La mondialisation entraîne une plus grande circulation des biens, des capitaux et des hommes. Lorsque le niveau de développement des pays mitoyens est très différent, la tentation du repli sur soi devient alors très forte. De nombreux murs ne sont en fait que des barrières anti-immigration séparant des pays riches de pays pauvres.
En 2017, 82% de la richesse mondiale créée s’est retrouvée dans les poches des plus riches de la planète qui ne représentent que 1% de la population, alors que la moitié la plus pauvre de l’humanité, (3,7 milliards de personnes) n’a rien reçu, affirme l’organisme OXFAM qui s’appuie sur diverses données (Forbes, Crédit Suisse, Banque mondiale, OIT…) et sur ses propres enquêtes de terrain.
Voir (Tableau ci-dessous) pour quelques exemples du rapport entre les PIB de l’année 2017 de quelques pays limitrophes, en milliards de dollars US (source : Banque mondiale) :
« Les murs de séparation », appelés aussi « murs de la paix » ou plus pertinemment « murs de la honte », sont les tristes vestiges de quelques réflexes primitifs. Ces murs volent des vies, confisquent des familles, violent des terres, enferment, torturent et condamnent des peuples. N’est-il pas temps d’ouvrir enfin les débats sur cette triste réalité érigée au nom de quelques théories qui prônent la réconciliation par la séparation en oubliant que la paix ne peut se faire qu’ensemble ?.
Histoire des murs
Dès le IVe siècle avant J.-C., Alexandre le Grand aurait construit un mur pour éloigner les Barbares entre les montagnes du Caucase et les berges de la mer Caspienne. Au IIIe siècle avant J.-C., l’empereur Qin Shi huangdi, fondateur de la dynastie Qin, entame la construction de la Grande Muraille de Chine pour se protéger des multiples incursions des tribus nomades des steppes. Et c’est sous la dynastie des Ming (1368-1644) que la Grande Muraille atteint sa forme actuelle, soit 3640 km de long, auxquels il faut ajouter près de 2860 km de ramifications.
Tout au long de leur histoire, les empires ont cherché à se protéger par des murs aux marches de leurs territoires : Vauban et sa « ceinture de citadelles » au XVIIe siècle, le mur des fermiers généraux construit autour de Paris en 1814, la « barrière de forts » destinée à arrêter une éventuelle invasion allemande construite autour de Paris après la défaite de 1870, le « mur de fer » séparant l’Europe en deux pendant quarante-trois ans, les lignes Challe et Morice, érigées pendant la guerre d’Algérie par les Français en 1956 et 1957, le long des frontières marocaine et tunisienne, etc.
Par ces exemples historiques, l’on s’aperçoit que « la tentation des murs » remonte à plusieurs siècles. La majorité de ces murs a été érigée dans des périodes de conflit, de définition des limites territoriales ou des zones d’influence étatiques. Certains murs existant encore aujourd’hui reflètent cette situation : la Corée est coupée en deux depuis 1953 ; l’île de Chypre est toujours divisée et occupée par l’armée turque au Nord depuis 1974 ; le Cachemire est une zone de tension permanente entre l’Inde et le Pakistan depuis 1947; la paix n’arrive pas à s’imposer entre Israéliens et Palestiniens, désormais séparés par un mur de neuf mètres de haut. Depuis les événements du 11 septembre, de « nouveaux » murs sont construits pour tenter de faire face aux peurs générées par le phénomène de la mondialisation.
Aucune époque ni aucun continent n’est épargné par la réalité des murs hier comme aujourd’hui.
L’histoire Contemporaine
Il y avait onze murs de séparation sur la planète en 1989. On en compte aujourd’hui soixante-cinq, construits et planifiés. Plus d’une douzaine ont surgi depuis 2010. Une quinzaine d’autres sont déjà prévus.
En 2015, le géographe Stéphane Rosière dénombre une trentaine de murs totalisant 18.000 km de clôtures. Le site des murs.org propose une carte des murs actuels et a mesuré 21 000 km de murs frontières dans le monde en incluant les projets ou les murs encore inachevés.
En Amérique, celui de la frontière mexico-américaine agite la présidentielle américaine. En Europe, où l’on referme et renforce aussi les frontières, le futur mur de Calais, dont les fondations ont été creusées le 20 septembre 2016, pourrait en faire de même pour la présidentielle française .
