Les résultats des élections européennes ont porté le parti de Marine le Pen (Le Front National ) en tête. Résultat du tsunami : Front national 25% des voix, 5 points devant le premier parti de France l’UMP et loin devant le parti socialiste, actuellement au pouvoir qui n’a récolte qu’un timide 14% des suffrages.
Ce résultat ne fait que confirmer l’avancée du Front National dans le paysage politique Français, depuis 2007; le parti d’extrême droite a su gagner la confiance de nombreux français et fait de bons scores dans les élections cantonales, régionales, municipales et pour terminer les Européennes où il est arrivé en tête.
Cette ascension politique fulgurante du FN, le parti le doit essentiellement à la brillante stratégie de sa présidente, Marine le Pen.
DÉDIABOLISATION DU FN
Dès son arrivée à la tête du FN, Marine le Pen développe une politique de dédiabolisation du parti, évitant soigneusement de déraper comme avait coutume de le faire son père Jean-Marie le Pen, l’actuel président d’honneur du parti. Marine le Pen, maitrise les outils de communication, polisse son discours, change la terminologue du programme, on ne parle plus ‘’priorité nationale’’ mais de préférence nationale. Enfin le Front national qui a toujours été un parti catholique et misogyne se réconcilie avec la laïcité et le féminisme dans une finalité moins noble en revanche, celle de s’opposer encore mieux à l’islam tout en restant dans le cadre du politiquement correct.
Au delà de la maitrise de la communication politique, Marine le Pen a initié une véritable stratégie politique qui est celle de se positionner comme un parti au dessus de la querelle traditionnelle gauche droite. En effet, le FN est de loin devenu le premier parti des ouvriers; la classe populaire a déserté le Parti socialiste et se reconnait d’avantage dans le discours très social du Front national, dans le maintien de la très couteuse politique sociale française, dans le soutien aux travailleurs qui se font licencier en raison de la délocalisation de leurs entreprises pour faire Face à la mondialisation, ou de la baisse des salaires en vue d’être compétitif dans l’union européenne. De la même manière, le FN récole de nombreuses voix de droite sur la question de l’identité nationale, de l’arrêt de l’immigration, et la question de l’islam et des musulmans qui sont devenus les boucs émissaires désignés de la crise économique et sociale qui sévit en Europe.
LE PARTI DES ABSTENTIONNISTES
L’intelligence politique du FN a été de paraitre plus social que les socialistes et plus conservateurs que l’UMP.
Il ne faut néanmoins pas oublier dans l’analyse des résultats des élections européennes le taux d’abstention qui est très fort, 56% des Français ne se sont pas déplacés pour effectuer leurs devoirs de citoyen. Les français boudent les élections européennes tandis qu’ils sont très mobilisés pour les élections présidentielles. Il s’agit d’un véritable paradoxe, car tout juriste vous dira que le droit européen est au-dessus de la constitution des états. Les ONG, les groupes de pression, les entreprises ont tous déménagé leurs bureaux de Paris, Londres, Berlin vers Bruxelles, conscients que les grandes décisions ne se prennent plus au niveau national mais au niveau européen. Néanmoins, les français, fidèles à la culture de l’homme providentiel, restent persuadés que c’est le président qui est le seul décideur du pays comme l’ont toujours fait les grands hommes de l’histoire de France, que ce soit Napoléon ou plus récemment le Général de Gaulle.
Enfin, il est certain que la France n’est pas une exception européenne, bien au contraire, elle est simplement le reflet de son continent. L’Europe est frappé par une crise économique et sociale sans précédent depuis les années 30, les Européens ont à cœur les questions identitaires au moment où cette identité est remise en cause par le haut, dans l’intégration européenne et la mondialisation, ces derniers s’accroche à des valeurs nationales qui serait mise à mal par l’islam et l’immigration. C’est la raison pour laquelle c’est la première fois depuis le Traité de Maastricht de 1992, que les peuples européens ont envoyé au Parlement un certain nombre de députés d’extrêmes-droite et néo-nazis qui composent un peu près 10% du parlement.
LES LOUPS DANS LA BERGERIE
Si l’on ajoute les députés anti-européens qui ne sont pas d’extrême droite, on arrive à un peu plus d’une centaine de députés sur 751 sièges.
En plus de la crise économique et des questions identitaires qui sont des données fondamentales pour comprendre l’euroscepticisme qui gangrène l’Europe, il nous faut analyser ce qu’est devenue l’Union Européenne aujourd’hui et se poser la question de savoir si elle est restée fidèle à l’idée originale. L’Union Européenne qui a d’abord commencé par un accord entre quelque pays sur la gestion des ressources de l’acier et du charbon (Communauté européenne du charbon et de l’acier ou CECA , NDLR), matières fondamentales pour l’industrie militaire, est devenu en quelques décennies l’organisation régionale la plus influente du monde. Avec un budget avoisinant les 200 Milliards de $, L’Union européenne a les moyens de sa politique.
