Par Majid Blal, Écrivain et Poète, Maghreb Canada Express, Vol. XII, N°10, Page 20

JCMC-majidJe fulminais ! Pendant que la petite Talbot, lourdement chargée, se frayait un chemin à travers les ondulations chimériques qui s’élèvent de l’asphalte quand le soleil y a fourgué toute la chaleur de sa rage.

Je fulminais, postillonnais et essayais de convaincre la personne qui me ramenait vers  l’aéroport que radoter, ressasser les problèmes familiaux et leurs pendants des comportements irresponsables de certains membres de la fratrie, n’est ni adéquat ni souhaitable. Ni n’est dans un timing propice quand je suis sur le seuil de quitter le pays.
J’étais en exaspération et comme je suis de tendance colérique, j’ai parlé fort et vite au point de bafouiller et de recommencer à bégayer comme dans mes souvenirs d’enfance.  Pourquoi me parle-t-on de Amina et qu’est ce qui les prend  tous à aborder des sujets intimistes qui ne les regardent ni de près ni de loin? Amina n’est plus qu’un fantôme qui squatte et hante des coins reculés de ma mémoire. Comme le dit un proverbe africain, l’arbre est devenu une pirogue, on ne revient pas en arrière. On ne fera jamais à partir d’une pirogue une nouvelle souche.
Pourquoi attendre le moment du départ et de la séparation pour me remettre sous le nez tant de fiel emmagasiné pour être gerbé à l’instant propice qui fait mal pour uniquement faire mal? Pourquoi attendre le moment de me jeter à la figure une gibelotte de pépins et de reproches avant que je ne leur échappe sur les ailes de l’avion vers des ailleurs qu’ils croient dénués de moindres problèmes et la moindre adversité?
Heureusement que le débarcadère était en vue. Je n’avais que le désir de m’extirper de cette petite boite à sardines qui puait les chicanes intestines et les propos qui se décomposent de l’intérieur avant de teinter du fétide le langage.
La voiture s’arrête net et je débarque aussitôt, permettant à mon accompagnateur de rebrousser chemin et de quitter les lieux avant qu’il ne me sorte l’argument tout terrain du stationnement difficile à dénicher ou de la pertinence de repartir avant que circulation ne devienne dense au retour
Je ne l’ai salué que formellement  du bout des mots. Même son visage m’était devenu anonyme et ses traits sans contours ni forme personnalisée apparente. Je me suis engouffré immédiatement dans l’immense aéroport comme pour échapper à mon destin et j’ai soupiré très fort  pour me nettoyer le mauvais sang de l’air vicié qui sévissait à l’extérieur. L’air étouffant du relationnel devenu aussi torride que le local soleil écrasant.
Mon supplice a été de courte durée. À peine à l’ombre dans le gigantesque espace climatisé, que j’ai été happé par les rires et les chaleureuses salutations de deux de mes vieilles amitiés que je n’avais pas revues depuis des siècles. Karmoussa et Jolie figue étaient rayonnantes et d’une telle humeur à me donner l’idée de cambrioler leurs âmes pour en faire un lieu de pèlerinage chaque fois que mes bougonnements m’indiqueraient une humeur massacrante en gestation.
Très vite. Nous nous étreignons et nous nous estampons des bises claquantes que déjà, nous déambulons dans les vastes couloirs aussi larges et invitants telles des allées marchandes ou d’immenses centres d’achats.  De fil en aiguille, de verre en pot et de coins en racoins, nous avons écumé les couloirs de l’aéroport qui était aussi immense et aussi grouillant que celui de Philadelphie.
Tout à coup mon cœur s’est emballé. A fond, il a fait des bonds qui cognaient ma cage thoracique  au point de craindre qu’il me fasse faux bond. Je venais de me rendre compte, à presque une heure de l’embarquement, que je n’avais pas mes bagages et qu’en jaillissant à la va-vite de l’automobile, je n’avais que le jacquet en Jean blanc que je retenais négligemment du bout de l’index sur mon épaule. Panique. Angoisse. Hyperventilation. Bouche asséchée par je ne sais quel drainage des glandes salivaires. Je me mets à courir sans savoir où ni dans quel but. Je déboule les escaliers roulants et je me vois me diriger tel un automate vers la cabine téléphonique la plus proche. Il Faut que j’appelle la personne qui m’a amené pour lui demander de revenir au plus vite me rapporter mes valises.
Au moment de composer, je me suis interrogé: Serait-il plus cohérent d’aller m’enquérir, d’abord, au bureau de l’information si quelqu’un y avait déposé quelques items pour moi? Du coup je me remets à courir en direction des guichets de service tout en tendant l’oreille aux haut-parleurs appréhendant l’appel imminent à l’embarquement que je ne veux surtout pas rater.
Arrivé en face du bureau des renseignements au public, je me rends compte que je n’ai pas mon blouson blanc qui contenait les preuves de mon altérité: tous mes papiers, billet d’avion, passeport, cartes d’identité, cartes de débit et de crédit… Maudit Jacquet que j’ai déposé par-dessus la cabine du téléphone public quand j’ai commencé à composer le numéro de mon beau-frère…
Re-panique. Je n’ai plus de sang, qui en traitre a fui mon visage. Je pisse la sueur de tous mes pores, je me balbutie quelques inepties, pendant que je visualise mon regard devenu vide. Je suis en difficulté mis en échec et presque mat par une suite de complications qui doivent se marrer de ma situation. Je n’ai plus ni papiers ni argent liquide  sur moi et comment faire pour me retaper le trajet vers Midelt si je perds tout et ne retrouve rien…
Je me suis remis à courir dans le sens inverse en poussant les passagers qui en attente de pénétrer dans la zone d’embarquement, font les badauds. J’accélère le pas en grommelant et essayant de me convaincre qu’il subsiste encore dans l’univers de mes contemporains, des gens honnêtes et qu’on n’osera pas me piquer mes laissez-passer vers ma vie…
Je suis déboussolé et courir a masqué les tremblements qui me parcourent le corps et que mon échine dispatché à tous mes membres sans discrimination. En arrivant face à la cabine téléphonique, mes yeux fouinent, trifouillent les coins, furètent et fouillent. Tout ce qui pourrait avoir l’apparence d’un linge blanc est devenu un objet d’investigation .
À cet instant précis, je sors de mon cauchemar tout imbibé de sueur et tremblant comme pendant les grandes peurs de mon enfance. Je me lève d’un saut et me hâte de m’installer devant mon ordi pour vous relater cette péripétie nocturne. Preuve qu’un nomade, le demeure même dans ses cauchemars.