Le bras de fer qui secoue les États-Unis actuellement relativement à l’aheurtement du Président Trump à construire son MUR et financer les 5,7 milliards de dollars, à même les fonds publics. Conséquence : un ‘’shutdown’’ du gouvernement, donc une paralysie et un arrêt des activités gouvernementales, une situation politique dans laquelle le Congrès échoue à autoriser suffisamment de fonds pour les opérations gouvernementales.
Quelle efficacité ?
« Les murs ne sont pas des solutions, analyse l’historien Claude Quétel: Fait dans l’urgence, un mur n’est qu’une réponse simple, tellement bête, tellement inhumaine, tellement primaire. » Une réponse qui ne fait que repousser une solution.
Mais, par exemple, cela n’a pas arrêté les migrants (vers l’Europe et à travers le Maroc) qui suivent désormais une autre route par la mer Méditerranée. « La route la plus mortelle du monde », selon le Haut-Commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés qui a recensé 3500 morts en mer au cours de l’année 2014, ce chiffre n’incluant pas les disparus.
Sur le long terme ces murs n’apportent aucune solution. Ils isolent le problème à l’origine de leur construction, ont tendance à l’amplifier et symbolisent surtout l’impuissance des États à le gérer.
Alors qu’il est proposé comme une solution, le mur devient donc très vite un problème en soi…
Le bilan humain est souvent lourd car quelle que soit la hauteur du mur et sa militarisation, il y a toujours quelqu’un pour le surmonter ou le contourner au péril de sa vie.
- Les murs ne servent à rien car ils induisent des logiques de transgression. On a dénombré 150 tunnels sous la frontière mexico-américaine. Les trafiquants contournent les murs et barrières par la mer avec des sous-marins ou par les airs avec des drones… Ces stratégies de contournement sont multiples, de plus en plus sophistiquées et dangereuses à mesure que les murs se renforcent;
- Les murs viennent fracturer une zone transfrontalière, donc déstructurer une économie locale;
- Alors que les passages de frontières pouvaient être pendulaires, saisonniers, temporaires – on pouvait revenir en arrière, retourner dans son pays d’origine, ces murs empêchent paradoxalement ceux qui les ont franchis de ressortir du pays où ils sont rentrés,.
- Les murs « invitent les mafias à la table de la frontière« . On ne peut plus franchir un mur sans faire appel à des structures criminelles, et de plus en plus criminalisées. Une situation plus grave que le problème originel est ainsi créée.
Banalisation internationale !
Une réponse facile donc, en tout cas bien plus que de résoudre un problème. Une technique qui, de nos jours, est issue majoritairement de démocraties, tels que les États-Unis, Israël, l’Espagne ou encore l’Inde (qui a construit un mur électrifié à sa ligne de contrôle avec le Cachemire) pour qui ériger des blocs de béton ou de barbelés devient une méthode banale.
Pour Claude Quétel : « Ce qui est pour Israël un mur anti-terroriste représente pour les Palestiniens, très clairement, un mur qui va à l’encontre de la possibilité même d’un État palestinien ». La clôture de sécurité israélienne s’est en effet construite sur une apparence de logique qui n’est pas celle d’une frontière mais qui était celle d’une ligne, dite « verte » (comme celle qui sépare le nord et le sud de Chypre) qui délimitait la Cisjordanie. Or, Israël a construit son mur en mordant délibérément sur la Cisjordanie, « ce qui pousse les Palestiniens à dire : « votre mur n’est pas un mur anti-terroriste mais un mur qui favorise la colonisation » », ajoute Claude Quétel. Un mur qui vise donc à fragmenter le territoire palestinien, comme le déclarait en avril 2007 le général Yair Golan, à l’époque commandant des troupes israéliennes en Cisjordanie : « La séparation, et non la sécurité, est la raison principale de la construction du mur. On aurait pu atteindre la sécurité de manière plus efficace et moins coûteuse par d’autres moyens ».
Un mur entre le Nord et le Sud
La barrière de sécurité israélienne symbolise par ailleurs le changement d’axe des murs dans le monde. De séparation Est-Ouest, les murs ont, depuis la chute du Rideau de fer, tendance à cloisonner un Nord riche d’un Sud pauvre, ironie du sort quand on sait que les limes de l’Empire romain avait pour but de protéger le monde dit « civilisé » des barbares venus… du Nord.
