Par Abderrafie Hamdi (Rabat, Maroc)
Depuis l’adoption de la résolution 2797 du Conseil de sécurité, le dossier du Sahara marocain semble avoir franchi un seuil politique déterminant. Pour une large partie des acteurs internationaux, l’initiative marocaine d’autonomie apparaît désormais comme la base la plus réaliste et la plus opérationnelle pour une solution durable. Le récent discours royal, suivi d’une consultation avec les principales forces politiques du pays, confirme que le Maroc prépare la mise en œuvre du projet dans une logique progressive, structurée et inclusive.
Ouvrir dès maintenant la réflexion sur les mécanismes de gouvernance et les modalités d’intégration sociale …n’est pas un exercice secondaire : c’est un choix stratégique. Les transitions territoriales les plus réussies, dans l’histoire récente, sont celles qui ont été préparées en amont avec lucidité et sens des responsabilités.
Un projet de l’ampleur du plan d’autonomie ne peut gagner en crédibilité que s’il repose sur une anticipation méthodique, un cadre institutionnel cohérent et une vision partagée de l’avenir.
Au Maroc, cette préparation se heurte parfois à des débats locaux, souvent déconnectés des enjeux essentiels. Ces controverses périphériques rappellent toutefois la nécessité d’un débat public plus serein et d’un discours public plus responsable. L’autonomie n’est pas un jeu de frontières internes : elle vise, au contraire, à consolider la cohésion nationale dans un contexte où la diversité des parcours doit devenir une richesse plutôt qu’un motif de division.
L’un des défis majeurs réside dans la rencontre de deux trajectoires humaines : celle des habitants ayant participé depuis des décennies à la vie institutionnelle dans les provinces du Sud, et celle des populations ayant vécu dans les camps, porteuses d’expériences et de représentations différentes. La crédibilité du projet dépendra de la capacité à rapprocher ces deux univers autour d’un avenir commun. Cela implique de construire une confiance réciproque, de reconnaître la pluralité des mémoires et de créer de véritables passerelles de participation.
Sous cet angle, la réunification allemande constitue une référence éclairante. Après 1989, Berlin a dû intégrer deux systèmes et deux visions du monde façonnés par un demi-siècle de séparation. Le choix allemand fut clair : éviter toute logique de domination, investir massivement dans la mise à niveau de l’Est et accompagner l’intégration administrative et humaine. L’unité fut pensée comme un processus, non comme un acte. Et si des défis subsistent encore aujourd’hui, l’Allemagne a démontré que l’intégration sociale précède toujours l’intégration institutionnelle, et que la cohésion se construit par l’ouverture plutôt que par la compétition interne.
L’autonomie au Sahara marocain s’inscrit dans une démarche comparable : elle ne doit pas opposer « ceux d’ici » à « ceux de là-bas », mais instaurer un cadre où la participation repose sur la compétence, l’intégrité publique et le sens de l’intérêt général. Cela nécessite des élites locales responsables ,une modernisation des outils de gouvernance et un engagement renforcé des partis politiques, appelés à repenser leurs méthodes d’encadrement, de formation et d’intégration des futurs acteurs régionaux.
La réussite du projet dépendra largement de la capacité à instaurer un climat politique stable et inclusif. La région ne doit pas devenir un espace de rivalités internes, mais un territoire de co-développement où convergent les intérêts des populations et des institutions. La souveraineté dans le monde aujourd’hui, ne se mesure plus seulement à la présence administrative : elle se jauge à la confiance accordée aux institutions et à la qualité de la gouvernance locale.
Comme l’écrivait Antonio Gramsci : « Tout ordre nouveau s’accompagne d’une crise de conscience. » Le Maroc aborde cette transition avec pragmatisme : comprendre les attentes, anticiper les tensions et construire un modèle politique fondé sur l’ouverture, la compétence et la responsabilité.
L’autonomie, telle qu’envisagée par Rabat, ne vise pas seulement à résoudre un différend régional : elle exprime une volonté et un engagement à renforcer la cohésion nationale, à gérer le pluralisme et à mettre en place un modèle de gouvernance territoriale adapté aux exigences du XXI? siècle…