On m’a toujours traité d’inutile et d’ailleurs c’était vrai. Mais à quoi bon être utile dans un monde inutile ?

Je vis avec ma famille à la périphérie de la cité. Dans un taudis hors du temps, fait de tôles brunies par le soleil, de ruelles tortueuses, sinueuses et étroites qui arborent de part et d’autre des filets interminables de linge aux couleurs ternes et fades. Les eaux usées se déversent impudiquement dans un canal creusé au centre des ruelles. Les odeurs putrides envahissent l’atmosphère.  Toutes les colonies d’insectes et de rongeurs partagent allégrement notre quotidien.  C’est là ou je suis né, Là ou j’ai vécu.

L’école était pour moi un refuge, une bulle salvatrice qui me soustrait de la déperdition dans les dédalles de notre bidonville, squatté par des bandes rivales. Elle m’apportait la sérénité et la quiétude introuvables chez nous. Je me suis accroché, j’ai peiné malgré  les vicissitudes de la vie. J’étais méprisé par les lascars et les loubards du quartier, parce que j’étais différent.

Les années se sont écoulées et je me suis retrouvé avec le fameux sésame entre les mains, un Master en littérature arabe. Ma famille tire une singulière fierté de cette réussite jamais obtenue par un enfant du bidonville.

Les voisins ont prit d’assaut notre cabane pour féliciter ma mère.

C’était la première fois que je vois une lueur boréale s’échapper des yeux de ma mère qui a ressentie le vrai bonheur. Accompagnée des voisines elle se rend au Marabout protecteur de notre bidonville pour le rituel de l’Offrande. Un poulet allait payer les frais de ma réussite.

La faillite de notre système éducatif, qui n’est d’ailleurs plus à démontrer, a donné lieu à une dynamique socio politique  qui a aboutit à l’élaboration de la charte de reforme de l’enseignement. La résorption du déficit dans le corps enseignant était le défi majeur de cette stratégie.  Et comme mon destin m’a destiné à colmater la vacuité, j’ai été recruté pour être instituteur rural. Enfin j’existe pour le pays. J’aurais une identité, un compte en banque, une couverture sociale, je deviens HUMAIN.

Je suis affecté à une école située dans un Douar au fond du moyen Atlas. Zone inconnue et loin de mon centre d’intérêt, moi qui voulais poursuivre des études supérieures. J’avais la rage lorsque j’ai appris que je pouvais interférer sur mon affectation moyennant des subsides.   Résigné à mon sort, je me prépare pour mon périple. Ma mère, le cœur serré faisait mes bagages, alors que je savoure délicatement ces moments d’intense bonheur après l’obtention du fameux sésame : la décision de recrutement au sein du MEN.

L’année scolaire pointe à l’horizon. J’ai pris l’autocar à destination de d’AZILAL, chef lieu de la délégation régionale du ministère de l’enseignement.

Mon périple ne fait que commencer.

J’ai embarqué dans une fourgonnette qui faisait du transport clandestin pour rejoindre le hameau de Zaouit Ahansal à une soixantaine de kilomètres d’AZILAL. Je croyais que mon bidonville était une réplique de l’enfer, mais le spectacle qui s’offre à mes yeux était d’une cruauté impudique. Un voile de misère enveloppait la bourgade endormie en ce mois de septembre. Des commerces chichement approvisionnés jalonnaient l’allée centrale. Des vieux assis en califourchon regardaient avec indifférence les rares véhicules qui empruntaient cette route oubliée. Une meute de chiens faméliques  se prélassaient à l’ombre d’un arbre géant.

Mon école se trouve à 10 kms environ de cette bourgade. Située dans une zone enclavée, inaccessible uniquement à dos de mulet. Le paysage féerique qui s’offre à l’œil est une aquarelle  aux couleurs chatoyantes. A l’horizon la montagne épouse le ciel, un chapelet de nuages vient sceller cette union. Au fond de la clairière, une école construite avec des matériaux que la nature dans sa mansuétude et sa générosité  à mis au service de l’Homme.

