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Il est révolu le temps où les quatre saisons étaient homogènes; l’automne avec sa grisaille, le printemps avec sa fraicheur, et l’été avec sa chaleur.Maintenant, il y a la canicule en plein printemps, la pluie en été, et ainsi de suite, il n’y a plus de saison.

Le dérèglement climatique est bien réel

D’après François-Marie Bréon, directeur adjoint au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE) au CEA, dans un entretien qu’il a accordé à Aléas Climatique, le 18/05/2021, « La Terre a connu plusieurs changements climatiques au cours de son histoire. Il n’y a qu’à regarder la Terre à la fin de l’été 2020 : débarrassée de nuages, on voit clairement depuis l’espace l’Amérique-du-Nord, l’Europe, le Groenland, la banquise autour du pôle Nord. Il y a 20 000 ans, ces mêmes endroits étaient recouverts de glace dont l’épaisseur ne faisait pas une dizaine de centimètres comme aujourd’hui, mais 3 km ! Le niveau des mers était 130 mètres plus bas qu’aujourd’hui puisque toute l’eau sous forme de glace ne remplissait pas les océans. Or la différence de température moyenne est de l’ordre de 5 °C entre la Terre il y a 20 000 ans et aujourd’hui. Les changements climatiques attendus dans le siècle à venir sont du même ordre de grandeur. Une variation de 5 °C aurait un impact énorme sur la Terre. »

Il y a 20 000 ans, les hommes n’étaient pour rien dans l’état du climat…

Toujours d’après Bréon, actuellement, on évoque le changement climatique anthropique, dû aux émissions de dioxyde de carbone. Si l’on examine les émissions totales de dioxyde de carbone par les activités humaines sur les 150 dernières années, elles ont très fortement augmenté depuis la moitié du XXe siècle.

Aujourd’hui, les activités humaines rejettent dans l’atmosphère 40 milliards de tonnes de dioxyde de carbone chaque année qui modifient la composition de l’atmosphère.

Grâce à l’analyse de carottes glacières, vieilles de 450 000 ans, on note que les variations naturelles de la concentration de dioxyde de carbone étaient entre 170 ppm (partie par million) et 270 ppm. Aujourd’hui, nous oscillons entre 410 et 420 ppm, donc nous sommes complètement sortis de ces variations naturelles.

Les mesures réalisées par les laboratoires à différents endroits dans le monde, sur les quarante dernières années, montrent très bien l’augmentation régulière de la concentration en dioxyde de carbone dans l’hémisphère sud. L’hémisphère nord connait en plus un cycle annuel polarisé, car la végétation absorbe du dioxyde de carbone au printemps et en été et en rejette au contraire en automne et en hiver, ce qui conduit à une oscillation de la concentration, à laquelle se rajoute la tendance liée aux activités humaines.

Il faut rajouter à ça que le changement de composition de l’atmosphère conduit à un changement de l’effet de serre qui est un phénomène parfaitement connu et compris. Des modèles permettent de calculer avec une grande précision quelle est la quantité de rayonnement infrarouge qui peut s’échapper de la Terre en fonction, d’une part, de sa température, d’autre part, de la composition de l’atmosphère.

Avec ces modèles, peut être calculé l’impact de cette augmentation du dioxyde de carbone sur le rayonnement infrarouge émis. Quand il y a plus de CO2, il y a moins de rayonnement infrarouge émis ; c’est équivalent à un flux d’énergie supplémentaire qui rentre dans la Terre.

L’impact du CO2 est de 2 watts/m². D’autres gaz contribuent à l’effet de serre dans une moindre mesure : le méthane, le protoxyde d’azote et un certain nombre de composés chlorés. Le méthane est essentiellement lié à l’agriculture, au dégel du permafrost et à des fuites lors de l’extraction du gaz fossile. Le protoxyde d’azote provient des engrais agricoles.

En rapport, les autres contributions sont faibles. Les aérosols (petites particules qui sont en suspension dans l’atmosphère dont certaines ont des origines naturelles, d’autres des origines humaines) conduisent à un refroidissement de la Terre qui vient en partie compenser l’impact du dioxyde de carbone et d’autres gaz à effet de serre.

Les climatologues cherchent à quantifier cette perturbation de l’homme sur le climat, qui est un peu plus forte que 2 watts par m² avec une petite incertitude. L’augmentation de l’effet de serre conduit nécessairement à une hausse des températures.

Des modèles climatiques permettent de quantifier cette augmentation et les observations permettent, quant à elles, de vérifier que les modèles prédisent bien la bonne augmentation.

La température moyenne de la Terre a augmenté nettement sur les derniers 150 ans, surtout à partir des années 1970, même si certaines fluctuations étaient déjà notées avant. Et les cinq années les plus chaudes sont les cinq dernières, c’est très net. En résumé, il faut retenir que la hausse des gaz à effet de serre conduit mécaniquement à un réchauffement climatique ; ce réchauffement entraînant une modification des circulations atmosphériques et océaniques, et donc un changement climatique.

La France n’échappe pas à ce dérèglement

L’augmentation des températures est nette en France, voire supérieure à la température moyenne de la Terre.

Cela s’explique essentiellement par le fait que les continents se réchauffent plus vite que les océans, mais aussi parce que les hautes latitudes se réchauffent plus vite que les basses latitudes.

Ceci signifie que pour un réchauffement de la Terre de 1 °C, le réchauffement de la France est de l’ordre de 1,5 °C.