Le Traité de Rome ratifié en 1957 a initié le marché commun et s’est donné comme objectif un programme économique et social équilibré et durable. En somme, l’idée était de favoriser la compétitivité des entreprises européennes dans un souci de développement social. Concrètement cette idée s’est traduite par une redistribution des richesses des pays les plus riches vers les pays les plus pauvres en vue de mettre leurs infrastructures, leurs technologies et leurs universités au niveau des pays les pus riches, pour favoriser un commerce et un libre-échange juste et équitable.
Concernant la politique sociale de l’Union européenne, l’organisation a toujours été dans les combats qui attraient à l’éducation, l’égalité hommes-femmes, le respect des minorités, et les protections des libertés individuelles. Il n’est pas rare que l’Union européenne ait donné de fortes amendes à des pays membres en vue d’une politique jugé discriminatoire ou que la cour de Justice européenne casse un arrêt de la plus haute court d’un pays membre.
De plus, les projets de politique étrangère et de défense commune révélaient une idée politique de l’Union européenne. Ainsi les citoyens européens percevaient l’Union européenne comme un contre pouvoir aux déviances possibles des politiques nationales, une organisation avec le souci de l’équité sociale, un marché économique qui prennent en considération les inégalités de développement, et une organisation intégratrice pour mieux peser à l’internationale.
UN SIMPLE MARCHÉ DE LIBRE ÉCHANGE
En somme l’Union européenne était une organisation qui protégeait les Européens à l’intérieur comme à l’extérieur de leurs frontières.
Or, force est de constater que depuis quelques années, l’Union Européenne s’est transformée en un simple marché de libre échange, relayant la dimension de l’équité sociale au profit de l’efficacité libérale. Le tournant majeur a été opéré en 2004, où la Commission européenne était favorable à l’adhésion de 10 nouveaux pays qui n’avait en aucun cas le niveau de développement des pays membre, tandis que les pays membres loin des 30 glorieuses n’avait plus les moyens de financer le développement de ces nouveaux pays. La Commission européenne percevait simplement ces adhésions comme un simple élargissement du marché européen sans chercher à atteindre l’harmonisation en terme de développement.
À cela s’ajoute la crise économique de 2008 qui va accentuer le virage libéral de la Commission Barroso. Face à des pays comme l’Espagne où l’endettement des ménages avait atteint un taux critique et la Grèce ou les comptes publics ont été maquillés par Goldman Sachs, la seule réponse de Bruxelles à été la coupe dans les dépenses sociales, et une sévère politique d’austérité qui n’a fait qu’aggraver la situation de rejet de l’Union Européenne.
Le problème fondamental est que l’Europe n’a plus de caps, aucune vision de l’avenir a proposé, aucun projet politique audacieux à offrir contrairement aux dernières décennies. Ainsi, la même organisation qui était perçue comme protectrice il y de cela a peine 20 ans est vu aujourd’hui comme agressive.
JETER LE BÉBÉ AVEC L’EAU DU BAIN
Est-ce à dire qu’il faut mettre fin à cette formidable idée qu’est l’Union européenne et jeter le bébé avec l’eau du bain ?
Les mêmes français, qui déçus par la politique européenne ont voté front national pour mettre fin à l’organisation, vont ils appeler à la fin de la démocratie française parce qu’ils sont déçus par le président Hollande ?
Cette analogie qui peut paraitre caricaturale est en réalité centrale dans la crise de confiance que connaissent les institutions européennes. Beaucoup de personnes qui ont voté FN sont des jeunes qui sont né alors que l’Union européenne était déjà aboutie, mais le sentiment d’appartenance à la famille européenne n’est pas aussi fort qu’elle ne l’est pour la nation. C’est la raison pour laquelle beaucoup de peuples européens en désaccord avec la politique européenne pensent d’avantage à mettre fin à l’organisation plutôt qu’à la changer.
Les Français ont en réalité une méconnaissance profonde de l’Europe et des institutions qui la composent, elle est une organisation centrale pour le pays mais n’est aucunement enseignée dans les écoles. Or tous les sociologues sont d’accord sur le fait que c’est à l’école que l’on forge son identité, que l’on se familiarise avec les institutions et l’histoire du pays. Il est peut-être temps, de faire tomber une des dernières chasses gardées des états qui sont les programmes scolaires. Il faut étudier l’histoire et la politique d’avantage dans une perspective européenne que nationale ou abandonner l’idée d’Europe à jamais…
Par Anas Abdoun, Maghreb Canada Express, Volume XII, N°6, Juin 2014.