La chaîne de télévision «ARTE » a diffusé le 9 juin 2015, un documentaire sur l’immigration, riche en images d’archives. Il tombe à pic au moment où l’Europe doit faire fasse aux zodiaques remplis de migrants dont une grande partie sombre au fond de l’océan.
Par Mustapha Bouhaddar
L’Europe qui a du mal à trouver une solution pour la Grèce qui ne peut pas payer sa dette, ne sait plus où se mettre la tête, car elle vient de prendre conscience que le problème du flux migratoire, elle ne pourra plus faire semblant de l’ignorer.
Ce documentaire s’ouvre sur le port de la Pirée en 1964, une foule de migrants vient de sortir du port. Une voix off, décrit cette foule de passagers en ces termes : « Peut-être ont-ils renoncé, avec leurs 18 marks de salaire par jour, à économiser les 75000 marks nécessaires. Nous les reverrons peut-être au Pirée où ils embarquent pour l’Allemagne. Une vieille femme derrière la barrière pleure son fils Kanstantinos qui n’a pas réalisé son rêve de créer sa société de transport, et les 400 personnes comme lui, qui ont choisi d’immigrer…. »
Une autre foule de Marocains, de Yougoslaves, de Tunisiens, dans un autre port pénètrent dans un cargo avec leurs valises en carton. La voix off en allemand s’adressant à ces immigrés, reprend : « Vous venez frapper à la porte de notre société d’abondance. Et nous, pour rester riches, on a besoin de votre travail. Mais vous, « travailleurs immigrés », « main-d’œuvre étrangère », ou « migrants », peu importe l’appellation, vous êtes pour nous une source d’embarras. On est enfin riches et vous venez nous rappeler que le monde autour de nous, est misérable. Voilà pourquoi votre venue tombe très mal. On a un devoir envers vous, on le sait bien. Nos Etats renvoient la balle aux patrons et aux syndicats, et les patrons et les syndicats renvoient la balle à nos Etats. Vous voyez qu’on s’inquiète pour vous ! »
On voit apparaître dans un train, une foule d’immigrés espagnols se rendant à Rotterdam. Il y a déjà 6000 Espagnols aux Pays-Bas, 7000 Italiens, des centaines de Yougoslaves, de Turcs, et un millier de Grecs. Ces derniers sont recrutés par 17 sociétés de l’ouest des Pays-Bas.
La voix off allemande reprend : « Ils affluent de toute l’Europe pour chercher du travail chez nous. En 1954, environ 10000 Caribéens sont venus en Grande-Bretagne. Et on estime qu’en 1955, 15000 de plus feront le voyage. Que ça nous plaise ou non, nous ne pouvons les refouler. Ils sont britanniques, leurs droits sont ceux des sujets de l’Empire. Ils font peine à voir et pourtant, ils cherchent le respect par la pitié. Car « tous les hommes naissent libres et égaux, en dignité et en droit. La solution à leurs problèmes se trouve en métropole ou chez eux ? Peut-être aussi qu’en creusant assez, on la trouvera dans notre conscience collective. »
Tous les matins, un train arrive à Munich avec quelques 500 Italiens, venus travailler en Allemagne. Ils sont partis de Naples, Rome ou Vérone, invités par L’Allemagne. Enfin, à l’époque on disait « invités », maintenant on dit : « On est envahi ». Avec un contrat de 9 mois en poche, des immigrés italiens ont quitté le soleil de leur patrie, pour la grisaille de l’Allemagne, et de ses villes industrielles. Ce sont des gens modestes et ordinaires, qui n’ont qu’un désir : gagner de quoi faire vivre leur famille restée en Italie. Leurs valises sont remplies de victuailles : salami des Pouilles, fromage de brebis de Sardaigne, piments de Sicile et spaghettis.
De quoi économiser un peu et lutter contre le mal du pays ! En effet, les Européens du sud sont insouciants. Mais même les plus enjoués s’assombrissent en pensant à leur avenir incertain. Ils sont seulement sûrs d’avoir un salaire. Et tous admettent que c’est l’argent qui les a attirés ici, en Allemagne. Certains nourrissent un rêve pour quand ils retourneront en Italie. S’acheter un beau bateau de pêche à moteur, bleu et blanc, et des filets tout neufs, tel est le rêve de Paolo, un homme de grande taille, brun et chétif à la fois. Il porte un béret basque, et travaille dans un chantier de construction comme maçon.
