Par Abderrafie Hamdi (Rabat, Maroc)

Du 8 au 13 décembre, le Comité intergouvernemental de l’UNESCO se réunira à New Delhi pour examiner la candidature du Caftan marocain au patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Cette inscription potentielle remet au centre du débat un type de patrimoine dont la valeur repose sur la transmission des savoir-faire, mais qui se trouve parfois au cœur de tensions régionales. Le dossier marocain illustre parfaitement ce paradoxe : un héritage culturel ancien, mais qui, aujourd’hui, se retrouve au croisement de discussions techniques, identitaires et diplomatiques.

Le Caftan marocain constitue un système de connaissances élaboré : techniques de coupe, broderies complexes, organisation des ateliers, choix des matières, maîtrise des couleurs. Ces savoir-faire se sont construits au fil des siècles et continuent d’être transmis par les communautés artisanales du pays. Pour l’UNESCO, ce sont précisément ces mécanismes de transmission — et non le vêtement en lui-même — qui définissent la nature du patrimoine immatériel.

Mais, comme d’autres patrimoines vestimentaires ou culinaires à travers le monde, le Caftan se trouve aujourd’hui au centre d’un débat régional. Le Maroc a, à plusieurs reprises, exprimé ses inquiétudes concernant l’inclusion, par l’Algérie, d’éléments considérés par les spécialistes comme relevant spécifiquement du Caftan marocain dans ses propres dossiers d’inscription. Les autorités marocaines estiment que certaines pièces ? notamment le modèle connu sous le nom de Ntaâ ? ont été intégrées à un dossier algérien qui ne correspond pas à leur contexte d’origine.

Ce phénomène n’est pas unique : des controverses similaires ont émergé en Asie de l’Est autour du kimchi ou du hanbok, ou encore entre la Grèce et la Turquie concernant certaines traditions culinaires. Dans tous ces cas, il ne s’agit pas seulement d’objets matériels, mais de symboles forts qui mobilisent la mémoire collective et les trajectoires historiques des nations.

Dans ce contexte, la candidature du Caftan marocain place au premier plan une question centrale pour l’UNESCO : comment protéger un patrimoine tout en évitant les appropriations ou les confusions identitaires ? Le dossier marocain repose sur une documentation détaillée, des archives historiques, des études anthropologiques et des témoignages d’artisans qui soulignent la continuité du Caftan au Maroc et son ancrage dans les pratiques sociales du pays.

Parallèlement, le Maroc rappelle qu’il ne revendique pas l’exclusivité du vêtement « caftan », largement répandu dans de nombreuses civilisations, mais qu’il défend la spécificité de la tradition marocaine, caractérisée par des techniques, des formes et des usages qui lui sont propres. Pour les experts du patrimoine, cette distinction est essentielle : différentes cultures peuvent partager une même famille d’objets tout en développant des expressions distinctes qu’il faut documenter avec précision.

L’inscription du Caftan marocain au patrimoine immatériel de l’humanité, représentera la reconnaissance d’un savoir-faire toujours vivant, mais aussi un signal sur l’importance d’une documentation rigoureuse pour éviter les chevauchements culturels. Dans un monde où le patrimoine immatériel devient un marqueur identitaire fort, l’UNESCO est régulièrement confrontée au défi de distinguer l’influence culturelle partagée de l’appropriation non justifiée.

Au-delà des débats régionaux, la candidature marocaine met en lumière un fait fondamental : un patrimoine survit lorsqu’il est porté par des communautés qui le transmettent, l’enseignent et le renouvellent. Le Caftan fait partie de ces héritages qui, tout en reflétant une histoire longue, continuent d’évoluer, de s’adapter et de produire du sens dans la société contemporaine.

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