En France, pour nous, citoyens d’origine maghrébine, le Canada est l’exemple parfait de l’intégration des immigrés. Et notre souhait le plus fort, est que la France fasse de même pour les siens.
Pourtant, en ces moments, on voit même dans ce pays (le Canada) une montée d’islamophobie, semblable à celle qu’on a connue en France.
C’est quoi l’islamophobie ?
Selon le Petit Robert, l’islamophobie est une « hostilité contre l’islam et les musulmans ». Le Multi dictionnaire, lui, définit l’islamophobie comme étant un « racisme qui se manifeste par une haine, des préjugés et une discrimination délibérés à l’endroit de l’islam, des membres de la communauté musulmane, pratiquants ou non, ou des objets et lieux de culte islamique ».
Il y a trente ans déjà
D’après Denise Helley, spécialiste de l’immigration au Canada, « la présence des communautés musulmanes au Canada et la perception de cette présence ont changé de façon draconienne ».
En effet, selon des sondages réalisés il y a une trentaine d’années, les musulmans sont les personnes avec lesquelles les autres Canadiens « ne se sentent pas à l’aise ».
Comment expliquer cela ? D’emblée, il faut souligner que les « musulmans » sont associés à un grand nombre de conflits violents dans le monde : Guerre civile au Liban, révolution islamique en Iran, résistance palestinienne à l’occupation israélienne, Première et Seconde Guerres du Golfe (Irak), régime taliban en Afghanistan et, évidemment, attentats terroristes de septembre 2001 aux États-Unis et de 2004 et de 2005 en Europe. Et ils sont aussi associés à des polémiques largement médiatisées, comme les menaces de mort contre Salman Rushdie, la construction de minarets en Europe, l’« affaire » des caricatures contre Mahomet ou encore la création de tribunaux de la sharia.
Actuellement, il est rare qu’une semaine ne se passe sans une confrontation violente en Afghanistan, en Irak, au Pakistan, au Nigéria ou ailleurs.
Préjugés
Toujours selon Denise Helley, cela n’explique pas tout. Une certaine imagerie négative de l’islam est construite et se répercute au sein des opinions publiques. Il n’est pas rare de voir des politiciens, des intellectuels, des journalistes et des groupes de pression utiliser des préjugés antimusulmans pour acquérir une influence qu’autrement ils n’ont pas.
Certes, la couverture médiatique médiocre concernant les pays d’origine des musulmans facilite la diffusion de stéréotypes négatifs. Si on met à part les chaînes publiques (CBC, Radio-Canada, RDI), le rôle des médias est jugé assez négativement par des associations comme le Congrès islamique du Canada, qui relèvent régulièrement les accusations contre l’islam dans de grands médias comme le Toronto Star, le Globe and Mail et le National Post. Le journal le plus populaire de Vancouver, le Vancouver Sun, écrivait (15 août 2009) que l’Europe était « envahie » par les musulmans et que 40% de la population européenne serait musulmane d’ici l’an 2010!
Dans les médias québécois, c’est une situation similaire qui prévaut: En 2009, le Journal de Montréal fit la manchette avec une « histoire » de musulmans qui avaient « obligé » une cabane à sucre à ne pas servir du porc et à transformer une de ses pièces en lieu de prière! Après vérifications, il apparaissait que toute cette histoire était totalement amplifiée (…). Mais qu’importe, le mal avait été fait et le message, très clair, avait passé : les musulmans veulent envahir «nos» espaces publics et détruire « nos » valeurs !
L’image négative des musulmans au Canada
Selon un sondage CROP en 2002, 76% des répondants québécois estiment que les religions sont sources de conflit et 17% , parmi eux, estiment que l’islam encourage les conflits. Un autre sondage réalisé en 2006 pour l’Association des études canadiennes établit que 24% des répondants ont une image négative des musulmans (contre 10% qui ont une image négative des chrétiens et 9% des juifs). Selon Léger Marketing, en 2008, 72% des répondants entretiennent une opinion favorable du christianisme, 57% du bouddhisme, 53% du judaïsme, 42% de l’hindouisme et seulement 28% de l’islam.
Crise sanitaire et l’islamophobie
La crise sanitaire inédite, et due à la COVID19, que traverse le Monde a révélé les fortes inégalités sociales et territoriales de notre société. Elle a aussi suscité des actes particulièrement préoccupants de stigmatisation à l’encontre de certains groupes perçus comme responsables ou vecteurs de la pandémie.
