Par Dr. Brahim Benyoucef expert-consultant en urbanisme et sciences sociales.

brahim benyoucefDans la mêlée des terribles événements violents qui ont secoué le Canada ces derniers jours d’octobre 2014, je constate que les médias tendent à mettre l’accent particulièrement sur le phénomène de la conversion à l’Islam des auteurs de ces actes (la radicalisation) et, sur la réaction des musulmans et sur la mise à contribution des leaders religieux musulmans dans la prévention. Cette façon de faire renforce encore davantage l’image déjà largement répandue, depuis au moins septembre 2001, associant par défaut l’Islam et les musulmans au terrorisme.

Ce constat m’interpelle pour plusieurs raisons :

D’abord, par principe, je déplore et je dénonce fermement ces actes terroristes et toutes les formes de violence, portant atteinte à l’intégrité des personnes et à la dignité humaine, quels que soient les auteurs, les victimes, les lieux et les motifs évoqués;
En deuxième lieu, j’éprouve la crainte de voir l’amalgame s’installer et ouvrir grande la porte à la haine, à la stigmatisation, à la discrimination et à la phobie de l’autre (surtout du musulman), et par conséquent miner l’harmonie du bien vivre ensemble;
Je ressens vraiment un malaise à être pointé du doigt en tant que musulman; de devoir supporter le fardeau d’une culpabilité liée à un crime que d’autres ont commis au nom de l’Islam et devoir m’en dissocier pour prouver mon innocence, car l’association au crime est établie par défaut;
À force de voir l’Islam associé au terrorisme, Je me dois de poser des questions sur la façon comment il en est impliqué?
Comment l’ange se transforme en monstre?
L’Homme, malgré sa force apparente est d’une fragilité étonnante. La perte d’équilibre peut facilement le faire basculer vers la folie en un clin d’œil. Les cas sont nombreux de ces êtres qui en allure humaine se transforment en monstres, et arrivent à commettre les pires atrocités. Les terroristes de tous bords, les auteurs des massacres et des fusillades, les tueurs en série, etc. de tous les temps et de tous bords, peut importe la cause qu’ils soutiennent, ils souffrent de déséquilibre mental ou bien ils éprouvent une forte colère et un sens aigu de vengeance et de haine, ou bien ils agissent de la sorte pour cause d’une disposition mentale favorable à la violence.
Le lien à la structure mentale et à la façon comment le sujet pense et raisonne, revient dans tous les cas. La psychiatrie, la psychologie et la sociologie n’ont pas livré encore tous les secrets et les énigmes qui entourent l’Homme.
Les portraits dressés révèlent un certain nombre de conditions et traits communs, qui rendent explicable la trajectoire de la métamorphose. Il s’agit d’une série de pièges successifs qui guettent la proie, et finissent par l’entraîner dans la spirale de la violence, il s’agit entre autre de :
le piège de l’enfance perturbée;
le piège d’une jeunesse en marge;
le piège de l’existence dans la confrontation;
le piège des conditions du milieu;
les risques associés à une personnalité secouée, éprouvée et fragilisée;
le danger de l’injustice : certains sujets démarrent à ce stade. Tout en ayant vécu une enfance et une jeunesse équilibrées, tout en ayant bénéficié de conditions normales de vie et suivi une scolarité normale et emprunté une voie professionnelle normale, ces sujets peuvent basculer vers la violence suite à une forte épreuve d’injustice;
le piège de la haine; qui vite prend place suite à une amère expérience d’injustice;
le piège du loup : le loup rusé, intelligent et opportuniste recrute dans ces milieux et ces conditions pour le compte de mystérieuses organisations, des proies faciles, car présentant le profil approprié (personnalité démolie, état suicidaire, personnes en perte de confiance, d’estime, de repères et d’identité et à la recherche d’issue.)
le piège du dogme : rencontre fatale d’une cause qui donne un sens à ses délires. Il y trouve alors, réponse à ses attentes : Sens, reconnaissance, place et statut;
la métamorphose : le sujet se transforme alors d’humain en monstre pour se venger sous l’influence du loup, de tous et de tout, puisant dans le dogme la légitimité de ses actes.
le marketing du dogme : la cause se choisit un véhicule dogmatique endurci approprié à la tendance du moment pour faire plein effet;
le danger de l’obscurantisme: la cause pour trouver écho, se choisit une voie dogmatique, pour emprisonner définitivement le sujet et le soumettre à l’exercice de la manipulation. La cause se choisit aussi un discours endurci, radical et suicidaire pour satisfaire les attentes suicidaires de personnalités fragilisées et éprouvées. Le procédé consiste à manipuler d’une façon littérale et superficielle et par voie de raccourcis des textes religieux reliés à des contextes spécifiques; ils sont alors détournés par conséquent de leur sens et vidés de leur foi. L’instrumentalisation de la religion islamique pour soutenir ces stratagèmes de propagation de la peur et de la terreur est très répandue ces dernières années. Cette dogmatisation se développe et se propage d’une façon structurée à travers des réseaux et des écoles et occupe de plus en plus de place dans les espaces religieux et éducatifs, avec la bénédiction politique de tous.
Le crime est et demeure profitable au climat de la peur, de la terreur et de la confrontation; soit à la guerre et à ses marchands pour régner en maîtres.
Les victimes sont toujours les mêmes : individus et groupes de tous bords, maillons faibles de la chaîne sacrifiés au profit du prince; c’est l’aveu de machiavel, tête pensante du prince!
Est-ce que l’Islam est source de violence?
Il ressort ainsi que la cause si elle emprunte un véhicule islamique dans ce contexte, elle n’est pas l’unique facteur et n’intervient qu’à la fin du processus. Ceci confirme que c’est la responsabilité de tous et personne ne doit fuir sa responsabilité, ni désigner quelqu’un à sa place. L’Islam demeure une religion de paix, qui vise l’épanouissement moral, social et le bien-être des individus et des groupes. Sa démarche globale vise la protection de cinq domaines sacrés et inviolables : la foi, l’âme humaine, la dignité humaine, la raison et le patrimoine humain.
Le fait que certains en font une manipulation trompeuse des textes pour propager l’esprit dogmatique, porter atteinte à la raison et pour détourner le texte de son sens et le vider de sa foi, pour des fins tels que expliqué précédemment, ceci ne doit pas servir de prétexte pour mettre en accusation l’Islam et les musulmans.

