Par Abderrafie Hamdi (Rabat, Maroc)
Dans un monde en perpétuelle mutation, les journées nationales ne sauraient rester de simples repères symboliques ou instants commémoratifs. Lorsqu’elles sont pensées comme de véritables espaces d’interpellation et de débat, elles deviennent des leviers précieux pour remettre certaines questions au cœur de l’agenda public, fédérer les énergies et réinterroger les politiques existantes.
C’est dans cet esprit qu’aurait dû évoluer la Journée nationale de la communauté marocaine résidant à l’étranger, célébrée chaque année le 10 août.
Vingt ans après son instauration, ce rendez-vous mérite d’être repensé, non pas comme une succession d’activités locales sans lien, mais comme une plateforme nationale de dialogue, de reconnaissance et de co-construction avec les millions de Marocains établis hors des frontières. Car au-delà du geste symbolique, ce sont bien des choix stratégiques qui sont en jeu.
À l’approche de cette date, une question s’impose avec insistance : cette journée remplit-elle encore les objectifs qui lui étaient assignés à sa création en 2004 ? Ou a-t-elle glissé, avec le temps, vers une routine administrative, déconnectée des réalités et des attentes profondes de la diaspora marocaine ?
Le discours prononcé par Sa Majesté le Roi Mohammed VI en août 2022 avait pourtant ravivé les espoirs. Par un ton direct et des interrogations franches, il traçait une feuille de route ambitieuse, appelant les institutions à repenser leur relation avec les Marocains du monde :
« Nos cadres législatifs et nos politiques tiennent-ils compte de leurs spécificités ? Leur offrons-nous l’accompagnement spirituel, éducatif et administratif nécessaire ? Leur donnons-nous les moyens de réussir leurs projets d’investissement ? »
Trois ans plus tard, ces interrogations demeurent. Quels changements concrets ont été engagés ? Quelle traduction institutionnelle a été donnée à cette vision ? Et surtout, où en est la volonté de faire de la diaspora un partenaire à part entière du développement national ?
Il aurait été naturel que la Journée nationale du 10 août se transforme en un véritable forum annuel de la diaspora, un espace structuré de concertation, de suivi et de projection. Un moment pour écouter, débattre, proposer, et associer les Marocains de l’étranger aux décisions qui les concernent. Réduire leur lien au pays à des enjeux techniques – fiscalité, douanes, état civil, billets d’avion – revient à sous-estimer leur potentiel, leur attachement, et leur ambition pour le Maroc.
Plusieurs pays ont su faire de leur journée nationale de la diaspora un temps fort du calendrier politique et citoyen. En Inde, aux Philippines, au Mexique, en Italie ou au Liban, ces journées sont devenues de véritables tribunes de dialogue, d’hommage et de réflexion. Ces expériences montrent qu’il est possible d’articuler reconnaissance symbolique et engagement stratégique.
Le Maroc, riche de plus de cinq millions de ressortissants à l’étranger, répartis sur les cinq continents, dispose d’un capital humain et relationnel considérable. Il est temps que la Journée du 10 août en soit le miroir fidèle, et qu’elle cesse d’être cantonnée à des manifestations locales sans vision d’ensemble.
L’enjeu n’est pas uniquement administratif. Il est profondément politique et symbolique. Il s’agit de passer d’une logique d’accompagnement à une logique de participation active. Il s’agit de reconnaître les Marocains du monde non comme des « usagers à distance », mais comme des citoyens à part entière, acteurs du présent et du futur du pays.
Le prochain 10 août sera-t-il enfin l’occasion de refonder cette relation et de donner à cette journée le sens et l’ambition qu’elle mérite ?