Est-ce l’échec retentissant du printemps arabe avec cette journée du ramadan particulièrement meurtrière? Où des attentats quasiment synchronisées ont endeuillé la France, le Koweït et la Tunisie ?
Par Anas Abdoun, Étudiant en Sciences politiques à l’Université de Montréal, candidat à une Maîtrise en Relations Internationales
Au-delà de la vive émotion que cela a suscitée en France avec un retour immédiat dans les consciences aux attentats contre Charlie Hebdo, ce qui fut surprenant ce fut l’attaque contre le Koweït; ce petit émirat qui fut épargné jusqu’à présent loin de l’instabilité qui domine la région… à fortiori de cette guerre fratricide entre les deux branches de l’islam.
Enfin beaucoup d’inquiétude en ce qui concerne la Tunisie où beaucoup ne comprennent pas et craignent un échec du soulèvement de 2011.
Instabilité géopolitique régionale
La première raison de cette recrudescence des attentats en Tunisie est évidemment due à l’instabilité géopolitique de la région. La Libye voisine, est depuis l’intervention militaire de l’OTAN en proie à une véritable guerre civile et une instabilité sécuritaire permanente.
De plus, le parachutage par l’armée française d’armes et des munitions au sud de la Libye pour créer un deuxième front, a eu pour conséquence directe l’instabilité dans la région du Sahel jusqu’au Maghreb ou le trafic d’armes est devenu monnaie courante.
Dans cette vaste zone désertique qui est le Sahara, on ne peut raisonnablement pas s’attendre à un contrôle rigoureux des frontières et des armes qui entrent au Maghreb par le sud.
Néanmoins bien que le contexte régional soit une part non négligeable de l’explication de la situation qui se déroule actuellement en Tunisie, elle n’est pas la principal cause. Il faut également prendre en compte dans notre analyse un autre facteur historique et politique.
Traumatisme post-révolutionnaire
La Tunisie traverse une période d’instabilité politique post révolutionnaire. Historiquement il y a deux issues possibles à une transition politique à travers une révolte populaire. La première est la confiscation de cette révolution et le retour à l’autocratie comme en Égypte en somme l’échec du processus révolutionnaire. Le deuxième cas est le processus de démocratisation progressive qui passé inéluctablement par une période d’instabilité d’insécurité et de conflits politiques violents en tous genres.
Toutes les révolutions, américaines, européennes ou russes ont connu une transition de régime très difficile avec leurs lots respectifs de violences. À l’heure où les autres pays de la région au premier rang duquel le Maroc et l’Algérie observent la scène politique tunisienne avec tristesse et assurance, l’ironie de l’histoire est que la crise que connaît actuellement la Tunisie est le sacrifice pour parvenir à un pays pacifié et une vraie démocratie, la première du monde arabe.
Ce sera alors à la Tunisie d’observer ses deux voisins lorsque ces derniers ont emprunté inéluctablement le même chemin.
Échec de l’islam politique ?
Enfin, du fait de la recrudescence des attentats, la théorie émanant de la presse occidentale et certaines presses arabes est l’échec manifeste de l’islam politique soulevant la situation en Égypte mais surtout en Syrie et en Irak où l’islamisme rime avec un dogmatisme religieux ou une guerre inter religieuse que l’on a réveillé après des siècles d’hibernation.
En réalité, il y a dans ce constat un fait indéniable qui est l’échec de l’islam politique mais pour des raisons qui ne sont pas celles que les tenants de la sécularisation de l’État pensent. Chaque idéologie politique tire sa source et sa réflexion à partir de principes philosophiques et des valeurs, profanes ou saintes. L’échec d’une idéologie politique est en réalité l’élément révélateur de la mise en application pratique sur le terrain de programmes politiques.
L’ensemble des idéologies politiques ont connu des échecs électoraux et des crises systémiques, et cela n’a remis en cause en rien, au contraire, leurs enracinements dans la vie politique occidentale. Le libéralisme ou le socialisme ont connu maintes mutations entre la source théorique de leurs idéologies et la mise en pratique sur le terrain. Le capitalisme pur a dû corriger certains traits, prendre en compte la réalité du contexte social, de même que le socialisme a dû prendre en compte les réalités du marché et de la mondialisation loin devant le socialisme originel du début du 19e siècle.
Repenser une laïcité
Ce que ces mutations nous apprennent c’est que l’on ne peut précipitamment disqualifier un courant politique au regard d’un échec temporel a fortiori dans un contexte post révolutionnaire. L’islam politique doit à son tour prendre en compte la neutralité de l’État, repenser une laïcité dans le monde Arabe qui ne soit pas synonyme de sécularisation mais de protection des gens qui ne croient pas conformément au verset du Coran, je ne crois pas en ce que vous croyez, à vous votre religion, à moi la mienne. L’islam politique a connu des échecs électoraux, et une difficile adaptation au pouvoir, mais il ne disparaîtra pas dans de sitôt, car enfin, il faut le comprendre, il fait partie intégrante du pays géoculturel et politique du monde arabe.
Source : Maghreb Canada Express, page 18, Vol.Xiii, N° 07, Juillet 2015.
Pour lire le numéro de juillet (Format PDF), cliquer sur l’image: