Dans quelques années, l’Histoire du football mondial ne retiendra, et c’est le plus important, qu’un seul fait indéniable : l’élimination précoce du Maroc de la coupe du monde, organisée par la Russie en 2018. A partir du 25 juin 2018, les principaux éléments et indices qui seront consignés dans la base de données de la coupe du monde n’accorderont une place qu’au bilan effectif qui mérite d’être inscrit dans les archives de la coupe du monde. Aucune importance ne sera prêtée au discours de certains responsables qui chercheraient vainement à éluder la réalité et l’échec. Dans quelques années, on n’entendra plus parler de « défaite honorable », de prestation héroïque, de la nécessité de recourir ou non à la VAR, des erreurs avérées ou supposées du trio arbitral. Pour les générations futures, le bilan de la participation marocaine à la Russie 2018 sera résumé dans les principaux points suivants :

  • Deux défaites successives et un match nul,
  • Un seul point sur les neuf possibles, soit un taux de réussite de 1/9
  • Un goal-average négatif : -2,
  • Une 4ème place au sein d’un groupe de 4 équipes (dernier du groupe),
  • Résultat : élimination à l’issue de la phase des groupes.

Évidemment et comme par le passé, ceux qui président aux destinées du foot marocain vont recourir à de multiples subterfuges et des interprétations erronées pour tenter de nous imposer une autre lecture du bilan ayant sanctionné cette 5ème participation du Maroc à une phase finale de la coupe du monde. Contre toute logique, ces responsables vont tout faire pour tenter de cacher le soleil par un tamis et inviter les Marocains à changer de logiciel. Pour ces responsables presque en rupture de ban, la qualification du Maroc à la Russie 2018 est un exploit et une performance exceptionnelle après de longues années de vache maigre et une longue traversée du désert. Un exploit qu’il faut saluer et mettre à l’actif de la nouvelle direction de la Fédération Royale Marocaine de Football (FRMF). Pour ces responsables, la sélection marocaine quitte le Mondial la tête haute : « Une défaite honorable » contre le champion d’Europe en titre (Portugal) et une bonne prestation    ( un match nul) contre l’Espagne, qui a remporté l’édition 2010 de la coupe du monde. Mais, aucun mot sur la défaite- surprise inattendue concédée face à l’Iran, comme si le Maroc n’a disputé que deux rencontres. C’est le discours que les responsables du foot marocain vont tenir ou espérer faire passer par des opportunistes qu’on incite à livrer de faux témoignages et ce, pour éviter tout débat constructif sur les causes réelles d’une élimination précoce.

La qualification à une coupe du monde serait –elle un exploit pour le Maroc ?

L’Islande, un pays insulaire dont la population serait de l’ordre de 336. 000 habitants, soit moins d’une population d’une ville moyenne en Europe ou celle d’un quartier d’une grande ville arabe, occupait il y a quelques années la 112ème place dans le classement opéré par la FIFA. En 2014, l’Islande a passé tout près de la qualification à la coupe du monde accueillie par le Brésil. Deux ans après, l’Islande s’est qualifiée à l’Euro 2016 et s’est offert le luxe d’éliminer l’Angleterre aux huitièmes de finale, ce qui constitua un vrai exploit et une performance exceptionnelle si l’on compare les atouts techniques et les palmarès des deux pays.

En 2018, l’Islande a pu se qualifier à la coupe du monde. Elle a été éliminée au premier tour après un match nul avec l’Argentine (deux fois champion du monde-1978 et 1986, le pays de Maradona et de Lionel Messi), et deux défaites contre le Nigéria et la Croatie. L’Islande a pu donc arracher un point et marquer deux buts, comme le Maroc. Il y a quelques années, personne ne pourrait se hasarder à imaginer la présence de l’Islande parmi les grands du football mondial.

Evidemment, ceux qui se sont donné la peine de s’intéresser à l’évolution du football islandais savent que les résultats enregistrés par l’Islande ne sont ni fortuits, ni dus au hasard. Ces résultats n’ont pu être atteints qu’à la faveur d’une bonne stratégie des responsables islandais. Ces derniers ont compris, à un certain moment, que pour atteindre le haut niveau, il faut hausser le rythme, inculquer aux joueurs une discipline sportive sans faille et allonger la période de compétition (saison du football). Le grand obstacle qui se dressait devant une progression exponentielle du foot islandais a été identifié. Dans un pays très proche du pôle Nord, la longue période de la saison froide était le principal facteur qui empêcherait le déroulement normal d’un championnat performant. Au lieu de considérer la rigueur du climat comme un facteur exogène défavorable qu’il faut subir et une contrainte contre laquelle on ne peut rien faire, les responsables islandais ont opté pour un autre comportement et une autre attitude. C’est dans ce cadre, qu’ils ont décidé de construire des terrains couverts et chauffés ayant des pelouses synthétiques adaptées au climat glacial. Ces terrains et les stades de plein air et à ciel ouvert ont permis aux islandais de pratiquer le foot durant toute l’année, au lieu de 6 à 7 mois seulement auparavant. Reykjavik, la capitale islandaise compte une dizaine de terrains.

