Par Abderrahman El Fouladi

Alphonse Daudet disait que ‘’le roman est l’histoire des hommes et l’histoire le roman des rois’’. Et c’est l’Histoire de ces hommes, se croyant ‘’plus intelligents et plus courageux que les autres hommes’’ qu’Ahmed Saber met en exergue à travers le vécu imaginaire de Thami; une icône, un « élément canonique » d’une classe de marocains sous l’occupation française cherchant à s’enrichir à tout prix.

Pour échapper à la précarité, Thami opte pour l’occupation et l’exploitation d’une terra nullius agricole sachant sans doute que dans le droit coutumier marocain d’antan, celui qui occupe de bonne foi, et sans contestation aucune, un bien immobilier durant 10 ans en devient le propriétaire. Or Thami décide de passer à l’action au milieu des années 1930 et le colonisateur français est en train de dicter d’autres lois qui vont à l’encontre de la volonté du peuple marocain, contre ses coutumes et contre ses traditions… Ce qui ne décourage nullement Thami qui décide alors de donner à son projet un goût de ‘’guerre sainte’’ contre l’occupant. Et c’est dans le labyrinthe des pensées et des décisions de ce pauvre paysan analphabète, refusant d’admettre que la pauvreté soit une fatalité, qu’Ahmed Saber embarque le lecteur…

Certains pourraient se demander, en savourant le contenu de ce récit, qui relève plus du réel que de la fiction, ‘’Comment l’auteur, diplomate de carrière, pourrait-il en savoir autant, et avec moult détails, sur le monde rural alors qu’il est de Fès, la Ville par excellence que les ‘’3rtoubis’’ (campagnards) méprisent et que certains ‘’fassi’’ la leur rendent avec morgue et dédain ?

Ahmed Saber annonce la couleur dès les premières pages de son roman : Si la fatalité a voulu qu’il naisse à Fès, au crépuscule de l’occupation française du Maroc, sa famille, quant à elle, est originaire de la campagne dont la population servait de bouclier pour défendre la prestigieuse ville de Fès; jadis capitale du Royaume, mais depuis lors symbole ‘’éternel’’ d’une civilisation marocaine séculaire!

Et ce fut ainsi qu’Ahmed Saber eut goûté à l’amertume du clivage ‘’Citadin-Campagnard’’ que l’occupant, parait-il, encourageait en catimini. Mais cette sorte de ségrégation est devenue chez bon nombre de 3roubi un catalyseur qui a développé chez eux la volonté d’en finir avec la misère certes, mais aussi avec la morgue et le snobisme des citadins. Et c’est ainsi que l’école est devenue une bouée de sauvetage et un tremplin pour les démunis vers un avenir meilleur.

Et c’est ainsi qu’Ahmed Saber, qui était né à la ferme expérimentale d’Ain Kadouss de Fès, au sein d’une famille d’ouvriers agricoles ayant immigré de la plaine de Sais, a terminé ses études primaires et secondaires dans cette ville, a décroché un bac en Sciences économiques au Lycée Moulay lycée moulay Slimane, une licence en économie à l’université Sidi Mohamed ben Abdellah (Fès) et un Diplôme des Études Supérieures (DES) en Économie à l’université Mohammed V de Rabat.

Il entame ensuite sa carrière professionnelle en 1982, d’abord par son Service civile au ministère de l’Intérieur (Province de Taounate, 1982), pour la poursuivre comme Cadre supérieur au ministère des affaires étrangères, et ce, jusqu’à son départ à la retraite en 2014.

Tout au long de sa carrière diplomatique, Ahmed Saber fut second de l’ambassadeur et conseiller économique à l’ambassade du Maroc à quatre reprises : À Doha (Qatar), à Moscou (Russie), à Ottawa (Canada) et à Berlin (Allemagne), ceci sans parler de ses différentes affectations, au sein du ministère des affaires étrangères, en tant que chef de service; dont celle de chef de Service « des droits de l’Homme » à la Direction des Nations Unies (2005-2008) .

