Par Mustapha Bouhaddar
C’est le titre des mémoires de Brack Obama publiés chez Fayard. Dans ce pavé de 800 pages, Obama revient sur ses débuts en politique à la fin des années 1990, et sur ses premières années à la Maison Blanche, entre souvenirs familiaux et complexité de l’exercice du pouvoir.
Au-delà de l’écume médiatique, que retenir d’Une terre promise ? La longueur déjà : plus de 800 pages, et cela ne représente que le premier tome (seul Clinton a fait plus long en moins de temps : 1 000 pages pour Ma Vie, en 2004). Le 44e président a mis trois ans et huit mois pour écrire son livre, plus que tous ses prédécesseurs, à l’exception de Nixon qui, il est vrai, est resté des années empêtré dans les suites judiciaires du Watergate.
Près de 900 000 exemplaires ont été vendus dès le premier jour (légèrement mieux que le livre de Michelle, Devenir, paru en novembre, « mais je ne m’en vante pas », a glissé l’ancien président). Des dizaines d’interviews, un tsunami littéraire en guise de plan média. Obama a même diffusé sur les réseaux sociaux sa playlist « en l’honneur de la parution » du livre, comme si le lecteur avait besoin de savoir ce qu’écoute le président des Etats-Unis quand il décide d’augmenter les effectifs en Afghanistan ou de réglementer les émissions de méthane. Il y a trois semaines, Donald Trump occupait tout l’espace.
Ces jours-ci, on ne voit plus qu’Obama. Une bouffée de nostalgie s’est emparée du pays démocrate, comme « un bain chaud », a commenté l’éditorialiste Kathleen Parker dans le Washington Post. Un retour à la civilisation d’avant-Trump, presque à la raison. Un prélude à l’après.
Oui, mais encore
Dans ce livre, l’ancien président des USA, raconte ses souvenirs d’enfance, Harvard, ses débuts comme avocat des droits civiques à Chicago, puis ses premières campagnes dans l’Illinois et surtout, son élection en 2008, à même pas 50 ans, et son premier mandat à la Maison Blanche. Le livre s’achève au printemps 2011 par le récit de sa rencontre, dans le Kentucky, avec les membres des forces spéciales qui ont mené le raid à Abbottabad et tué Oussama ben Laden, quelques jours plus tôt.
Obama qui venait d’obtenir le prix Nobel de la paix juste avant ce raid, se demandait si ce prix était mérité pour un président qui venait de rentrer en guerre en Afghanistan.
Il est revenu sur la dernière élection et la situation politique des Etats-Unis, estimant que l’arrivée de Joe Biden signait un « retour à la normale ». « Ce pays est divisé. Cela ne date pas de Donald Trump, mais cela a certainement été accéléré par sa présidence. Je crois que Joe Biden et Kamala Harris représentent un retour à certaines normes », estime Barack Obama avant de livrer son sentiment sur celui qui lui a succédé le 20 janvier 2017.
« Quand je suis parti, j’avais une assez bonne réputation auprès du peuple américain (…). Mais ce qui était clair, c’était les divisions dues aux réactions de la mondialisation, le fait que les habitants des zones urbaines avaient mieux réussi économiquement et qu’ils avaient adopté un point de vue plus cosmopolite, qu’ils acceptaient et encourageaient la diversité. Tout cela a laissé à beaucoup de gens qui vivent dans les zones rurales, le sentiment d’avoir perdu leur statut », explique en préambule l’ex-président, qui estime que Donald Trump a su exploiter ces ressentiments.
