‘’Les préjugés font plus de mal à l’espèce humaine que la raison ne lui sert, parce que l’ignorance est plus générale que le savoir.’’, écrivait Pierre-Jules Stahl en 1841 !.
Je trouve cette citation encore plus d’actualité aujourd’hui qu’elle l’était il y a deux siècles. Nous vivons dans un monde de stéréotypes et de préjugés envers tout ce qui n’est pas semblable à ‘’NOUS’’.
Ces stéréotypes et les préjugés peuvent déformer la réalité lorsqu’ils sont le fruit de jugements, même s’ils se basent parfois sur des observations réelles, s’appuyant sur des idées préconçues, des clichés, des jugements sans fondements qui, souvent, nous font adopter une attitude négative envers une personne, une communauté ou tout un milieu social, en fonction de critères personnels ou d’apparences.
Ces opinions hâtives et préconçues n’ont pas été générées en ex-nihilo, mais elles résultent souvent d’un matraquage médiatique de certaines presses sensationnalistes et d’une instrumentalisation politique.
La polémique sur l’identité et les valeurs québécoises est venue réveiller une défaillance irréductible à l’égard des arabes, des musulmans et des maghrébins…Le débat ne visait pas l’acceptation de la différence, mais la recherche du semblable.
Le traitement médiatique ainsi que l’instrumentalisation et la récupération politiques du port du niqab, suite à la saga de l’assermentation de la citoyenneté, qui est à l’origine d’ordre juridique et judiciaire, ont amplifié cette querelle byzantine.
L’incompréhension le plus souvent ne vient pas d’un manque d’intelligence mais d’un manque de sens (Friedrich Von Schlegel).
Selon le spécialiste des religions et chargé de cours à l’UQAM, Frédéric CasteI, une cinquantaine de femmes au Québec portent le niqab. Sur les 8,4 millions d’habitants, ce qui représente 0,0006% de Ia population québécoise !!!.
« Le sujet a été politisé et on assiste à un positionnement des partis pour tenter de gagner des votes, dit M. CasteI. Si on n’était pas en période électorale, il y a Iieu de se demander si les partis auraient aussi clairement pris position ».
Les origines du voile
Une recherche documentaire, m’a permis de faire un voyage dans le temps pour élucider les origines du voile.
À l’origine, le voile n’est ni arabe, ni islamique, la dénomination « voile islamique » suggère explicitement que le port du voile est une prescription de la religion musulmane, alors que, d’une part, il ne semble pas s’imposer dans toutes les communautés musulmanes, et que, d’autre part, il a existé et il existe encore dans des communautés non musulmanes. Le voile féminin a une longue histoire qui date de plusieurs millénaires avant l’Islam.
La première preuve textuelle du port du voile vient de la Mésopotamie, où le culte de la déesse Ishtar était associé avec la prostitution sacrée. Ishtar est représentée voilée. Dans un hymne, l’Exaltation d’Inanna (nom sumérien donné à Ishtar), écrit vers 2300 avant J.C. par le grand prêtre du dieu de la Lune à Ur, cette déesse est appelée hiérodule (prostituée sacrée) d’An, An étant le plus ancien dieu des Sumériens.
Nul ne sait de quand date la coutume pour les femmes de se voiler. En tout cas, le voile dit aujourd’hui islamique est antérieur de plus d’un millénaire à l’islam. La première mention de son port obligatoire remonte aux lois assyriennes attribuées au roi Téglat-Phalazar Ier (vers 1000 av. J.-C.). Il s’appliquait aux filles, aux épouses et aux concubines d’hommes libres, ainsi qu’aux prostituées sacrées mariées. Ces femmes voilées ne devaient pas être touchées. Le voile est ainsi, au moins dans les « statuts urbains » d’Assour, l’expression d’une discrimination juridique qui sert de base à un discours moralisant.
Chez les anciens sémites, ancêtres des Cananéens, des Phéniciens, des Hébreux et des Arabes, des milliers d’années avant l’Islam, on avait déjà imposé le voile aux femmes pour se couvrir les cheveux. En effet, les anciens sémites considéraient la chevelure de la femme comme le reflet de la toison du pubis.
Le voile dans la tradition juive
La tradition du voile s’observe aussi dans la Bible, comme en témoigne l’histoire de Rebecca (Genèse 24), qui, mariée à distance à Isaac par un serviteur d’Abraham mandaté pour cela, se couvre de son voile dès qu’elle aperçoit son mari. La tradition juive a longtemps considéré qu’une femme devait se couvrir les cheveux en signe de modestie devant les hommes.