Ce fut durant son affectation dans la capitale canadienne (septembre 2001- septembre 2005) que j’ai eu le plaisir de côtoyer cet homme qui a su faire cohabiter en lui le diplomate avec l’homme qui n’a pas ‘’sa langue dans sa poche’’.

Il était, en ces temps-ci, le second de l’Ambassadeur de Sa Majesté le Roi au Canada, feu Abdelkader Lecheheb. Et j’ai eu le privilège de connaitre de près les deux diplomates aguerris, mais aussi les deux passionnés de foot qui n’hésitaient pas à ‘’taper’’ sur le ballon rond quand l’occasion se présentait.

Intrigué, j’avais osé poser une question, sur cette passion commune aux deux hommes, à feu Abdelkader Lecheheb qui, rappelons-le, fut parmi les Grands du foot marocain. Loin de se dérober, feu Lecheheb me répondit : ‘’Si je croise des jeunes en train de jouer au Soccer à Montréal, et si j’y vois un intérêt pour le label Maroc, je me joindrais sans hésiter à eux’’. Repose en Paix Excellence !

Inutile de souligner que ce sont de tels hommes, comme feu Lecheheb et comme Ahmed Saber, qui surent, et avec brio, assurer la transition entre un ‘’Maroc des années de plomb’’ et un ‘’Maroc de l’Instance Équité et Réconciliation (IER)’’!

Plus tard, et après son départ à la retraite, notre lectorat de ‘’Maghreb Canada Express’’ a pu apprécier la qualité de la plume d’Ahmed Saber qui taille dans la réalité politique marocaine tel le scalpel, d’un chirurgien hors normes, dans le corps d’un patient, et ce, à travers des chroniques percutantes; comme celle où il qualifia le Rassemblement national des indépendants (RNI) de ‘’parti des riches qui convoite les voix des pauvres’’ (mars 2018) ou quand il critique le gouvernement dirigé par le Parti de la Justice et le développement (PJD) et je cite : ‘’Les ridicules sorties médiatiques, les  réactions nauséabondes  de certains ministres à des questions d’actualité brûlante et le comportement inapproprié de certains membres du gouvernement sont des exemples qui prouvent et confirment qu’au Maroc les critères de choix  des ministres  n’ont aucun rapport avec la compétence et le souci de servir l’intérêt général, l’intérêt de toutes les couches sociales’’ (juin 2018)

J’ai retrouvé le même style franc et sans détour d’Ahmed Saber en parcourant son Roman ‘’Le marabout de la vallée des arbousiers’’ et je n’ai pas pu m’empêcher de lui poser des questions quant à la narration de certains faits historiques qui jonchent et enrichissent le récit. Il m’a répondu de tac au tac : ‘’Mon roman n’est pas un ouvrage sur l’histoire ni sur la politique ou la diplomatie. En outre, je ne me permettrais jamais d’écrire pour faire plaisir à autrui ou écrire en pensant aux autres spécialisés dans les procès d’intention. J’écris en fonction d’un contexte et en prenant en considération les caractéristiques du personnage. Je ne suis pas un « cheikh d’écriture « qui écrit tout en pensant aux autres, et tout en étant obnubilé par l’avis des autres. Cette façon de procéder pourrait ruiner la plume. L’écriture sans l’auto-censure et sans des références comme contraintes   est ma bible. L’écriture devrait être le domaine des hommes libres mais sans méchanceté’’

Ce serait ainsi que devrait penser, parler et écrire ceux et celles issus de cette génération, à cheval sur le Maroc colonisé et celui indépendant. C’est un devoir; leur devoir de mémoire que des gens comme Ahmed Saber ont assumé, et ce, en choisissant la fiction pour mieux raconter l’amer réalité d’une population sous le joug du colonialisme français, déguisé en protectorat, durant de longues années ou la morale avait flirté avec l’immoral et où le patriotisme se laissa, quelquefois, séduire par la trahison.

Merci mon ami pour ce témoignage qui souligne, si besoin en est, que la Réalité dépasse souvent, et de loin, la fiction.

By AEF