Belhaloumi Abdelrhani
Tout a commencé, quand des centaines de manifestants se sont retrouvés devant la Maison Blanche, à New York, à Atlanta ou à Los Angeles pour réclamer « justice pour George Floyd » et que « la vie des Noirs compte » (Black Lives Matter). Cet Afro-américain est mort asphyxié lors de son interpellation violente dans le Minnesota. Enième bavure policière sur fond de racisme et de radicalisation. Une radicalisation qui a marqué le passé de ce pays et d’autres de par le monde et imprègne encore leur présent. Partout, sauf en Afrique, les statues de figures historiques du colonialisme et la traite d’esclaves ou simplement des figures controversées pour leur passé, sont visées lors des manifestations contre les violences policières et le racisme, comme l’explorateur du XVe siècle Christophe Colomb. Bas du paragraphe
À Washington, des manifestants antiracistes ont déboulonné l’unique statue du général confédéré Albert Pike. La destruction de cette statue a eu lieu à la fin de manifestations marquant le 155e anniversaire du « Juneteenth ». C’est le jour où les derniers esclaves ont été libérés au Texas en 1865. Pourtant, un siècle et demi plus tard, le Juneteenth n’est toujours pas enseigné dans la plupart des écoles, et n’est ni un jour férié fédéral, ni une journée nationale de commémoration. En ce mois de juin, c’est également l’anniversaire du lynchage de quelque trois cents Afro-Américains à Tulsa en 1921. Aux USA, dans plusieurs villes, des statues de personnalités confédérées devaient être déboulonnées et retirées des places publiques pour être transférées dans des musées.
En Belgique, à Anvers, une statue de l’ex-roi des Belges Léopold II, figure contestée du passé colonial de la Belgique, a été retirée par précaution d’un square pour être entreposée dans les réserves d’un musée local. Des statues ou bustes de l’ex-souverain ont été vandalisées dans plusieurs villes belges. Et dans un autre dossier, celle qu’on appelait il y’a 70 ans « l’enfant du péché » et une cinquantaine de plaignantes, toutes des « enfants de l’Etat », métisses du Congo, attaquent la Belgique pour crimes contre l’Humanité.
En France, les polémiques ressurgissent, visant notamment Colbert, l’auteur du « code noir » – sorte de mode d’emploi de la traite négrière – ou encore le général Faidherbe, administrateur du Sénégal au milieu du 19e siècle. Un buste du général de Gaulle a été vandalisé dans le nord du pays, à quelques jours des 80 ans de son appel du 18 juin 1940, et l’année du cinquantième anniversaire de sa mort. A Paris, la plaque de l’enseigne de magasin ‘Au nègre joyeux’ devait d’abord être recontextualisée, mais il a finalement été décidé qu’elle soit retirée pour être installée au musée Carnavalet. Peut-être envisage t-on de débaptiser l’avenue du maréchal Bugeaud à Paris et ailleurs. Ce maréchal a massacré des Algériens lors de la colonisation. Ou bien préconise t-on plutôt d’ériger des « contre-monuments ». Par exemple, un monument adressé à l’émir Abdelkader, héros ayant été détenu au château d’Amboise pour avoir combattu Bugeaud et la colonisation. C’est ça la nécessité d’une Histoire croisée, colonisés colonisateurs, n’est-ce pas ? A Bordeaux, la décision a été prise, après consultation publique, d’ajouter une phrase de contextualisation aux plaques des rues portant le nom de personnalités liées à la traite négrière. Cela a été aussi le cas à New York où la plaque qui y commémorait le maréchal Pétain a été complétée par un panneau explicatif.
En Martinique, les manifestants anti-héritage colonial à l’origine de dégradations de deux statues publiques de Victor Schoelcher, contestent le résumé de l’histoire de l’abolition fait en centrant sur l’image de Schoelcher, et regrettent que le rôle des populations noires dans cet événement soit absent du roman national. Au canada une pétition réclame le retrait de la statue du leader colonial John MACDONALD.
Au Royaume-Uni, la statue du marchand d’esclaves Edward Colston à Bristol a été jetée à l’eau par des manifestants, quand à celle de Winston Churchill, devant le parlement britannique à Londres, elle a été taguée « raciste ». Et pendant ce temps, un rapport d’Amnesty International parle de traitements inhumains et dégradants de migrants et demandeurs d’asile en Croatie, dernier membre au sein de l’Union européenne. Cette dernière se dit « préoccupée ».
