont montrés plus créatifs. Ainsi, en janvier 2006, on suggéra à Johnny de demander la nationalité belge, dans l’idée de l’installer ensuite à Monaco. Johnny fonce. Mais la procédure s’avère longue, fastidieuse : Johnny se lasse, change de cap. Conseillé par son ami Daniel Hechter et cornaqué par Renaud Belnet, un avocat fiscaliste marseillais, il file vers la Suisse où l’attend un miraculeux forfait fiscal annuel de 607.000 euros.
Johnny c’est l’histoire d’une star française qui voulait vivre comme une star américaine et refusait obstinément d’entendre raison.
Depuis la signature de son premier contrat, sur le label Vogue le 16 janvier 1960, Johnny flambe, Johnny vit au-dessus de ses moyens. S’il lui arrive de s’intéresser à l’argent qui rentre, il ne compte jamais celui qui sort. Il laisse ça à d’autres. Ces cinquante dernières années, une armée d’avocats, d’agents, de conseillers fiscaux, de potes ou de beaux-pères ont mis les mains dans ses finances, mais aucun d’eux ne l’a jamais mis complètement à l’abri.
Reste le droit moral, qui est essentiellement le droit au respect de l’œuvre de l’artiste. « Il sera probablement exercé dans une sorte d’indivision par les enfants et le conjoint, présume Pierre-Yves Gautier. En définitive, dans toutes les successions d’artistes, les héritiers sont placés devant le même choix : partager les œuvres ou les gérer en indivision et bonne entente avec le conjoint que l’auteur ou l’artiste aura entendu privilégier. »
Le plus bel héritage qu’on peut recevoir, n’est-il pas l’instruction ?
Par Mustapha Bouhaddar, pour Maghreb Canada Express, page 13, Vol. XVI, N° 4, Avril 2018
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