Les nouveaux arrivants doivent d’abord se chercher un toit, puis un travail. Heureusement, certains emplois sont assez faciles à trouver. La plus grande difficulté pour les immigrés était déjà à l’époque, le problème de logement. Ils ont une couleur de peau et des habitudes différentes. Leur cuisine ne sent pas la même odeur que celles du pays d’accueil. Si les locataires du dessus ou du dessous sont belges, ils risquent de se plaindre, voire de déménager. Le pays d’accueil manque de logements, et les mal-logés sont nombreux. Certains estiment que les immigrés devraient être les derniers servis. Déjà à l’époque, certains avaient le discours du Front National. Car Marine Le Pen, a fait de ce thème, le chemin de bataille de son parti. Et malheureusement, bien des Français pensent que les immigrés qui arrivent en France sont prioritaires, que ce soit pour l’attribution du logement ou pour certaines prestations sociales.
On voit surgir dans le documentaire, le visage d’un immigré italien, il a le même regard que celui de Chaplin dans « Les lumières de la ville ». Un visage où se dessine toute la misère du monde. Face caméra, il dit : « Avec ma femme et nos trois enfants, on était à la rue. On a passé une semaine chez sa mère, une autre chez sa sœur. Puis on a fini par trouver un logement tout délabré. Il a 100 ans, le toit fuit, et c’est honteux, à notre époque, de vivre dans ses conditions. Depuis ma fenêtre, je vois des logements sociaux occupés par des Noirs. C’est injuste. Les anciens militaires devraient avoir la priorité sur ces gens. » Comprend qui veut ! Déjà à l’époque, certains prônaient la préférence nationale.
En plus de la concurrence sur le marché de la location, les gens de couleur font face à l’hostilité du voisinage, et beaucoup de propriétaires refusent de leur louer leurs biens. Ils sont prêts à louer n’importe quoi, ils s’entassent à 20, 30, 40 ; dans le même logement, et le blanc croit que ça leur convient. Non, ils n’ont pas le choix. Leur niveau de vie est bien moins élevé que celui du blanc. Et ce dernier pense que ces gens de couleur tirent le pays vers le bas.
Fatou Diome, écrivaine, auteure notamment du best seller « Le ventre de l’Atlantique », parle de l’attrait irrésistible du paradis européen de nombreux africains, et de ce qu’il est en réalité. Elle explique que la principale raison qui pousse les Africains à émigrer est l’économie. Donc le signal fort, ce serait que les pays européens se mettent d’accord pour réellement instaurer un vrai partenariat juste et équitable, pour créer des emplois en Afrique, pour garder la jeunesse et l’empêcher de partir. Se déplacer pour trouver les moyens de survivre, il n’y a rien de plus légitime.
La meilleure solution, est que la communauté européenne doit établir un accord pour que la communauté africaine puisse trouver son compte, garder sa jeunesse, et lui trouver des emplois. Le problème aujourd’hui, causé par l’immigration clandestine, n’est pas dû au manque d’information. L’Europe n’est pas libre de faire tout ce qu’elle veut dans le pays des autres. Ce sont des zones qui appartiennent à des pays souverains. Pourquoi les autres pays feraient-ils, les vigiles de l’Europe ? Est-ce que les autres pays seront obligés d’être au service de l’Europe pour la protéger ? Donc, à un moment donné, il faut que l’Europe se mette en accord avec ces pays-là. On ne peut pas accueillir tout le monde, c’est compréhensible, il faut trouver une solution en amont, et ne pas mettre tout simplement une digue, à savoir arrêter le flux des migrants. Il faut faire en sorte que ces migrants aient des ressources pour pouvoir survivre, et ne trouver aucune raison d’immigrer en Europe. Si on donne un emploi par exemple à quelqu’un qui vit à Dakar, il n’aura aucune raison de quitter son foyer et ses enfants, pour venir travailler dans le froid en Europe, et vivre loin de sa famille.
Au lieu de mettre un mur pour empêcher les migrants de pénétrer dans son territoire, l’Europe doit faire en sorte que ces derniers restent chez eux, et pour ce faire, il faut faire en sorte qu’une démocratie soit instaurée dans ces pays-là. Et pas en les bombardant comme l’a fait Sarkozy en Libye, et laisser leur pays dans une sorte de no man’s land, livré à des terroristes, faute d’avoir fait en sorte d’y instaurer une vraie démocratie.
En attendant, les candidats à l’immigration font le bonheur, et la richesse des passeurs qui profitent de cette manne.
Doit-on prendre en compte les revendications des immigrés politiques, et chasser les immigrés économiques ? Ces derniers sont aussi des êtres humains qui souffrent, et n’ont pas quitté leurs pays de gaieté de cœur. Ils viennent seulement chercher un travail pour faire vivre leurs familles. Et qu’on ne me dise pas qu’ils viennent chercher l’Eldorado en Europe, car ce sont des gens pauvres, mais dignes.
Source : Maghreb Canada Express, page 04, Vol.Xiii, N° 07, Juillet 2015.
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