Concernant les épisodes caniculaires, les effets amplificateurs qui se rajoutent font que lorsque la température moyenne de la France se réchauffe de 1,5 °C, les épisodes de canicule ont tendance à être plus intenses, autour de 3 °C. Et une Terre à + 2 °C ne signifie pas des canicules de + 2 °C, mais plutôt de + 5 °C ou + 6 °C par rapport à celles que nous connaissons.

Pour se projeter dans le futur, la France a besoin de modèles climatiques, tels que des modèles météorologiques avec des composantes supplémentaires qui permettent de modéliser les composants du système climatique intégrant des variations plus lentes que celles des variables météorologiques classiques. Et si on compare les modèles à la réalité, on peut se rendre compte que les modèles ont été capables d’anticiper ce qui s’est passé au moins sur les vingt dernières années.

Un effet d’inertie du carbone

Quand le climat change, d’autres éléments changent aussi, avec un renforcement éventuel de l’effet initial ou au contraire une atténuation.

Le premier feedback positif ou rétroaction est l’effet de la vapeur d’eau. L’atmosphère peut contenir une certaine quantité de vapeur d’eau, dépendant de la température et de la pression.

Par conséquent, si la température de l’atmosphère augmente du fait de l’accroissement du CO2, il y aura plus de vapeur d’eau dans l’atmosphère. La vapeur d’eau étant un gaz à effet de serre, va contribuer à une nouvelle augmentation de l’effet de serre, donc à un renforcement de l’effet initial, par un facteur de 2 à 3.

Un autre feedback est l’effet de la neige. Si le climat se réchauffe, il y aura moins de neige au sol. Aujourd’hui la neige réfléchit les rayons du soleil (Albédo) et c’est autant d’énergie solaire indisponible pour réchauffer la Terre.

A contrario moins de neige au sol induit plus d’énergie solaire absorbée sous l’effet de la diminution de l’albédo, et donc plus de réchauffement.

Une des grandes incertitudes concerne les nuages.

D’une part, ils réfléchissent le rayonnement solaire, donc ils ont tendance à refroidir la Terre, mais ils ont aussi un effet de serre. Il s’agit de savoir si un climat plus chaud entraînera plus ou moins de nuages, plus de nuages élevés ou bas. Tous les modèles disent qu’il y aura une augmentation des températures, plus élevée sur les continents que sur les océans et que le climat va se réchauffer.

Concernant les précipitations, dans la majorité des régions du globe, les modèles sont en désaccord. Cela signifie qu’il y a encore une grande incertitude sur ce qui va se passer pour ce qui concerne le cycle de l’eau.

S’agissant du niveau des mers, il n’y a pas de doute qu’il va continuer à monter.

Par ailleurs, le réchauffement engendrera la fonte de la glace, qui ajoutera de l’eau dans les océans, et contribuera à l’augmentation du niveau des mers. Même avec le scénario optimiste (stabilisation des concentrations de dioxyde de carbone conduisant à une stabilisation des températures), on n’observera pas de stabilisation du niveau des mers.

L’augmentation des températures va se propager vers la profondeur des océans durant plusieurs centaines d’années, par conséquent la dilatation des mers va se poursuivre pendant très longtemps même si on arrive à stabiliser les températures de l’atmosphère. Les modèles basés sur la physique disent que l’augmentation du niveau des mers sera située entre 50 cm et 1 mètre à la fin du siècle.

Un tribunal tranche en faveur d’un ‘’Migrant climatique’’

Une pensée à ce migrant climatique qui vit en France depuis 10 ans et travaille dans un restaurant à Toulouse.

En 2011, il aurait quitté le Bangladesh pour cause de persécutions. Mais l’Hexagone a refusé sa demande d’asile politique. En revanche, on l’a reconnu comme « étranger malade » en raison de ses problèmes respiratoires graves, asthme extrême et apnée du sommeil.

Malgré sa santé précaire, son permis de résidence n’a pas été renouvelé l’an dernier, sous prétexte que le Bangladesh pouvait lui offrir les traitements et les médicaments nécessaires. Mais à son grand soulagement, l’ordre d’expulsion vient d’être annulé par la cour d’appel de Bordeaux.

Cette décision n’est pas passée inaperçue. Car en plus des critères de santé, elle s’appuyait sur des arguments environnementaux, à savoir les dangers liés à la pollution de l’air au Bangladesh.

En plus des dangers causés par la pollution, la cour de Bordeaux a reconnu que les fréquentes coupures de courant et les températures élevées du Bangladesh ne permettaient pas l’utilisation des ventilateurs utilisés la nuit par ce migrant climatique pour son apnée du sommeil.

C’est la première fois en France qu’un tribunal tient compte de l’environnement afin de justifier une demande de résidence pour « étranger malade ».

Il n’en fallait pas plus pour que les médias parlent du « premier réfugié climatique » de France.

En effet, la notion de « réfugié climatique » n’est toujours ni définie ni reconnue par les conventions internationales.

« C’est quelque chose qui recouvre une réalité, mais qui n’a pas accédé à une reconnaissance juridique de la part des États », précise Me Rivière, en suggérant plutôt le terme « déplacé environnemental », plus juste à défaut d’avoir valeur légale.

Par Mustapha Bouhaddar, pour Maghreb Canada Express, Vol. XIX, N°08 , pages 12-13 , Août 2021

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