Il est bien loin ce monde globalisé qui est le nôtre, chantre de la mondialisation et de la libre circulation des peuples.
Dans L’empire et les nouveaux barbares (JC Lattès, 2001), Jean-Christophe Rufin affirme que la fin de l’affrontement Est-Ouest a éveillé un affrontement Nord-Sud et les « barbares », pour reprendre les termes de l’empire Romain, viennent désormais du Sud. La multiplication des barrières anti-migrants clandestins en témoigne.
Aux États-Unis, analyse Alexandra Novosseloff, le discours sur la sécurité, sur le mur à sa frontière mexicaine, sur la protection que ce dernier accorderait, cache en réalité un discours qui pourrait être plus franc sur la réalité des effets des accords de libre-échange passés avec le Mexique (et le Canada) et qui ont déstructuré l’économie mexicaine. Les États-Unis pratiquent également une autre forme d’isolement face à cette peur de l’autre, jugé pauvre, dangereux, en bâtissant des îlots de sécurité, de véritables zones résidentielles murées, plus cossues les unes que les autres. Huit millions d’Américains vivent actuellement dans 30.000 ‘’gated communities’’, protégés de menaces, réelles ou imaginaires.
Des murs qui s’écrouleront
Dès lors, lorsque les ponts remplaceront les murs entre les hommes, lorsque la négociation l’emportera sur le sécuritaire et l’unilatéralisme à tout-va, lorsque les migrants pourront rester chez eux dans des pays pacifiés et économiquement développés, seuls demeureront les murs de la paix ainsi que, probablement, les murs de piments: Au Gabon, au Kenya, en RDC ou bien encore au Zimbabwe, des paysans dressent des murs de briques de piments autour de leurs plantations pour faire fuir les éléphants. Une technique qui a fait ses preuves.
Le Pacte de Marrakech : ni révolutionnaire, ni contraignant !
Lors de l’assemblée générale des Nations unis tenue en date du 19 décembre 2018, 152 pays ont approuvé « le pacte de Marrakech ». Objectif : renforcer la coopération internationale pour des migrations sûres, ordonnées et régulières. (Pour plus de détails, voir l’article ‘’Le Pourquoi d’un Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières‘’, page 12 NDLR)
Selon l’ONU, il y avait, en 2017, 258 millions de migrants internationaux.
Il s’agit d’un document contenant une quarantaine de pages qui fixe vingt-trois objectifs pour « améliorer la coopération en matière de migrations internationales », accompagnés de mécanismes de suivi des mesures à toutes les étapes :
- Mieux connaître les flux au moyen de collectes de données précises ;
- En amont, lutter contre les « facteurs négatifs et les problèmes structurels » qui poussent les individus à quitter leur pays ;
- Rendre plus accessibles les filières légales de migration, fournir des preuves d’identité à chacun, « veiller à l’invariabilité et à la prévisibilité des procédures migratoires » ;
- Rendre les périples migratoires moins dangereux, « sauver des vies » par une action internationale coordonnée, lutter contre les passeurs et la traite des personnes ;
- Mieux gérer les frontières, limiter le recours à la rétention administrative, renforcer la coopération consulaire ;
- Une fois les migrants arrivés dans un pays, leur assurer des services de base, les moyens de s’intégrer, reconnaître leurs qualifications et éliminer toutes les discriminations ;
- Permettre aux migrants de contribuer au développement de leur pays d’origine, simplifier les envois de fonds, faciliter leur retour en assurant la portabilité de leurs droits.
Mais, dès le préambule, le pacte précise qu’il établit « un cadre de coopération juridiquement non contraignant, qui repose sur les engagements convenus par les États membres » et qu’il « respecte la souveraineté des États et les obligations que leur fait le droit international ». Concrètement, cela signifie que chaque pays, même s’il signe ce texte, pourra continuer de facto à mener une politique qui y est contraire sans encourir aucune sanction.
Par Nasser Bensefia pour Maghreb Canada Express,, pages 10-11, Vol. XVII, N°1 et 02 , Janvier-Février 2019.
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JANVIER-FÉVRIER 2019