L’école se résume à une salle de cours de taille moyenne, et d’une pièce adjacente destinée à l’hébergement de l’Instituteur. Un vieux monsieur se présente à moi. Il s’occupait de l’école durant les vacances scolaires. Il m’a remis la clé de l’école. Elle était dans un état lamentable. Une couche épaisse de poussières couvrait le sol. Des squelettes d’oiseaux, de chats et certains reptiles peuplaient les recoins de la salle de cours. Dans la chambre attenante le tableau n’était pas brillant non plus. Avec l’aide de quelques habitants j’ai pu redonner vie à l’école.

Mon modeste paquetage déposé à même le sol me rappelait la  misère  qui me colle à la peau.  J’ai eu des crises de colère contre le destin, la vie et la société. A la rentrée ma colère s’est apaisée lorsque j’ai croisé le regard de ces enfants couleur de  terre, habillés en haillons, crasseux aux sourires abimés par une carie envahissante. Ils étaient une quarantaine de niveau et d’âge différents. Je m’apitoyais sur le sort ingrat  de ces enfants que le pays à mis sous le paillasson pour cacher l’échec de sa politique du développement durable.

Une semaine était nécessaire pour la mise à niveau de la salle de cours.  Dans une ambiance bon enfant, les élèves ont fait preuve d’une grande maturité et d’un appétit insatiable pour le savoir. Ils ont ramenés de maigres quantités de  détergents pour faire le nettoyage. Les tables qui ont connues un passé glorieux son réduit en majorité à un amas de ferraille.

Mais l’ingéniosité des parents avait su redonner  une seconde vie, et aux tables,  et aux chaises, et ce,  par une réfection sommaire.

Le tableau noir, se dresse majestueusement au centre de la salle, sa couleur défraichie, un volet arraché, j’ai su qu’il a servit à confectionner une table à manger pour l’instituteur- au dessous, le portrait de SM le ROI, au regard serein veille sur la classe.

Le premier jour officiel, les enfants ont arborés leurs meilleurs habits pour faire honneur à l’événement. Même dans ce coin reculé les gens avaient conscience de l’importance de l’école comme levier social. Mais j’étais l’INTRUS. Jeune instituteur, célibataire aux gestes raffinés et au langage ensorceleur, je présentais une réelle menace pour la morale dans ce Douar.  Je me sentais épier à chaque pas, un dispositif infaillible à été mis en place pour déceler tout égarement ou infraction aux mœurs. On m’évitait comme un pestiféré. Le premier cours était un supplice neuronal. Faire face à trois niveaux différents est une acrobatie cérébrale qui nécessite des facultés exceptionnelles et un compartimentage proportionnel à l’ampleur de la tache.

Les élèves assistent médusés, les yeux accrochés à moi à un cours improvisé sur le pays, ce pays qui leur tourne le dos. Les yeux hébétés, certains élèves commencent déjà à bailler. Les manuels scolaires étaient rares, trois élèves se partageaient le même livre. Le premier cours était un échec. La barrière linguistique représente un défi majeur. L’Amazigh l’unique moyen de communication, que je ne maitrise guère, constitue un schisme infranchissable entre moi et mes élèves. J’ai demandé à un jeune du Douar de me prodiguer des cours de langues.

La journée du lundi était férié de facto.

C’est le jour du Souk hebdomadaire, la majorité des élèves accompagnent leurs parents. Le Douar se vide, les indigents et les vieillards, qui ploient  sous le poids de leur incapacité à  être productifs, restent avec amertume à attendre le retour des hommes chargés de fardeaux et de nouvelles. Je me nourrissais depuis mon arrivée d’œufs et de thé. C’était ce régime frugal qui me maintenait en vie.