Depuis l’adoption des directives européennes de juin et novembre 2000, le droit de la non-discrimination a été considérablement rénové. Pourtant, vingt ans après et alors que des espoirs importants étaient nés, les discriminations liées à l’origine demeurent massives en France par exemple. Les personnes d’origine étrangère ou perçues comme telles sont confrontées à des discriminations dans tous les domaines de la vie quotidienne et à différentes étapes de leur existence : de l’école à la vie professionnelle, dans l’accès à un logement ou à d’autres biens et services, ou encore dans le cadre de leurs relations avec les administrations et les forces de l’ordre. Les saisines du Défenseur des droits, ses enquêtes, les témoignages recueillis par ses équipes et ses délégués répartis sur l’ensemble du territoire montrent que les discriminations fondées sur l’origine ou un critère apparenté se banalisent. Elles représentent plus de 1 840 saisines par an au siège de l’institution, soit un tiers des saisines en matière de discriminations. Les données officielles et les rapports publics confirment l’ampleur de ces discriminations et leur dimension systémique.
Lors de la recherche d’un emploi par exemple, les individus ayant un nom à consonance arabe doivent envoyer environ trois CV pour obtenir un entretien, contre seulement deux pour un individu avec un nom à consonance française. Lorsqu’elles sont candidates à la location d’un logement privé, les personnes ayant un nom à consonance arabe ou africaine ont respectivement 27 % et 31 % moins de chances d’obtenir un premier rendez- vous avec le propriétaire.
Les résultats des études statistiques sont sans appel : les personnes ayant une origine étrangère ou perçues comme telles sont davantage exposées au chômage, à la précarité sociale, à de mauvaises conditions de logement et à un moins bon état de santé. Des recherches mettent également en lumière les inégalités scolaires liées à l’origine ou au territoire, qui compromettent l’insertion professionnelle des plus jeunes et leurs conditions de vie ultérieures. Les personnes d’origine immigrée ou perçues comme telles sont enfin surexposées aux contrôles policiers et à des relations dégradées avec les forces de l’ordre. Comme le Défenseur des droits le rappelle régulièrement, la discrimination n’est pas une opinion, un sentiment ou une revendication.
Le Canada victime de l’importation de l’islamophobie par l’immigration française ?
Quand on voit le tableau de l’admission de l’immigration au Canada par pays, depuis 2016, on remarque qu’il y a une corrélation entre la baisse d’immigrés venant des pays du Maghreb et l’admission en masse des immigrés français. Et ces derniers semblent avoir importé hélas, cette islamophobie de leur pays d’origine; la France.
L’attentat contre la mosquée du Québec n’était pas un hasard. La crise sanitaire, et la conjoncture économique aussi, y sont pour quelque chose.
En effet, chaque fois qu’un attentat terroriste est commis en Occident au nom de l’islam, on observe, non seulement une recrudescence d’actes discriminatoires et d’agressions commis contre les minorités musulmanes et leurs lieux de culte, mais un regain de popularité des discours publics décrétant l’échec du multiculturalisme ou encore des modèles nationaux d’intégration ; chaque fois que des hommes musulmans défraient la manchette pour cause de violence domestique ou sexuelle, les médias cherchent la clef explicative de leur geste dans leur « culture » ; chaque fois que des musulmans (es) affichent publiquement et ostentatoirement leur appartenance religieuse, des voix s’élèvent pour dénoncer « leur » refus de s’intégrer dans « notre » culture laïque.
Vivement la politique canadienne d’immigration; en décalage complet avec celle des pays européens et américains.
Le climat anti-immigration dans ces pays pousse de nombreux entrepreneurs et travailleurs qualifiés à se tourner vers le Canada, où leurs compétences sont appréciées. Vancouver, qui attire de plus en plus d’entreprises spécialisées dans les technologies de pointe, se verrait bien devenir la nouvelle Silicon Valley grâce à l’afflux de travailleurs qualifiés venus de l’étranger.
De ce fait, le Canada a tout à gagner à poursuivre sa politique de jadis : une politique de tolérance et de bienveillance envers ses immigrés qui sont pour quelque chose dans son expansion économique, et culturelle.
Par Mustapha Bouhaddar, pour Maghreb Canada Express, Vol. XVIII, N°10 , page 4, Octobre 2020.
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