Il ne fallut à la secousse (d’une magnitude de 5,7 sur l’échelle de Richter, qui eut lieu le 29 février 1960, à 23h40) que 15 secondes pour rayer quasiment Agadir de la Carte, causant 15.000 morts et 25.000 blessés.
Autant de dégâts, pour une secousse, considérée ailleurs comme modérée, s’expliqueraient certes par la mauvaise qualité des matériaux de construction de la ville mais aussi par le fait que l’épicentre du tremblement de terre fut situé en dessous de cette cité qui, elle-même, est construite sur une faille sismique.
Force est de constater hélas que cette secousse ne prit pas les Agadiris par surprise et la providence (pour ceux et celles qui y croient) a même voulu les avertir à plusieurs reprises de l’imminence du danger, et ce, dès le 23 Février avec des secousses de moindre magnitude. Ajouter à cela que le jour même du drame, vers midi, une autre secousse, plus forte, fit trembler les murs, déplacer les meubles et pousser certains habitants européens à se préparer au pire.
Quant aux habitants de la vieille cité, ils ont préféré rester chez eux… pour y être ensevelis ensuite vivants !
Mais qui des survivants, ou de ceux et celles ayant eu vent de la catastrophe par la suite, pourrait sentir l’horreur de l’agonie de bon nombre de ces victimes qui ne dormaient pas totalement; veillée du ramadan oblige ! Car ce fut le mois sacré du Ramadan !
J’étais à Boujniba en 3ème année primaire lorsque cette catastrophe frappa de plein fouet le Maroc… On en parla à la radio et on diffusa le discours du roi Mohammed V où il prononça cette phrase devenue historique, par la suite, et gravé aujourd’hui en Arabe dans l’une des avenues de la ville reconstruite : ’Si la providence a voulu la destruction d’Agadir, sa reconstruction sera l’oeuvre de notre volonté et de notre foi’’.
Quelques jours plus tard… plus rien. Agadir dans les années 1960 était sur une autre planète pour le gamin que j’étais, d’autant plus que la télévision, avec ses reportages-catastrophe, ne faisait pas encore partie de notre quotidien.
La catastrophe fut oubliée… Du moins jusqu’en 1963 (ou 1964?) où j’eus à gouter, à mon tour, à l’horreur que ressent celui confronté à sa mort imminente.
J’étais interne au Lycée Ibn Yassine de Khouribga. Dortoir IV. Les lits étaient espacés d’environ 1 mètre les uns des autres autour d’un corridor d’environ 1,50 m si mes souvenirs sont bons.
Cela faisait un bon moment que le maître d’internat avait éteint les lumières et que nous étions déjà plongés dans un sommeil profond. Tout à coup je fus réveillé par un mouvement continu de va-et-vient de mon lit. Qui est le plaisantin qui était en train de me jouer ce tour de mauvais goût? Décidé de priver le plaisantin du fou-rire en me voyant sursauter, je décidai de rabattre prestement le drap pour le surprendre; Ce qui fut fait. Mais point de plaisantin ! Et tous les lits se mirent à bouger de plus belle! Agadir me revint à l’esprit. Or au lieu de sauter de mon lit et de m’enfuir, je me suis recouvert la tête et me suis recroquevillé sous la couverture, terrorisé… jusqu’au moment où un cri déchira la nuit : ‘’ C’est le tremblement de terre ! Sauve qui peut !’’
Les lits ont cessé de bouger. Mais les 40 occupants du dortoir volèrent vers les escaliers et descendirent les derniers rejoindre les pensionnaires des 3 autres dortoirs dans la cour.
Et voilà que M. Panouze, le Directeur du lycée, qui surgit de nulle part, boitillant en s’appuyant sur sa cane et rugissant :
« Si votre heure est venue, ce ne serait pas cette cour qui va vous sauver la vie ! Moi j’ai vécu le séisme d’Agadir qui m’a coûté une jambe alors qu’il à coûté à d’autres la vie ! Montez illico presto à vos dortoirs! »
Et nous sommes remontés trembler dans nos lits.
Et cette nuit-là, beaucoup comme moi n’ont pas fermé l’œil jusqu’au lever du jour. Et depuis cette nuit, au moment de la déprime, la peur de mourir écrasé la nuit ressurgit du fond de mon âme. C’est juste pour dire qu’à tel point je sympathise avec tout ceux et c elles qui se souviennent encore et qui ont dédié des sites WEB , tels des autels, à cette événement vieux de 60 ans !
Je suis tombé récemment sur un de ces sites dont voici un extrait du témoignage d’un gendarme du nom d’Auguste (des militaires et fonctionnaires français étaient encore à Agadir après l’indépendance du Maroc) : « Impossible de se lever tant l’immeuble tremblait : il fallait s’accrocher au lit. Enfin, après de longues secondes, tout s’arrêta. J’ouvris alors la fenêtre et entendis des hurlements et des gens crier « sauvez-vous ! ». Soudain, ce fut un bruit sourd, une déflagration, venant de la ville nouvelle. Il semble qu’il s’agissait de l’explosion de bouteilles de gaz. Mon épouse et mes enfants descendirent dans l’obscurité, difficilement, les marches s’étaient déformées. Les escaliers, érigés à l’extérieur, se sont décollés de l’immeuble. Moi, je traînais, cherchant les clés de la voiture. Dehors, tout le monde hurlait « vite, vite !!! ». Tous les occupants de l’immeuble sont sortis vivants. Un gendarme se retrouva nu dans la rue ».
Et de continuer plus loin : « En service, nous avons rencontré un jeune homme de L’EDF que nous connaissions. Il était au sommet d’un poteau. « Que faîtes-vous là ? – La vie continue : j’ai perdu ma femme et mon enfant mais il faut rétablir le courant en ville. ».
Ou encore : ‘’Une nuit, en patrouille, nous avons aperçu des lumières au loin dans la nature. Nous nous sommes approchés. Des bulldozers creusaient des tranchées : c’étaient des fosses communes. Je crois que c’est au cours de cette même nuit que je vis un camion à ridelles, non bâché, transporter des cadavres pêle-mêle …’’
Aujourd’hui Agadir est une ville prospère d’environ un million d’Habitants. Elle fut reconstruite au fur et à mesure, légèrement au sud de l’ancienne cité martyre où certains quartiers furent transformés en cimetières et restent interdits à la reconstruction.
Les constructions antisismiques sont maintenant la règle et Agadir vient d’arracher à Marrakech le titre de la première ville touristique du Maroc, avec ses nombreuses chaînes hôtelières, sa longue promenade qui n’a rien à envier à la Promenade des Anglais sur la côte d’Azur et ses 10 kilomètres de plages au sable fin doré, tout au long de la côte atlantique où il fait si bon se baigner de janvier à décembre. La ville respire la joie de vivre mais les habitants ont-ils tous exorcisé leurs cauchemars ? Ce qui parait sûr quand on visite maintenant cette station balnéaire marocaine, c’est que les Agadiris mordent à plein dents dans la vie 12 mois par an !
Par A. El Fouladi pour Maghreb Canada Express, page 3, Vol. XVIII, N°01-02 , Janvier-Février 2020.