En ce premier dimanche du mois de mai 2014, je me suis réveillé tout imbibé comme au sortir d’un cauchemar récurent qui s’acharne depuis déjà une éternité. Je me hasarde à me sentir pour me confirmer l’odeur de la sueur et je me surprends à flotter dans l’inodore d’une peau pourtant mouillée pore par pore jusqu’au plus fin des poils
Par Majid Blal, écrivain et poète.
Je tends une main nonchalante pour allumer la lampe de chevet trônant comme un astre brillant toujours prêt à en découdre avec la grisaille ambiante qui a pris ses aises dans ce coin de pays depuis si longtemps. Ma crainte est que le soleil fasse une irruption vulgaire, une apparition impromptue, qu’il se faufile par une lézarde à la lisière des rideaux et qu’il vienne comme un filet de rayon laser m’éborgner et assécher ma peau.
La lumière diffuse fuse et mon corps réagit comme réagissent certains malades à la dopamine. Il se cabre. Mes cellules n’ont plus la mémoire des saisons depuis que les saisons ont été noyautées par la mémoire de l’eau. Depuis novembre, nous avions entamé la longue saison des averses en solide, en grésille et en liquide. Sept mois, pendant lesquels je me suis abreuvé de fluide en formule H2O.
Je jette un œil amorphe du matinal sur mon corps que j’ai soulagé du toucher désagréable des draps humectés et je n’ai vu qu’un gros tubercule en pleine germination. Une excroissance en racines qui plongent dans la flotte comme un fœtus dans le formol et qui se prolongent en branches sur la descente du lit.
Au lieu de m’enraciner dans la terre de ce pays, je suis entrain de subir la germination dans ses réserves d’eaux douces. Je ne suis plus au Québec mais dans le Waterland de mon destin où ma nouvelle constitution de bulbe gorgé à satiété tire ses nutriments. Je suis devenu une chose aquatique. Un fayot en tentacules flasques que des jeunes pousses lézardent et partent émigrer à travers mes orteils comme une fève germée qui tendrait à envahir l’espace au sortir de la bouteille.
J’ai osé un geste pour caresser mon ventre et je n’ai vu qu’une racine incolore et presque transparente comme ces insectes des profondeurs qui n’ont plus de pigments ni de pigmentation. Une sorte de Neotroglobie cavernicole. Mon abdomen et ce qui faisait office de bedon, ne sont plus qu’un épigastre visqueux de batracien. Une entité qui, de peur de s’imbiber comme une éponge, essaye de chercher une force mentale pour réagir en super hydrophobe. Rejeter l’eau en la laissant glisser comme une feuille de Lotus qui refuse de se laisser gonfler par l’élément dont la carence crée la soif.
J’avais eu des pressentiments et j’avais anticipé l’avènement de la métamorphose depuis que le soleil s’est exilé ailleurs, nous laissant dans la grisaille des nuages triomphants. Hélas, je n’ai pas pu agir au delà de mon pouvoir bien menu. J’ai juste, à répétition, mis du vin dans mon eau pour ne pas céder et ne pas céder tout le terrain à l’élément mouillé. Depuis novembre 2013, la pluie et ses acolytes du ciel se sont bien imposés comme l’armée de Gengis Khan.
Ne pouvant prier depuis que les dieux sont devenus sourds aux appels des humains en détresse, j’ai esquivé la dimension religieuse et je me suis concentré sur l’écho de mon souffle que ne porte plus le vent. Les dieux sont devenus sourds et personne n’a pensé à leur enseigner le langage des signes ainsi qu’à leurs ouailles.
Faudrait bien établir un canal de communication entre divins et humains pour pallier aux injustices flagrantes. L’Afrique se meure asséchée, assoiffée et les canadiens vivent les excès des déluges et barbotent dans flaques qui débordent.
J’ai voulu crier mon horreur de la chose. La grisaille m’a rendu terne et la flotte m’a rendu difforme. Je ne ressemble plus qu’à un ventre de crapaud avec des tentacules végétales.
J’ai voulu émettre un son réprobateur de ma métamorphose mais je n’ai rien entendu à part le gloussement qui clapote des bulles en ondes sonores s’échappant des commissures de ma bouche. Je n’ai plus de voix humaine, je dois apprendre le chant des baleines.
Par Majid Blal
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