Par Kamal Benkirane, Auteur et éditeur
Martin Couture-Rouleau et Michael Zehaf-Bibeau ont mis devant le fait accompli ministres, députés et élus du Québec et du Canada avec des actes terroristes qui ont institué une nouvelle donne sur ce que devraient être les mesures de sécurité et de protection à entreprendre envers les citoyens, et les lois à mettre en chantier pour mieux cerner le mal et mieux protéger les institutions démocratiques du Canada.
Martin couture Rouleau, à Trois-Rivières, converti à l’islam radical après avoir été écœuré de tant de mal de vivre, repu d’alcools à tout bout de champ, tue à Val-Cartier des militaires avant de finir làoù il devait finir. Michael Zehaf Bibeau, itinérant connu pour sa dépendance à la drogue, se voit retirer son passeport et voit ses doses en drogue rétrécir.
Frustré, il ne tolère plus ses privations et passe à l’acte. Il tue un soldat tout en se faufilant au parlement d’Ottawa en vidant ses cartouches sur tout ce qui bouge. Au Québec, la consternation est générale, le premier ministre Philippe Couillard préconise une consultation élargie auprès de imams dans le but de trouver les moyens efficaces de lutter contre la radicalisation des citoyens québécois musulmans.
Puis à Ottawa, le ministre de la Sécurité publique Steven Blaney a soutenu que le gouvernement conservateur allait déposer un projet de loi pour renforcer les pouvoirs des autorités sécuritaires. Ces actes gratuits et délibérés n’en restent pas moins un signal de ce que vit une société en mal de spiritualité, et dont certains citoyens facilement influençables peuvent agir en toute impunité!
De ce fait, plusieurs analyses de la situation ne peuvent supplanter ces questions-ci, à savoir entre autres si on est devant une manifestation du terrorisme d’occasion ou du terrorisme tout court, et donc si ces deux individus sont des terroristes potentiels ou ont-ils tout simplement sombré dans un égarement existentiel qui les a poussé à passer à l’acte!
Terrorisme ou maladie mentale
Il est clair que les motivations d’attaquer des militaires revêtent des symboles.L’acte terroriste transmet un message politique, c’est aussi pour glorifier, entre autres, le Jihadisme contre les États anti islam, gagner des lauriers aux yeux des autres djihadistes du monde, se venger de l’autre, qui est « raciste », contrer les politiques mécréantes, etc. Toute une idéologie qui rejette la différence comme vecteur incontournable.
Pour autant que la prise de conscience de tout ce délire soit dictée par cette idéologie ferme, la maladie mentale fait partie de l’équation. Martin Couture-Rouleau, n’était-il pas du genre Schizophrène ? de ceux qui fonctionnent bien en société, puis que tout d’un coup, tout bascule chez eux ? Aurélia Comana, professeur des sciences politiques à l’Université de Laval dit :
« Premièrement, on ne naît pas terroriste, on le devient. Donc, on suit une trajectoire. Deuxièmement, certains individus qui ont commis des attentats terroristes ont fait preuve d’une vulnérabilité psychologique, voire étaient atteints de psychopathologie. L’un n’exclut pas l’autre. Mais ce que l’on constate, c’est que l’écrasante majorité des terroristes ou qui font partie d’organisations terroristes sont d’une étonnante normalité.»
Tout dans le cas des djihadistes islamistes indiquent qu’ils sont passés par une trajectoire pour des revendications religieuses, toutefois, il n’en demeure pas moins outrancier de procéder rapidement à un profilage directe d’une communauté culturelle particulière lorsqu’ un acte terroriste est posé par un individu converti à l’islam radical. Rouleau s’était radicalisé après un vide existentiel, ses choix ne font pas de la communauté musulmane la porte-parole de son égarement ! De ce fait, nous sommes devant un fait historique qui ne peut se dissocier d’une certaines évidence, celle où cet acte rejoint celui de Marc Lépine, de Denis Lortie, et de Richard Baine dans la lignée d’une société québécoise qui a une tradition dans le terrorisme.
Profilage, Terrorisme et idéologie
Le profilage continue d’ostraciser les musulmans du Canada. Une certaine pression se fait sentir sur les québécois et canadiens musulmans pour sortir dans la rue dénoncer ce radicalisme, sans oublier le ressentiment d’être pris tout le temps pour la passerelle de l’autre. Le sentiment de citoyenneté de tous les québécois et les canadiens en sortira gagnant de se concerter autour d’une vision de société qui jugerait ses citoyens par ordre de profession plutôt que par ordre des communautés culturelles. N’est-il pas logique aussi de craindre, dans les moments les plus imprévisibles, le médecin, l’ingénieur, l’enseignant ou le juge qui fomenteraient leurs folies meurtrières quelque part, dans un bar, dans un building ou dans une école?
L’idéologie du terrorisme emmure certaines personnes là où il ne faut pas, et dissémine son poison dans les esprits fragilisés par l’ampleur des propagandes.
Dans cette profusion des analyses qui battent leur plein dans tous les médias, il y a de quoi s’étonner qu’on puisse taxer automatiquement un arabo musulman de terroriste, et qu’on se suffise auprès d’un québécois converti à l’islam de s’attarder minutieusement sur les causes qui l’ont poussé à commettre l’acte, cela dans un contexte qui met le terrorisme tout court au pied du mur avec le terrorisme d’occasion.
Or, une victime d’une idéologie reste une victime peu importe son appartenance culturelle, cette idéologie qui passe au four et au moulin comme dans un jeu de casse-tête est continuellement dopée par les puissances occidentales qui manient ce jeu, et par les médias qui gonflent à l’hélium la propagande. En somme, lorsque la guerre des tranchées bat son plein sur les réseaux sociaux, et lorsque certaines déclarations fleuves comme celle d’André Drouin de Herouville viennent mettre de l’huile sur le feu, en réclamant une fermeture immédiate des mosquées, on est ici dans une nouvelle perspective, celle de la remise en question de la définition du terrorisme en général et du terrorisme intellectuel au sein même du territoire québécois.
Le terrorisme d’occasion ne se substitue pas dans son ampleur au terrorisme tout court puisque les deux puisent dans les mêmes idéologies de meurtre, du radicalisme, et de la glorification des idéaux politiques et religieux. Cette éternelle valse des mots ne changera rien sur les visées du terrorisme menés par des fous et des djihadistes en mal de vivre mais surtout en mal d’autocritique.
Kamal Benkirane, Volume XII, N°11, page 08, Novembre 2014,Maghreb Canada Express.
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