Il avait dit une fois à un journaliste qui l’interviewait : « je ne suis pas une star, je suis un artisan, un ouvrier des mots. » Il avait raison, les stars meurent !
La mort de Charles Aznavour est pour moi un fait marquant de l’année 2018, c’était un poète éternel, je n’ai appris son âge qu’après sa mort. Quand j’écoute sa chanson « La mama », et surtout ce refrain : « Y a tant d’amour, de souvenirs. Autour de toi, toi la mamma. Y a tant de larmes et de sourires. A travers toi, toi la mamma. Que jamais, jamais, jamais. Tu nous quitteras. » J’ai les larmes aux yeux.
Charles Aznavour, né Shahnourh Varinag Aznavourian à Paris en 1924 de parents arméniens, était devenu aussi « français par la langue ». « C’est par là qu’Aznavour devint ainsi français et même disait-il parisien, ancrant par les mots son imaginaire dans une identité qui n’était pas celle de ses parents, prenant pied dans la longue tradition des conteurs, des poètes ». « Au fil des années, cette présence, cette voix, cette intonation reconnaissable entre toutes s’est installée dans nos vies, quelle que soit notre condition, quel que soit notre âge ». Disait Macron en hommage à l’artiste.
Charles Aznavour était un des rares chanteurs français à remplir des salles entières aux Etats-Unis et à Londres. Forcément, ses chansons sont universelles, un baume à l’âme, un remède émotionnel.
En plus de ses titres emblématiques comme La Bohème, Charles Aznavour n’hésitait pas à explorer d’autres horizons en collaborant avec des artistes d’autres générations comme le rappeur Kerry James, ou même à chanter dans d’autres langues, notamment en espagnol.
Il rêvait de chanter jusqu’à cent ans la vie, l’amour, la nostalgie, le temps qui passe. Charles Aznavour, le dernier des géants de la chanson française et son inlassable ambassadeur à travers le monde.
180 millions de disques vendus
Inépuisable, le chanteur aux plus de 70 ans de carrière avait repris la scène en septembre avec deux concerts au Japon et s’apprêtait à repartir en tournée cet automne avec plusieurs dates en France. Ces derniers mois pourtant, il avait dû annuler quelques représentations. D’abord en avril à Saint-Pétersbourg, victime d’un tour de reins. Puis en mai, en raison d’une fracture de l’humérus gauche, après une chute.
« Je ne suis pas vieux, je suis âgé. Ce n’est pas pareil », se plaisait-il à nuancer. Une façon espiègle de défier le poids des années pour celui dont le couronnement artistique était venu assez tardivement, à 36 ans, le 12 décembre 1960 à l’Alhambra. Ce soir-là, il donna le concert de la dernière chance devant le tout Paris ainsi que des critiques, qui ne croyaient pas en son talent scénique et raillaient sa voix. Il mit tout le monde d’accord avec sa performance habitée de « J’me voyais déjà », qui raconte les illusions perdues d’un artiste.
Jusqu’alors, Aznavour avait connu un relatif succès surtout discographique avec « Parce que », « Le palais de nos chimères », « Sur ma vie », « Sa jeunesse ». Il écrivait aussi déjà pour les plus grands, Juliette Gréco, Gilbert Bécaud, Edith Piaf qui le soutint ardemment et fut un de ses « quatre points cardinaux avec Charles Trénet, Constantin Stanislavski et Maurice Chevalier ». « Il a osé chanter l’amour comme on le ressent, comme on le fait, comme on le souffre », avait dit de lui Maurice Chevalier, dans les pas duquel il avait fini par marcher aux quatre coins du monde, devenant à son tour l’ambassadeur de la chanson française. Une renommée appuyée par ses 180 millions de disques vendus.
Le lait et le café
« Quels sont mes handicaps? Ma voix, ma taille, mes gestes, mon manque de culture et d’instruction, ma franchise, mon manque de personnalité. Les professeurs m’ont déconseillé de chanter. Je chanterai pourtant, quitte à m’en déchirer la glotte », écrira-t-il dans son autobiographie « Aznavour par Aznavour » (1970).
Sa détermination, son talent et ses tubes intemporels comme « La Bohème », « La Mamma », « Comme ils disent », « Mes emmerdes » permettront finalement à cet homme de taille modeste (1,60 m et des poussières) de renverser les montagnes, lui qui n’a jamais hésité à protéger les jeunes pousses, comme Johnny Hallyday à qui il fit cadeau de « Retiens la nuit ».
Même s’il n’avait plus sorti de grande chanson depuis une trentaine d’années, Aznavour a entretenu son mythe par la scène, dans les salles les plus prestigieuses du monde. Comme une revanche sur tous ceux qui ne lui prédisaient aucun avenir et qui « sont tous morts depuis longtemps, alors que moi… je suis encore là », cinglait-il.
Celui qui s’est également formé par la danse classique et le théâtre a aussi brillé au cinéma où, en quelque 80 films, il tourna avec François Truffaut (« Tirer sur le pianiste »), Volker Schlöndorff (« Le tambour »), Claude Chabrol (« Les fantômes du chapelier »)…
Où qu’il fut, cet artiste concerné par le drame des migrants rappelait toujours son attachement à ses deux pays. « Je suis Français et Arménien, les deux sont inséparables comme le lait et le café », résumait-il l’an passé en recevant son étoile sur le « Walk of fame » à Hollywood.
Chapeau l’artiste !
Par Mustapha Bouhaddar pour Maghreb Canada Express,, page 14, Vol. XVII, N°1 et 02 , Janvier-Février 2019.
Pour lire l’édition deJanvier-Février 2019, cliquer sur l’image:
JANVIER-FÉVRIER 2019