Appel lancé par professeur titulaire, Chaire de recherche CERII et CELAT, Université du Québec à Chicoutimi
Depuis le 18 juin dernier, les musulmans vivent la période du ramadan, période du jeun ou carême qui coïncide d’ailleurs avec le mois de la révélation du livre saint, le Coran. C’est le mois le plus important de l’année pour le musulman et il lui est demandé de vivre ce moment fondateur dans un esprit d’élévation spirituelle et intellectuelle pour rencontrer les valeurs essentielles prônées par l islam et qui construisent notre commune humanité.
Ce mois d appel au vivre ensemble, à la piété, à la solidarité et au partage vient d être assombri par ce vendredi noir du 26 juin 2015 durant lequel la violence terroriste, qui prétend s inspirer de l islam, s’est encore manifestée. Elle a voulu s’illustrer sous l effet d’une irradiation, d une fragmentation, frappant en même temps dans différents continents, différentes pays du globe. Ainsi en France, en Tunisie, au Koweït, en Somalie, c’est le même aveuglement meurtrier. Cette violence qui vient s’ajouter à d’autres qui ont tant secoué le monde soulève encore le dilemme, le paradoxe de l islam. Le New York Times vient récemment, suite aux attentats racistes de Charleston, d’indiquer que les jihadistes n’avaient pas le monopole du terrorisme. Ce constat ne doit pas cependant occulter une grande interrogation. Comment une religion comme l’islam qui énonce autant la paix, comment le livre saint et guide des Musulmans, le Coran, comment le modèle que constitue le Prophète Mohamed (PSL) arrivent- ils à être exploités comme des cautions pour poser des actions aussi barbares et pour justifier l’inadmissible, l’inacceptable? Car je l’avais souligné, dans mes commentaires sur les attentats de Charlie Hebdo, ces fanatiques, ces terroristes, ces jihadistes disent agir au nom de l’ islam. Ils ne se réclament d’aucune autre religion que de l’islam. Qu’ est ce qu’il y a alors dans le Coran et dans la jurisprudence islamique qui puisse inspirer de telles actions? Voilà une question de fond à laquelle, nous les musulmans, nombreux, qui soutenons que la lecture des jihadistes n est pas l’islam, nous devons répondre.
Soulever cette question difficile ne doit pas être considéré comme une trahison, comme une hérésie. Les musulmans doivent avoir l’audace de l’assumer et de répondre de l’intérieur. Le philosophe français, Balibar, me semble viser juste lorsqu’il dit qu’à cette violence jihadiste, les musulmans doivent répondre par une critique théologique, une réforme du sens commun qui fasse du jihadisme une contre vérité aux yeux de l islam. Rejeter à partir de la volonté même du texte cette violence jihadiste revient à permettre la rencontre de la foi et de la raison. Car Allah est raison. Il est vérite qui surgit de la raison, non d’une résignation ou d un aveuglement de la foi. Il est dit dans le Coran que la parole divine a été révélée afin que nous raisonnions. La raison ne peut autoriser la violence aveugle des djihadistes , de l’État islamique et de Boko Haram.
En Afrique, on dit qu’ un arbre qui tombe fait du bruit alors que celui qui pousse se dresse lentement et silencieusement. Le vacarme de la violence jihadiste, sa stratégie du spectacle, son sens de la médiatisation, de la guérillera urbaine, du harcèlement continuel et de l installation de la psychose sont, selon moi, les signes d’une panique et d’un animal aux abois. Sous ce bruit se cache un ennemi qui sent qu’ il perdra et qu’une volonté mondiale se dresse pour lui dire non. En effet, un contre discours musulman, une éthique musulmane du pluralisme, une interprétation rationnelle et de contexte, un islam de l’égalité et de la démocratie sont en train de prendre le dessus. Le monde musulman et celui non musulman ont ensemble le défi d’une alliance des civilisations pour vaincre l’ignorance, l’obscurantisme et le déni de la raison.
J’espère de tout cœur que ce mois béni du ramada donnera l’occasion, dans nos diffèrentes régions du Québec, à la rencontre, aux échanges, à l’amitié civique autour d un repas collectif de rupture du jeûn, un iftar autour de <l´islam à table>, pour dialoguer sur les multiples raisons que nous avons de vivre ensemble.
(*) Publiée aussi dans le Quotidien du Saguenay le 26 juin 2015.
Source : Maghreb Canada Express, page 08, Vol.Xiii, N° 07, Juillet 2015.
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