Des lignes de haute tension se dressent majestueusement à l’orée du Douar, alors que les habitations plongent dans le noir à la tombée de la nuit. Dans ma modeste demeure une lueur sans éclat vacille au gré du vent. Mon maigre ameublement n’avait pas d’ombre sur les murs, un chat noir me rendait la nuit pénible par ses multiples razzias au coin cuisine. Pour assouvir mes besoins physiologiques, la nature accueillante me servait de déversoir, ainsi qu’aux élèves à la recréation.

Le froid, progresse lentement.

Les habitants font la réserve des provisions. Le Douar sera coupé du monde pendant l’hiver. J’ai réservé un débarras pour emmagasiner le bois de chauffage, qui devient inaccessible avec les chutes de neige. Mes habits inadaptés au grand froid ne peuvent m’assurer le confort nécessaire.

Devant cette impérieuse nécessité, J’étais dans l’obligation d’acheter auprès des habitants des djellabas et un burnous en laine, avec ma bourse anorexique. L’hiver était dur. Jamais de ma vie je n’ai senti ma peau surgelée. Le froid s’infiltrait par chaque pore et se déversait dans mon corps chassant   le peu de chaleur qui me maintenait en vie. Les nuits étaient interminables, seule une radio brisait le silence effroyable qui règne en maitre sur ses contrées hors du temps. Le sommeil à déserté mes yeux, des fantômes enfouis dans ma mémoire d’enfants remontent à la surface et terrorisent ma quiétude.

Dans la salle de cours, les élèves emmitouflés dans des  haillons qui résistent stoïquement à l’injure du temps, un air irrespirable flotte paresseusement, c’était un mélange de mauvaise haleine et de la pestilence dégagée par les pieds. On suffoquait mais les fenêtres restent hermétiquement fermées.

Dans cette atmosphère délétère je dispense les cours avec l’énergie du désespoir pour ces damnés qui viennent grossir la colonie de misérables. Les vitres embuées laissent pénétrer un timide rayon de lumière, échappé à l’étroite surveillance des nuages noirs qui couvrent le ciel.  La pause déjeuner était un moment unique, les élèves se regroupaient par affinité et par genre. Ils déballaient leurs musettes et détalaient leurs frugal repas sur les tables dans un désordre indescriptible.

Les journées inamovibles s’écoulent  avec paresse laissant une trainée de souffrance et de frustration. La chaleur humaine à désertée les corps gelés des habitants, j’étais invisible pour l’ensemble, sauf un jeune que ma compagnie intéresse. J’étais pour lui le miroir de la civilisation, je lui parlais de la ville, des filles, du cinéma et de la mer.

Quelques rares familles font preuve de générosité et me font parvenir des mets succulents. Ces gestes font renouer mes liens avec l’Humanité. Mes provisions fondent comme la glace au soleil. Je réduis ma ration journalière pour pouvoir tenir jusqu’au virement de mes émoluments, qui d’ailleurs tardent à venir. L’unique épicier du Douar, me harcelait pour honorer mes impayés, avec la menace de mettre fin à sa collaboration. J’avais honte de moi, mon ego se dilue à cause de mon insolvabilité. Ma pauvre mère gardait religieusement le feuillet du cheque que je lui avais remis avant mon départ. Chaque fin du mois, à la poste, elle glisse un billet au guichetier pour savoir si mon compte est alimenté.

La vie rustique imposé par le destin est le résultat de l’incurie de la société, qui à confisqué mes rêves et  mis en jachère mes espoirs.  A la fin du trimestre j’étais déjà exsangue. Ma sève s’écoulait à travers la plaie que la vie m’a infligée. Le regard innocent des enfants est le seul adjuvent qui maintient la flamme vivante dans ce cœur désert.

Par R. Jalal pour Maghreb Canada Express, (Édition électronique) Vol. XVIII, N°03 , pages 12-13, Mars 2020.

Pour lire l’Édition électronique de Mars 2020 (**), cliquer sur l’image :

(**) Eu égard aux efforts collectifs pour endiguer la pandémie, et prenant en note que chaque geste, aussi minime soit-il, compte, Maghreb Canada Express sursoit à son Édition Papier, ce mois de mars 2020.

 

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