Il est clair que la responsabilité de tous est mise en cause. Et, tous doivent s’impliquer dans la projection d’un demain meilleur, où règnent paix, justice, équité et prospérité.
Tous sont interpellés pour réaliser ensemble ce beau et noble projet inclusif de société épanouie et prospère : individus, groupes, familles, institutions et pouvoirs publics, leaders sociaux, religieux et intellectuels, etc.
Pour éviter que l’ange sombre dans le désarroi et succombe sous le charme du loup, il est très important de faire en sorte que l’Humain retrouve son équilibre et puisse vivre et évoluer en harmonie avec soi même, les siens et son milieu. Promouvoir les conditions de prospérité sociale et économique. Promouvoir les conditions de la bonne gouvernance sur une base de justice, d’équité, de transparence et de participation. Promouvoir les conditions du bien vivre ensemble et de l’adhésion en harmonie des individus et des groupes. Soutenir une socialisation inclusive favorable à l’adhésion harmonieuse des individus. Soutenir les familles, les jeunes et tous les individus en difficulté et les accompagner dans leur cheminement. Propager la culture de la paix et combattre l’injustice, le racisme, l’exclusion et la discrimination. Combattre le discours haineux à ses sources. Dénoncer le loup, le maître et ses serviteurs.

Par Dr. Brahim Benyoucef, Volume XII, N°11, page 09, Novembre 2014,Maghreb Canada Express.

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