Je suis l’ombre qui vous guette à chaque coin de rue, je suis l’œuvre de votre indifférence.  La rue est ma demeure, le ciel ma couverture, et les étoiles mon chandelier. Vos poubelles me nourrissent, et font germer la haine que je porte contre vous. La joie m’envahit chaque fois que je vois la peur dans vos yeux, lorsque vous changez de trottoir à mon passage, lorsque vous remontez la vitre de votre voiture. Je me sens invincible, je suis le seigneur de la cité. Je suis le déraciné, je suis la plaie, un furoncle purulent, ma pestilence repoussante est mon unique protection contre les prédateurs. Je suis sans destin, sans demain, je fais partie de ce peuple limicole, qui regarde rarement le ciel.

Mon univers est un océan de vapeurs grises et gluantes, des oiseaux, des papillons en plastique planent devant mes yeux mi clos. Au loin j’entends le bruit assourdissant des voitures qui raclent la chaussée sans interruption. Les pas pressés des gens qui frôlent mon pied inerte martèlent ma tête ankylosée par des sniff interminables dans ce sachet en plastique. Mon tube de colle, seule clé qui ouvre la porte de ma prison.

J’étais un bout de chair, tout frêle et sans défense.  J’étais là devant vous, et personne n’a osé me tendre la main pour me soustraire à cette machine implacable et sans scrupule qui se nourrit de notre humanité, de notre dignité de notre espoir et à la fin elle nous éjecte exsangue, la vision embuée. Les balafres qui ornent mes joues sont les seuls trophées que j ai mérité dans la grande guerre de survie.

  Bientôt l’automne, je redoute cette saison à cause des pluies et du froid. Chaque nuit est une lutte sans merci pour ma survie. Vous, créateurs de climat, vous avez un arsenal  pour défier la nature, le chauffage, les couettes les cheminées aux feux de bois, alors que moi je galère chaque nuit pour squatter un  coin à l’abri du vent et de la pluie. Les corps de mes compagnons entremêlés et enlacés nous procurent cette sensation agréable de chaleur. Mais cette promiscuité permet aux démons de se libérer et les vulnérables, les faibles deviennent le défouloir des maitres. Des sanglots et des gémissements étouffés

J’ai la conviction que vous ne pensez qu’on existe que lorsque nous polluions votre espace. Vous avez plus d’affection pour vos chats vos chiens et aucun remord envers vos semblables. J’ai les mêmes droits, j’ai le même sang qui coule dans mes veines, que vous tous. Je suis votre enfant illégitime, qui est l’opprobre de votre honnête conscience. Je veux moi aussi ma part de cette richesse étalée de manière impudique devant moi, sinon exterminez nous. Mes besoins sont minimes, je veux simplement me diluer dans un bassin de colle.

Aidez-nous; Faites de nous des HUMAINS !

Par  Rachid Jalal pour Maghreb Canada Express, page 7, Vol. XVIII, N°01-02 , Janvier-Février 2020.

Pour lire le numéro double Janvier-Février 2020, cliquer sur l’image :

By AEF