Sur ce dernier, il écrit : « Je pense que les médias de droite ont attisé tous ces ressentiments et ont encouragé les gens à penser, d’une certaine manière, que l’Amérique dont ils se souvenaient n’existait plus. Et ça, c’est très puissant. Le politique (…) ce n’est pas seulement une question matérielle. C’est souvent une question d’histoires concurrentes pour dire qui nous sommes, ce que signifie notre vie, notre identité. La majorité des Américains a adopté l’histoire que je leur ai racontée, mais un grand nombre ne l’a pas fait et Donald Trump a certainement reflété cela. Je ne m’attendais pas à ce que Trump enthousiasme autant de gens. Que les théories conspirationnistes aient été prises au sérieux par une aussi grande partie de la population. C’est quelque chose, avec le recul, que je n’avais pas vu »
Sur la fonction présidentielle, il dit : « Ceux qui accèdent à des postes de pouvoir sont encore des êtres humains, avec des craintes, des doutes. Il y aura toujours un fossé entre l’image publique et la fonction présidentielle avec ses aspects iconiques comme voler à bord de l’avion Air Force One (…). Jusqu’en 2008, j’étais quelqu’un qui lavait sa voiture, qui faisait ses courses avec ses filles et devait s’inquiéter de payer ses factures. Raconter cela me paraît utile pour démystifier la fonction et expliquer que c’est un emploi. (…) Le danger pour un dirigeant politique est de commencer à croire à son propre battage médiatique, à croire que vous ne pouvez pas vous tromper »
Sur Nicolas Sarkozy il écrit : « Les discussions avec Sarkozy étaient ainsi tour à tour amusantes et exaspérantes, ses mains en mouvement perpétuel, sa poitrine bombée comme celle d’un coq nain, son interprète personnel (contrairement à Merkel, il parlait un anglais limité) toujours à ses côtés, reflet exalté de chacun de ses gestes, de chacune de ses intonations, tandis que la conversation passait de la flatterie à la fanfaronnade, sans manquer d’une authentique perspicacité ni jamais s’éloigner de son intérêt premier, à peine déguisé, qui était de se trouver au cœur de l’action et de s’attribuer le mérite de tout ce qui valait qu’on s’en attribue le mérite ».
L’importance de la littérature
Lors de son passage à la Maison Blanche, Obama donnait régulièrement la liste des livres qui l’avaient aidé à gouverner. En cela ce nouveau livre (qui n’est pas son premier) se veut être un éloge de la littérature.
Il compare la littérature et la politique, en cela que la « bonne littérature vous sort de vous-même », et vous met, selon lui, à la place de personnes totalement différentes. Dans l’exercice de la politique et de la diplomatie, il a donc toujours cherché à comprendre la position des uns et des autres, y compris de ses adversaires.
Parmi les auteurs qui l’ont le plus influencé figure Toni Morrison, lauréate du prix Nobel de Littérature de 1993 décédée l’an dernier. C’est pour lui quelqu’un qui l’a aidé à apprendre à écrire, alors qu’il n’avait jamais suivi de formation quelconque. L’humanité qui transparaissait de ses écrits est ce qui l’inspire aujourd’hui, et il pense que là réside le rôle de l’écrivain aujourd’hui. En écrivain comme il fut président, il se garde comme objectif de toujours faire preuve d’humanité : « Quelle aventure que d’essayer de rendre le monde meilleur » conclut-il.
Personnellement, ce livre ne m’a pas enthousiasmé, certes, comme des millions de personnes dans le monde, l’élection d’Obama, m’avait enchanté. Je me disais : « enfin un président noir à la tête de la première puissance mondiale, il va régler le problème du racisme omniprésent dans ce grand pays. » Mais, en définitive, rien n’a changé. Pire ! Il a laissé le pays entre les mains de Trump, un raciste notoire, un monstre.
Le fait qu’un noir soit président n’a pas changé la situation des noirs, et comme l’écrivait James Baldwin il y a quarante ans déjà : « Les Noirs connaissent aussi les flics noirs, même ceux que l’on nomme « Monsieur » à Philadelphie. Ils savent que leur présence dans la police ne change pas la police, ni les juges, ni les hommes de loi, ni les esclaves, ni les prisons. Ils connaissent la mère et le père du flic noir, ils ont peut-être rencontré la sœur, et ils connaissent le petit frère, ou le grand, qui est peut-être un esclave, ou un junkie, ou un étudiant perdu de Yale. Ils savent à quel point le flic noir doit faire ses preuves, et combien ses moyens pour cela sont limités : là où j’ai grandi, les flics noirs étaient même plus terrifiants que les flics blancs. »
Obama aurait dû intituler son livre : « Une terre promise, promesses non tenues. »
Par Mustapha Bouhaddar, pour Maghreb Canada Express, Vol. XVIII, N°12 , page 13, Décembre 2020.