Outre les infrastructures appropriées, le gouvernement et les responsables islandais chargés du développement du football ont réussi un autre pari. Ils ont pu faire du foot une affaire de famille, un sport à la portée de tous car l’Islande mise beaucoup sur les générations futures. C’est un pays qui offre à ses enfants l’occasion de s’entrainer une à deux fois par semaine dès l’âge de trois ans. Pour l’Islande, le fait d’atteindre les huitièmes de finale de l’Euro 2016 et se qualifier à la Russie 2018 constitue vraiment un exploit qu’il faut saluer vivement, et qu’il faut applaudir fortement. Dans quelques années, l’Islande perdra certainement l’atout dont elle dispose aujourd’hui (l’effet de surprise) et devra confirmer les résultats enregistrés en 2016 et 2018. C’est un objectif que l’Islande peut facilement concrétiser, car ceux qui travaillent sincèrement et d’une manière rationnelle ne risquent jamais de rater leurs rendez-vous avec l’Histoire et la gloire.

En prenant en considération les différences techniques actuelles entre les pays du continent européen, on pourrait accepter l’idée selon laquelle la qualification de l’Islande à la Russie 2018 serait une performance et un exploit à saluer vivement. Mais qu’en est-il du Maroc ?

 En 1970, le Maroc a pu se qualifier, pour la première fois de son Histoire, à une phase finale de la coupe du monde grâce à des joueurs locaux ( des amateurs) très talentueux et une fédération dirigée par des connaisseurs« des gens du métier », de vrais experts qui préféraient travailler au lieu de perdre leur temps à trop parler, sans rien dire d’important. Lors de cette édition abritée par le Mexique, le Maroc a pu mettre en difficulté l’équipe allemande suite à un but marqué par Houmane en première mi-temps. Un précieux avantage qui n’a pas été sauvegardé puisque les vaillants amateurs marocains de l’époque qui n’ont pu rien faire pour contrecarrer l’énorme pression exercée par la « machine footballistique allemande » ont été battus par un score étriqué ( 2-1). A l’époque, on pourrait dire sans rougir que c’était une défaite très honorable, une défaite au goût de victoire pour le Maroc. Lors du second match de groupe, le Maroc a été battu par une très bonne équipe péruvienne sur le score sans appel de 3 buts à 0. Lors du dernier Match-formalité, l’équipe nationale marocaine a fait match-nul avec la Bulgarie ( 1-1). Bilan : deux défaites et un match nul, un seul point et un goal-average négatif (-4). C’est le même nombre de points obtenu en 2018, mais par une équipe composée de joueurs professionnels d’origine marocaine formés par des clubs européens.

En 1986, lors de la deuxième participation du Maroc à une édition de la coupe du monde, l’équipe nationale a pu se qualifier au deuxième tour dans un groupe où elle devait affronter l’Angleterre, la Pologne et le Portugal. C’était la première fois qu’un pays africain ou arabe accède à un tel niveau de compétition. A cette époque, la FRMF était dirigée par Feu Driss Bamous, un ex joueur des FAR     (Forces Armées Royales). Driss Bamous était un meneur de jeu et un vrai meneur d’hommes, un joueur talentueux et très élégant. Il était le capitaine de l’équipe nationale marocaine durant la coupe du monde 1970.

Le Maroc qui a complètement et lamentablement raté sa participation à la coupe du monde 1994, a été très proche d’une seconde qualification au deuxième tour en 1998. Ainsi, ceux qui connaissent l’Histoire footballistique du Maroc seront amenés à considérer la qualification du Maroc à une phase finale de la coupe du monde comme un fait normal qui n’a rien d’exceptionnel. Le 25 juin 2018, tout le débat doit être focalisé sur les causes de l’échec, l’envergure des moyens financiers dépensés pour obtenir ce résultat décevant et cette déception ressentie par tout le peuple marocain.

Quelles seraient les causes de l’élimination précoce du Maroc lors de la Russie 2018 ?

