Le rôle des Smartphones en tant que moyen de soutenir l’utilisation de cartes, d’applications de positionnement global et l’utilisation de médias sociaux (comme Facebook et WhatsApp) sont devenus des outils essentiels pour les réfugiés et les sans-papiers. Les Smartphones et les nouveaux médias impactent la mobilité et les identités des migrants et modifient l’organisation des communautés et des villes.
Traditionnellement pays émetteur de flux migratoires, le Maroc est considéré depuis le milieu des années 2000 comme un pays de transit et d’accueil, par la plupart des migrants africains qui souhaitent rejoindre l’Europe, soit par les enclaves de Ceuta et Melilla, soit par les Îles-Canaries, comme base avant de traverser la Méditerranée ou l’océan Atlantique.
La plupart de ces réfugiés utilisent le Maroc comme une étape pour atteindre l’Europe, convaincus qu’il s’agit d’un passage sûr, bien que la plupart finissent par attendre des mois ou des années dans des conditions épouvantables.
Après le soi-disant « Printemps Arabe » en 2011, le gouvernement marocain a élaboré une nouvelle politique nationale sur la migration et l’asile et a adopté une politique exceptionnelle de régularisation des migrants en 2013 et 2014, faisant du Maroc le seul pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient à traiter le problème des sans-papiers et des réfugiés à travers un processus de régularisation.
Alors que les Syriens, les Yéménites et les Libyens sont considérés comme des réfugiés en raison des guerres civiles dans leur pays, la plupart des migrants subsahariens ne sont pas traités comme des réfugiés, car ils ne correspondent pas à la définition de réfugié de la Convention de 1951. En effet, ils sont principalement considérés comme des migrants économiques irréguliers. Ceux qui quittent leur pays dans l’espoir de mener une vie meilleure comprennent les femmes (20,3 %). Au total, on estime que plus d’une cinquantaine de communautés de migrants sont concernées par ces flux illégaux, notamment les ressortissants nigérians, maliens, sénégalais, congolais et ivoiriens.
Dans une étude récente, avec Filippo Bignami (Université des sciences appliquées de la Suisse méridionale), nous avons cherché à savoir si les technologies mobiles influent sur les intentions des migrants et les aident à réaliser leur projet migratoire.
Nous avons interrogé les réfugiés du Moyen-Orient et les migrants subsahariens basés au Maroc pendant la période 2017-2019. Nous avons constaté que l’intention de migrer était influencée par les technologies mobiles en plus des facteurs d’incitation traditionnels, tels que les conflits, la sécheresse, la guerre civile, les difficultés économiques et l’influence des trafiquants. Les migrants instruits connaissant les technologies mobiles et Internet avaient une attitude plus positive envers les technologies de l’information et de la communication et avaient une plus forte intention de migrer et de réaliser leur rêve migratoire.
Le travail de terrain a révélé que les Smartphones avaient un impact déterminant sur la migration des jeunes et étaient également très utiles pour les guider vers leurs destinations et leurs objectifs. Il montre l’utilisation croissante des technologies de communication et des médias sociaux par ces migrants et réfugiés dans leurs voyages pour réaliser leur projet de migration. Il souligne à quel point de tels outils logistiques influencent les flux et la mobilité des migrants, les formes d’intégration, ainsi que la communication avec leurs familles et leurs pays d’origine. Cette interaction affecte fortement l’identité, la participation, l’économie et le sentiment d’appartenance de ces migrants en mouvement, conformément à l’idée de la logistique comme dispositif produisant de la subjectivité et façonnant une certaine autonomie du migrant et du réseau migratoire.
La recherche montre que les Smartphones et les médias sociaux et autres appareils technologiques facilitent le partage des connaissances et des outils de connectivité, la coopération entre pairs, le soutien mutuel et les soins entre les migrants. Il révèle que le travail, la mobilité et la sécurité sont liés au schéma de souveraineté par l’inclusion des populations mobiles.
Cette étude a montré que les Smartphones et les technologies mobiles peuvent amplifier les déplacements des migrants en leur permettant d’accéder à des informations en ligne pendant le voyage et en renforçant les cadres migratoires, qu’ils soient irréguliers ou réguliers. Les Smartphones et les réseaux sociaux sont également utiles pour promouvoir l’utilisation des nouvelles technologies par les sans-papiers, qui sont considérés comme compétents, expérimentés et bien informés parce qu’ils ont déjà effectué ce voyage. Les données montrent également que les technologies mobiles ont un impact sur l’évolution de la migration irrégulière en facilitant le mouvement et le voyage des migrants. De même, les technologies mobiles offrent aux migrants une forme d’indépendance dans l’organisation et le financement de leurs déplacements ; ils permettent également aux trafiquants d’entrer en contact avec des immigrants potentiels et de diffuser des informations à grande échelle et plus rapidement que jamais auparavant.
Malgré les efforts déployés pour remédier à cette situation grâce à des programmes de régularisation limités, la plupart des migrants ne seront pas absorbés et atteindre l’Europe restera leur objectif ultime. Tant que les facteurs sous-jacents qui poussent ces flux migratoires ne seront pas abordés de manière fondamentale, tant que la seule solution envisagée par les pays développés est celle de l’endiguement, les migrants continueront à chercher des chemins différents et parfois plus périlleux vers l’Europe, et la crise va s’aggraver, comme nous l’avons remarqué dernièrement avec la propagation de la COVID-19. Ce mouvement migratoire transforme les individus, leurs réseaux et les villes (d’origine, de transit et de destination) dans lesquelles se déroulent ces trajectoires individuelles. Il doit alors être analysé comme un système logistique au lieu d’un simple problème social à résoudre.
L’utilisation d’outils comme les Smartphones et les médias sociaux, encadrée dans une approche logistique des processus migratoires, ouvre un débat intéressant sur la sensibilité interculturelle et sur les droits des migrants.
Il existe un danger que la COVID-19 porte atteinte aux droits des migrants à long terme, car les États continuent d’adopter des politiques repliées sur eux-mêmes pour essayer d’empêcher non seulement les personnes à la recherche de meilleures opportunités économiques en Europe, mais également celles qui fuient la guerre et les persécutions politiques. .
Il est nécessaire d’agir et de collaborer entre les pays pour aider les migrants sans papiers et les réfugiés en mouvement, en accordant la priorité au soutien sanitaire pendant la pandémie et en mettant en œuvre des mesures convenues au niveau international pour protéger leurs droits.
(*) Moha Ennaji est actuellement professeur-visiteur à l’université de Bielefeld, auteur de plusieurs livres, dont le plus récent intitulé «Le Paradigme Maghreb-Europe ».