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Mes femmes qui ne m’ont jamais quitté

Cinquante sept ans en ce mois auguste et je suis toujours amoureux des femmes qui avaient comblé un jour et partagé les autres, marquant les étapes de mon cheminement.
Chacune avec sa place de choix, avec son lot bien à elle.
Je suis toujours aussi amoureux qu’aux débuts de chacune de ces idylles qui avaient squatté une niche dans mon cœur et dans la mémoire affective. Des femmes qui m’avaient aimé, qui m’avaient donné tout le bonheur qu’elles pouvaient pendant le temps que cela durait et les femmes qui ne pouvaient rien donner car prendre leur prenaient tous leurs sens et l’énergie nécessaire pour colmater les trous béants qui gobaient sans jamais se rassasier ni restituer
Chacune avec son prénom, avec son petit nom…
Je suis toujours en amour avec celles qui m’avaient fait souffrir, celles que j’ai fait pleuré, celles qui m’avaient appris moi et celles qui m’avaient enseigné la femme.
Celles que j’avais rendues folles d’amour, de rage ou de chagrin, celles qui m’avaient rendu fou de béguin, de jalousie ou de remords. Celles qui étaient parties un matin, celles que j’avais quittées au bord du chemin, celles qui m’avaient plaqué pour un nouvel aspirant, celles que j’avais  » flushées » pour un simple rien ».
Chacune avec ses particularités, avec sa singularité.
Celles que j’avais mariées et celles qui m’avaient divorcé. Celles qui m’avaient fait rêvé et celles qui avaient sombré dans les cauchemars délirés. Celles qui psychanalysent pour un rien et les mêmes qui se fient à leurs psychologues pour un moins que rien.
Je les « amoure » avec la même passion. Celles que j’avais pu étreindre et celles qui étaient restées lettres mortes de mes désirs ardents.
Celles que j’ai retrouvées, celles que je recherche encore, celles qui ne me parlent plus, celles dont je rêve encore, celles qui ne l’osent plus. Celles que j’avais trompées et celles qui m’avaient très bien trahi.
Je les ai toujours aimées chacune à sa façon, chacune au rythme de sa démarche, au son de son souffle et au pas des battements de ses cils.
Chacune avec ses propres réactions, avec la foi de ses intentions
Et il y a celle dont l’absence avait inventé ma solitude, celle dont le manque avait instauré ma disette, celle dont le prénom s’est forgé en synonyme de regret dans mon âme et en lettre gravée sur le châtiment qui ventouse mes émotions. Celle qui revient en permanence dans mon sommeil m’aviser de ne pas la retracer car ses enfants sont désormais grands et son mari n’a jamais entendu parler d’un ténébreux devenu poète.
Majid Blal

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