Revenons-en à nos statues
La statue n’est pas une source de l’Histoire, mais en est une reconstitution. C’est une oeuvre d’art pas comme les autres, un objet culturel, qui fait partie du patrimoine d’un pays. L’ériger sur la place publique ou la déboulonner n’est pas une réécriture de l’Histoire. La statue honore des personnes ou des évènements, sans être neutre ni politiquement ni moralement. Pour preuve, En Russie, on a empilé des statues de Staline dans la cour de la Galerie Trétiakov en 1990. Et en Ukraine, après la chute du mur de Berlin en novembre 1989 on trouvait 5500 statues de Lénine, et en 2020, on n’en compte plus qu’une seule, et sans la moindre réaction. En Afrique, Paradoxalement, les statues n’ont subi aucun dommage. Par exemple : sur les hauteurs de Kinshasa, où l’on célèbre le 60e anniversaire de l’indépendance de l’ex-Congo belge, une statue du défunt roi des Belges Léopold II, qui a fait du Congo sa propriété personnelle entre 1885 et 1908 – à côté de celle d’Albert Ier et du britannique Henry Morton Stanley, sont toujours là. Et à quatre mille kilomètres de Kinshasa, Madagascar célèbre les 60 ans de sa sanglante indépendance de la France. Cette dernière a promis à Madagascar, il y’a un a, de parvenir à une solution commune sur les Îles éparses avant l’anniversaire de l’indépendance qui a lieu le 26 juin 2020. Mais, rien ne semble bouger.
L’Histoire est complexe certes, mais l’absence de statues des Tirailleurs n’en est-elle pas une défaite, puisqu’elle prive la population d’une partie de l’Histoire européenne ? Et qui doit-on statufier ou déboulonner ? Que commémorer ou dé-commémorer ? pourquoi donc des politiques de mémoire ? est-ce une instrumentalisation des historiens, un rejet du consensus historique ou un renforcement des connaissances que d’ouvrir le débat sur le passé colonial ? Finalement, Peut-on dépasser les obligations mémorielles?
En tout cas, en Afrique, un autre débat ressurgit, on s’interroge tout simplement sur l’utilité même de conserver le français et l’anglais comme langues officielles en Afrique. Certains plaident pour le renforcement et la valorisation des langues régionales africaines, à côté de l’arabe, en tant que langue africaine, scientifique et langue officielle de l’Onu. En cause, l’isolement que vit l’Afrique, noyée dans la dette extérieure, des problèmes socio-économiques et sanitaires en dépit de ses richesses et ses compétences. Une Afrique débordée par les conflits, le contentieux des espaces maritimes, l’arbitrage, les conflits juridiques, fiscaux ou douaniers avec des groupes internationaux ou avec des états, comme le contentieux économique ente la Belgique et le Congo.
Puis, l’Union africaine, exaspérée par ce qu’elle appelle « le racisme du CPI », a déjà voté une décision en 2016 préparant la sortie de la Cour pénale internationale pour « désafricaniser la CPI » définitivement. Alors que des crimes de guerres, dans l’impunité totale, sont perpétrés contre les Rohingyas *, ou au Moyen Orient, ou en Ukraine et ailleurs, on s’acharne contre l’Afrique. Et à Genève cette semaine, avant l’ouverture du débat au Conseil des droits de l’Homme, de hauts fonctionnaires des Nations unies d’origine ou d’ascendance africaine, ont dénoncé la passivité de l’ONU face au « racisme généralisé et systémique ». Une Organisation des Nations unies impuissante, qui fête son 75e anniversaire, avec un appel de son Secrétaire général à « réinventer » le monde.
Bref, beaucoup de questions restent posées. Et la colonisation restera une pièce majeure de l’Histoire. Elle doit être connue pour mieux appréhender notre avenir ensemble, de façon paisible, afin de renforcer la paix, la cohésion sociale et mieux cerner les débats actuels.
NOTE :
(*) Les Rohingyas est un peuple chassé du nord-est de la Birmanie et considéré par l’ONU comme étant le peuple le plus persécuté au monde.
Par Belhaloumi Abdelrhani (Bruxelles – Belgique), pour Maghreb Canada Express, Vol. XVIII, N°07, page 08, JUILLET 2020.