Alors que la pandémie s’est rapidement propagée dans le monde entier, l’Amérique latine étant actuellement le nouvel épicentre, l’Afrique, selon l’Organisation mondiale de la santé, pourrait devenir le prochain épicentre. Les responsables de l’ONU déclarent que la pandémie tuera probablement au moins 300 000 personnes en Afrique et entraînera près de 130 millions de personnes dans la pauvreté et la famine. Ils ont également souligné que le continent souffre d’une grave pénurie de ventilateurs et de lits dans les hôpitaux pour faire face à cette pandémie.

Le 26 mai, le continent africain comptait 3471 décès confirmés et 115 346 cas infectés, selon le Centre pour la prévention et le contrôle des maladies de l’Union africaine. Mais les indices indiquant que ce bilan est fortement sous-estimé se multiplient. En Afrique du Nord, le nombre de cas confirmés du Covid-19 a jusqu’à présent été limité, malgré sa proximité de l’Europe.

Le même jour, 8503 cas du Covid-19 ont été confirmés en Algérie, dont 609 décès. Le  Maroc a enregistré le même jour 7556 cas, dont 202 morts, et  pour la Tunisie les derniers chiffres sont 1051 cas confirmés dont 48 décès, selon le  Centre de l’université  américaine John Hopkins.

Reconnaissant la vulnérabilité de leurs systèmes de soins de santé publique, les pays maghrébins ont été proactifs, fermant les aéroports, les ports, les frontières, restreignant les voyages, fermant les écoles, les cafés, les restaurants, les mosquées, établissant le confinement à domicile et instaurant des couvre-feux. Alors qu’au début, ces mesures étaient considérées comme des mesures extrêmes, elles semblent désormais nécessaires, bien qu’elles soient des mesures temporaires pour arrêter la propagation de la pandémie.

Avant le déclenchement de la pandémie, ces pays connaissaient déjà d’importants problèmes socio-économiques et politiques, notamment des systèmes de santé corrodés. Aujourd’hui, ils peinent à fournir des plans de relance adéquats à leurs économies.

Cette situation a soulevé des questions sur la capacité du Maghreb à gérer la pandémie face à ses préoccupations économiques, sanitaires et de gouvernance, ainsi que la lutte en cours contre l’extrémisme violent. Naturellement, on s’inquiète à la fois de la situation socio-économique à court et à long terme, des impacts colossaux du virus sur la sécurité et la stabilité dans les années à venir.

D’un autre côté, le Covid-19 a permis aux gouvernements maghrébins d’avoir une trêve des protestations, mais cela ne durera pas longtemps. Les manifestants réclamaient un nouveau système politique en Algérie et davantage de réformes et de responsabilité au Maroc et en Tunisie. Toutes les manifestations ont été motivées par les inégalités socioéconomiques caractérisant la région, en particulier depuis le printemps arabe en 2011.

Cependant, dans une période de grande insécurité, comme aujourd’hui, la peur a poussé les populations à accepter les structures politiques existantes comme source de certitude et de force, générant un sentiment national de solidarité qui a soulagé les gouvernements. La pandémie a aplati l’opposition et refoulé la soif du changement.

Alors que les pays d’Afrique du Nord se vantent que leurs populations plus jeunes sont potentiellement moins touchées par la maladie, puisque plus de 60% de la population ont moins de trente ans, tous craignent que la pandémie ne les engloutisse, car ils n’ont pas l’infrastructure et les ressources pour répondre à l’épidémie.

En ce qui concerne l’atténuation de l’impact économique du virus Covid-19, les réponses varient. Si l’on considère les fermetures de frontières à elles seules, le Maroc et la Tunisie doivent faire face à des pertes économiques importantes qui résulteront sans aucun doute de la crise du secteur touristique. Selon les chiffres officiels, au Maroc et en Tunisie, le tourisme contribue respectivement à 19% et 15,9% du PIB. L’économie algérienne dominée par l’énergie n’a jamais été tributaire du tourisme ou du commerce. Mais elle prendra un coup économique majeur en raison de la chute actuelle des prix du pétrole. La pandémie handicapera durablement l’économie algérienne, qui reste terriblement dépendante des exportations d’hydrocarbures.

Au cours des deux dernières années, des sécheresses ont ravagé une grande partie de la région, y compris le Maroc. Mais avec la crise du Covid-19, le chômage a explosé de façon exponentielle. Plus de 900 000 employés ont déjà perdu leur emploi. Ils s’ajoutent à plus d’un million de chômeurs à fin 2019. En Tunisie et en Algérie, le taux de chômage est passé de près de 15% à 27% en avril dernier. Dans les trois pays, il y a déjà plus de 5 millions de chômeurs.

Pour faire face à cette crise sans précédent, le gouvernement marocain a créé un fonds qui a atteint désormais plus de 3,5 milliards de dollars. L’État a indiqué qu’il soutiendrait les secteurs vulnérables et a commencé à mettre en place des mécanismes pour indemniser les citoyens les plus démunis.

Le gouvernement tunisien a également mis en place un fonds grâce à des dons publics pour lutter contre la pandémie. Mais les défis économiques du pays, avec une croissance économique limitée, un chômage élevé, des dépenses publiques culminantes et une croissance faible du PIB, aggravent encore la pression de la pandémie.

De même, l’Algérie a accordé des congés payés aux mères, empêchant les hausses de prix, et a agi rapidement pour assurer l’importation de denrées alimentaires afin d’éviter les pénuries.

Les séquelles de la pandémie sont susceptibles de mettre en évidence les échecs politiques qui ont rendu les pays maghrébins si fragiles et sensibles au virus en premier lieu. La mauvaise gestion économique et le sous-investissement dans les infrastructures et le développement humain ont entraîné des systèmes caractérisés par des inégalités sociales graves.

Les pays développés, et en particulier la Chine, où la pandémie a commencé, devraient fournir une aide financière aux pays africains en développement, qui sont généralement laissés pour compte lors des crises économiques mondiales. Les trois pays maghrébins ont un besoin urgent de financements à grande échelle pour aider à maintenir l’activité économique et les emplois pendant la pandémie actuelle.

C’est une période pénible pour tous les pays, en particulier les pays en développement. Pour vaincre le Covid-19 et atténuer ses conséquences économiques désastreuses, la solidarité nationale, l’unité régionale et mondiale sont absolument nécessaires. Si les pays maghrébins ne se solidarisent pas aujourd’hui, quand est-ce qu’ils vont le faire?

Pour aider cette région et l’ensemble de l’Afrique à se remettre de cette crise dévastatrice, les décideurs doivent penser à la reprise, afin de réparer rapidement les dégâts économiques collatéraux  causés par le Covid-19, éventuellement en développant les industries numériques et en investissant dans le secteur de la santé.

Cette crise sanitaire majeure a mis en évidence la nécessité d’investir massivement dans nos hôpitaux et leurs équipements, ce qui aurait été très difficile à mettre en œuvre sans la crise actuelle.

Par Moha Ennaji, (Professeur et Chercheur universitaire à Fès, Maroc, Auteur de plusieurs livres, dont le plus récent intitulé «Le paradigme Maghreb-Europe») .pour Maghreb Canada Express, (Édition électronique) Vol. XVIII, N°06 , page 3, JUIN 2020.

Avis : Eu égard à la conjoncture spéciale relative à la COVID-19, Maghreb Canada Express sursoit temporairement à l’Édition Papier du journal.

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