Tout le monde sait que le football ne fait pas partie des sciences exactes. C’est un fait indiscutable. Une défaite face à un petit poucet, ou un adversaire moins performant,  n’est pas une éventualité à exclure. L’Allemagne, championne du monde en titre, a été éliminée dès le premier tour lors du Mondial qui se déroule actuellement en Russie. C’est la seconde fois, depuis 1938, que l’Allemagne est invitée à plier bagage prématurément et quitter la coupe du monde sans pouvoir atteindre le deuxième tour. En 2014, le Brésil a subi une lourde et humiliante défaite, à domicile, face à l’Allemagne ( 1-7).La France , championne du monde en titre, à été éliminée au premier tour sans la moindre victoire et sans pouvoir marquer le moindre but durant les 270 minutes, jouées lors de la coupe du monde organisée conjointement par la Corée du Sud et le Japon, en 2002. Ces exemples montrent clairement que la défaite et l’élimination font partie des verdicts possibles et des faits normaux que toute équipe risque de subir devant n’importe quel adversaire. Par contre, ce qui serait inadmissible et à rejeter complètement, c’est la fuite en avant et la recherche de facteurs qui n’ont aucun effet direct et réel sur le rendement des joueurs sur le rectangle vert, pour justifier une élimination regrettable et se dérober à l’obligation de soumettre la participation du Maroc au Mondial russe à une évaluation qui pourrait nous conduire à déceler les points positifs et à mettre le doigt sur les causes de l’échec.

Hervé Renard est un sélectionneur chevronné et compétent. Personne ne peut contester ni ses capacités techniques et morales avérées, ni son leadership et son coaching. Mais, Il reste un être humain qui peut commettre ou être amené à commettre des erreurs, surtout en ce qui concerne le choix des éléments à convoquer pour former l’équipe nationale.

Interrogations sur le choix de certains joueurs

Le choix des joueurs font partie des prérogatives et du droit absolu du sélectionneur national. Contrairement à un entraineur-formateur, un sélectionneur national, comme c’est le cas pour Hervé Renard, ne dispose pas d’assez de temps pour s’occuper de l’amélioration du niveau technique et de la préparation physique d’un joueur. Son rôle consiste à choisir, non pas les meilleurs joueurs de l’époque, mais les joueurs prêts techniquement, physiquement et moralement et qui sont capables d’assimiler son style de jeu, sa pensée et sa philosophie footballistiques. Des joueurs qui permettent au sélectionneur de mettre sur pied une équipe soudée et compétitive. Des joueurs qui peuvent mettre en œuvre, sur le terrain, les idées du sélectionneur. C’est pour ces raisons que la responsabilité et les conséquences du choix des joueurs ne doivent être assumées que par le sélectionneur, et personne d’autre.

La liste des joueurs convoqués pour faire le voyage en Russie est loin de faire l’unanimité. En lisant et relisant cette liste, on s’est aperçu que le sélectionneur  national a fait des choix à hauts risques. L’équipe marocaine est partie en Russie sans un véritable attaquant de pointe, capable de gagner les duels, jouer sans ballon pour ouvrir des brèches dans le dispositif défensif de l’adversaire. Un joueur explosif qui peut marquer des pieds et non pas seulement de la tête ou en se trouvant, souvent par hasard, dans la trajectoire d’un ballon en mouvement. Le fait de marquer quelques buts par la tête suite à des balles arrêtées alors qu’on se permet de rater des gestes techniques simples, ne doit pas nous induire en erreur et prêter à un joueur la qualité d’attaquant de pointe. L’on sait aussi que le joueur convoqué pour occuper le poste d’arrière gauche manquait d’expériences et ne disposait pas des atouts techniques qui lui permettent d’évoluer dans une compétition de très haut niveau. Pour pallier cette carence, le sélectionneur national comptait beaucoup sur Achraf Hakimi, qui occupe normalement le poste d’arrière droit. Dans une compétition de haut niveau, le rôle d’un joueur et son rendement optimal dépendent largement de ses capacités, de ses atouts techniques innés ou acquis et du poste où il évolue habituellement dans son club. La blessure de Nabil Dirar a compliqué la tâche à Hervé Renard lors du match contre l’Iran, le premier match du groupe. Ne pouvant pas compter sur le joueur qui serait convoqué pour jouer au poste d’arrière gauche, Hervé Renard a titularisé Achraf Hakimi à ce poste, et demandé à Nordin Amrabat de jouer plus à droite. Ce redéploiement a déséquilibré le milieu du terrain et a fait perdre au Maroc sa force de frappe. Le retour de Dirar et le recouvrement par Amrabat de son poste de milieu offensif et même récupérateur, ont donné leurs fruits lors des rencontres contre le Portugal et l’Espagne.

La Titularisation d’ Ayoub El Kaabi, un joueur inexpérimenté, dès le départ lors du match contre l’Iran s’est avérée une erreur monumentale et une opération qu’on ne peut expliquer qu’en recourant à des facteurs sans aucun lien avec le purement sportif. Considérer l’Iran comme l’équipe la plus faible du groupe était une erreur d’appréciation, lourde de conséquences. Lors des matches du groupe, l’équipe iranienne a surpris tous les observateurs. C’est une équipe combattive qui s’appuie sur une très bonne organisation défensive. Miser sur une victoire, considérée comme acquise, sur l’Iran pour bien aborder le Mondial n’était, en fait, qu’un vœu pieux.