Selon Dr Menahem M. Brayer (Professeur de Littérature Biblique à l’Université Yeshiva de New York) dans son livre »The Jewish woman in Rabbinic literature », plusieurs siècles avant J.C., les femmes juives avaient pour habitude de sortir en public avec une couverture sur la tête et, souvent, ne laissaient paraître qu’un œil libre pour pouvoir marcher dans la rue. Il rapporte quelques citations d’anciens rabbins réputés, “ce n’est pas bien pour les filles d »Israël de sortir avec les têtes dévoilées” et “Maudit soit l’homme qui laisse les cheveux de son épouse être vus, une femme qui expose ses cheveux apporte la pauvreté.”
La loi rabbinique interdit la récitation de bénédictions ou les prières en présence d’une femme mariée tête nue ; car le dévoilement des cheveux de la femme est assimilé à la nudité. Aujourd’hui, la plupart des femmes juives pieuses ne se couvrent pas les cheveux, sauf dans la synagogue. Chez les intégristes juifs, comme la secte hassidique, les femmes continuent à se voiler les cheveux ou à porter une perruque pour cacher leurs cheveux
Le voile dans la tradition chrétienne
Les vierges de l’Église primitive étaient voilées, comme les vestales romaines. Le voile des religieuses trouve sans doute là son origine, en tant que signe distinctif par rapport aux autres femmes. Il faut noter aussi que la femme romaine ou grecque portait un voile le jour de son mariage. D’ailleurs, la même racine latine a donné les mots « nuage » (nubes) et « se marier » (nubere) le nuage cache le soleil comme le voile, le jour du mariage, cache les cheveux.
Il y a peu encore, les chrétiennes avaient la tête couverte d’une mantille dans les églises. Dans la langue douala, on a même traduit le mot « religion » par « ebassi », qui signifie « petit fichu », parce que les missionnaires demandaient aux femmes d’en mettre un dans les lieux de culte.
Chez les chrétiens, c’est Saint Paul qui, le premier, a imposé le voile aux femmes. Dans l’épître aux Corinthiens, il écrit « Toute femme qui prie ou parle sous l’inspiration de Dieu sans voile sur la tête commet une faute comme si elle avait la tête rasée. Si donc une femme ne porte pas de voile, qu’elle se tonde ou plutôt qu’elle mette un voile, puisque c’est une faute pour une femme d’avoir les cheveux tondus ou rasés… L’homme ne doit pas se voiler la tête, il est l’image et la gloire de Dieu mais la femme est la gloire de l’homme car ce n’est pas l’homme qui a été tiré de la femme, mais la femme de l’homme et l’homme n’a pas été créé pour la femme, mais la femme pour l’homme. Voilà pourquoi la femme doit porter la marque de sa dépendance ».
Saint Tertullien, dans son traité réputé « Sur le fait de Voiler de Vierges », a écrit : “Jeunes femmes, vous portez vos voiles dans les rues, donc vous devriez les porter dans l’église, vous les portez quand vous êtes parmi les étrangers, portez- les aussi parmi vos frères”. Dans le droit canon de l’Église catholique aujourd’hui, il y a une loi qui exige des femmes de couvrir leurs têtes dans l’église. La raison pour le voile, pour les chefs de l’Église, est que “la couverture de la tête est un symbole de la soumission de la femme à l’homme et à Dieu” : la même logique présentée par Saint Paul dans le Nouveau Testament.
Certaines sectes chrétiennes, comme les Amish et les Mennonites, gardent leurs femmes voilées de nos jours.
Le voile dans la tradition musulmane
Dans le Coran, plusieurs versets, difficiles à traduire et à interpréter, prescrivent aux femmes de porter le voile par pudeur, pour se distinguer des autres femmes et se protéger des regards indélicats. « Ô Prophète, dis à tes épouses, à tes filles et aux femmes des croyants de se couvrir de leurs voiles :c’est pour elles le meilleur moyen de se faire connaître et de ne pas être offensées… » (sourate 33, v. 59).
Le terme employé – jilbâb , au pluriel jilâbîb – désigne l’ample tunique que les femmes arabes portaient alors de façon non systématique. Un autre verset prescrit : « Dis aux croyantes de baisser leurs regards, d’être chastes, de ne montrer que l’extérieur de leurs atours, de rabattre leurs voiles (khimâr ) sur leurs poitrines ! » (24, 31) Il est précédé d’un verset qui exhorte les hommes à la chasteté.
Le Coran ne dit rien, en revanche, des caractéristiques de ce voile qui, au temps du prophète Mohammed, comportait plusieurs variantes. Avec l’islam, la coutume millénaire du voile, jusque-là réservé aux femmes de haut rang, s’étend aux autres couches sociales, changeant de forme, d’appellation et de couleur selon les lieux.
L’abécédaire des variantes du voile
Le hijab :
« Hijab » signifie en réalité « voile », « rideau » ou « écran ». Le terme désigne le voile dans son acception large, et donc toutes ses déclinaisons. Néanmoins, aujourd’hui, on l’emploie surtout pour parler du voile islamique le plus répandu, couvrant la tête et les cheveux, mais pas le visage.