Cet échec relatif, pour être honnête, ne doit pas être imputé aux facteurs technico-tactiques et aux critères du choix des joueurs, seulement. La gestion du football marocain laisse beaucoup à désirer et doit être évaluée pour déterminer les parts de responsabilité des uns et des autres et apprécier contribution de la FRMF au développement du football marocain.

La contribution de la FRMF au développement du football   national

Pour évaluer la contribution de la FRMF au développement du football, il suffit d’analyser la composition de l’équipe nationale. Sur les 23 joueurs convoqués pour la Russie 2018, deux joueurs seulement sont issus du championnat local. Il s’agit d’un attaquant de la RSB, équipe du président de la FRMF et d’un gardien de buts qui n’avait aucune chance de jouer. Tous les autres joueurs sont des professionnels marocains qui évoluent à l’extérieur. C’est pourquoi, on doit s’interroger sur l’utilité et la raison d’être d’un championnat national. Le Championnat d’Afrique des Nations (CHAN) et les résultats en dents de scie enregistrés par les clubs marocains lors des compétions continentales ne doivent pas nous amener à esquiver la question essentielle, à savoir l’apport du championnat national.

Pour permettre au championnat national de jouer pleinement et convenablement son rôle, la FRMF et la Ligue Nationale de Football Professionnel doivent agir pour que :

  1. le championnat national se déroule conformément à un calendrier fixé avant le lancement de la saison footballistique. Ce qui va permettre aux entraineurs d’avoir une meilleure visibilité qui les aiderait à travailler dans le cadre d’un programme préétabli. Les multiples reports dus à la participation de certains clubs aux compétions continentales nuisent à la bonne marche du championnat.
  2. Le recrutement de joueurs étrangers soit mieux rationnalisé et bien encadré. Recruter un joueur étranger pour le mettre sur le banc de touche est une mauvaise opération et une manière de gaspiller les fonds dont disposent les clubs. Une journée d’étude sur l’apport du joueur étranger au développement du football national doit être organisée, le plus tôt possible, pour pouvoir prendre les mesures qui s’imposent.
  3. La rupture avec la culture du gaspillage et de la gabegie : les stages et les concentrations à l’étranger qui sont à la mode depuis quelques années ne sont, en fait, que des périodes de vacances pour certains entraineurs. Le Maroc a un climat diversifié favorable et dispose d’infrastructures acceptables qui permettent une bonne préparation.
  4. L’amélioration des conditions d’accueil dans les stades en recourant aux volontaires.
  5. Le lancement des travaux pour rendre les stades marocains conformes aux normes exigées par la FIFA.
  6. La réduction de la durée de la trêve hivernale (deux semaines au maximum) pour ne pas casser le rythme des équipes.
  7. La commission de discipline de la FRMF doit être composée de personnes très sages qui ne doivent recourir au huis clos que très rarement ou même jamais. Le terrain neutre pourrait être la bonne alternative à cette sanction qui prive une rencontre d’un de ses ingrédients les plus importants : les locataires des gradins. La sécurité des personnes et la protection des biens d’autrui sont primordiales et doivent être placées en tête des préoccupations et des priorités. Le hooliganisme est un fléau qu’on ne peut combattre que par le courage, la sincérité et la crédibilité des responsables, les campagnes de sensibilisation et le bon accueil des spectateurs. L’Angleterre qui a beaucoup souffert du hooliganisme surtout au début de la décennie 80 du siècle dernier n’a ni verrouillé les stades, ni barricadé l’aire du jeu pour lutter contre la violence dans les stades et aux alentours.

Evidemment, pour réussir un vrai projet de décollage du football marocain, il ne suffit pas d’améliorer les infrastructures de base et de créer des institutions telles que la Ligue Nationale de Football. L’adhésion des supporters des clubs, qu’il faut considérer comme des «clients » ayant certaines exigences à respecter dont notamment les conditions d’accès et les conditions qui leur permettent d’assister à un match sans trop souffrir, est aussi importante que les infrastructures et la création d’ institutions spécialisées.

Le développement du football marocain a besoin d’une vraie feuille de route. La recherche de causes, parfois imaginaires,  pour justifier un échec est contreproductive. Un vrai responsable est celui qui préfère travailler sincèrement et discrètement, au lieu de perdre son temps à parler, à trop parler.

Par Ahmed Saber pour Maghreb Canada Express,, pages 11-12, Vol. XVI, N° 07, Juillet 2018

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