Selon les régions du monde, l’hijab peut être porté autour du visage entier (notre photo, où il est porté par une Australienne), comme un simple voile couvrant la chevelure, ou en tant qu’élément d’un costume plus complet (Inde, Indonésie).
Le niqab :
En général de couleur noire, le niqab se distingue de l’hidjab car il masque aussi le visage, à l’exception des yeux. Son port est plutôt le fait de pratiquants d’un islam rigoriste, notamment les adeptes du salafisme. Le Niqab s’accompagne parfois de gants destinés à cacher les mains (voire de lunettes de soleil ou d’un masque), et peut consister en un vêtement couvrant tout le corps.
Une controverse existe au sein de l’islam sur « l’obligation » ou non du port du niqab. Certains courants, rigoristes, estiment que c’est le cas, contre l’avis de la plupart des théologiens.
C’est le niqab qui a posé question en France, en 2011, et abouti à la loi interdisant le fait de se masquer le visage dans les lieux publics. C’est également le Niqab qui est le plus souvent utilisé par la presse pour illustrer les questions de voile, alors même que son port est largement moins répandu que celui de l’hidjab.
Un autre vêtement se rapproche du niqab : le haïk, une pièce de tissu attachée à la ceinture, que les femmes du Maghreb portaient avec un voile, parfois transparent, sur le visage. Il est aujourd’hui moins présent, mais existe encore dans certains villages.
Le jilbab saoudien: Entre hijab et niqab
Un autre vêtement, qui n’est cette fois pas limité aux cheveux et au visage mais englobe tout le corps, apparaît depuis quelques années : le jilbab, une longue robe, souvent noire mais pas exclusivement, et utilisée par les Saoudiennes. Contrairement au niqab il ne cache pas le visage, mais contrairement au hijab, il couvre l’intégralité du corps, masquant les formes de ses porteuses, ce qui est vu comme « vertueux » par les défenseurs de ce vêtement.
Le tchador : vêtement iranien :
Fréquemment employé pour « niqab », le tchador est en réalité un vêtement (de couleur bleue, noire ou plus rarement blanche) correspondant à une pratique précise : celle du chiisme iranien. Le tchador n’est pas seulement le voile (qui se porte, comme l’hidjab, sans couvrir le visage), mais une pièce de tissu, sans manches, que les femmes iraniennes portaient avant l’avènement de l’islam.
Au départ porté durant la prière, le tchador est devenu obligatoire dans la rue au XVIIIe siècle. Le chah d’Iran l’a ensuite interdit en 1936, demandant aux policiers de faire la chasse aux femmes qui le portaient.
Dans les années 1970, les femmes iraniennes avaient adopté des voiles plus légers, laissant voir les cheveux. Mais, à partir de 1979 et l’arrivée au pouvoir de l’ayatollah Khomeiny, le tchador a été remis à l’honneur. Néanmoins, son port n’est pas obligatoire dans l’Iran actuel, un foulard cachant les cheveux et des vêtements dissimulant les formes étant suffisants.
La burqa : vêtement imposé par les talibans afghans
Là aussi source de nombreuses confusions, la burqa n’est pas le niqab. Et ce vêtement n’existe que très peu en dehors de l’Afghanistan, où il est né. La burqa, souvent de couleur bleue, est un vêtement couvrant tout le corps, y compris le visage. Un voile ou une « grille » de tissu sont installés au niveau des yeux pour permettre de voir.
Ce vêtement, devenu un symbole de l’oppression subie par les femmes dans des pays aux mains d’islamistes radicaux, n’existerait que depuis quelques décennies sous cette forme, le vêtement traditionnel afghan étant plus proche du tchador iranien.
Ce sont les talibans, fanatiques islamistes, qui ont imposé la burqa lors de leur arrivée au pouvoir dans le pays, à la fin des années 1990. Leurs motifs pour le faire étaient différents de ceux évoqués dans le Coran : il ne s’agit pas de voiler la femme pour sa protection, mais bien pour éviter aux hommes la tentation.
La frumka :
C’est une tenue vestimentaire adoptée ou imposée à certaines femmes juives par des groupes ultra-orthodoxes regroupé sous le terme de « Haredim ». Elles ont l’obligation de porter un voile et un large manteau masquant tout leur corps et sont interdites de maquillage ainsi que de téléphone cellulaire… en public. Ceci afin de préserver le statut et le respect des femmes pour elles-mêmes en application des enseignements de la religion juive, qui appelle au respect de la moralité et à la décence…
Quid de l’occident ?
La tenue vestimentaire fait aujourd’hui l’objet de mesures législatives dans certains pays occidentaux, pendant que ces mêmes pays encensent la liberté d’expression, un paradoxe qui définit bien la confusion dans laquelle baigne l’occident.
Par Nasser Bensefia pour Maghreb Canada Express, pages 12-13, Vol. XVI, N°11 , Novembre-Décembre 2018.