Ledit ouvrage est à la fois un court traité méthodologique, et une enquête sur les pratiques d’évaluation.
Il traite essentiellement de l’évaluation ex-post, fondée sur l’observation des effets réels d’une action précédemment décidée et de mise en œuvre, même si l’évaluation est également pratiquée ex-ante ou ‘‘chemin faisant’’ pour préparer une nouvelle mesure ou piloter une action. Diverse par ses objectifs, finalités et contextes, l’évaluation l’est aussi par les conceptions de la gestion publique et des sciences sociales qui la sous-tendent. Activité hybride, à la fois discipline, profession et pratique institutionnalisée, elle est encore en devenir vaste champ d’expérimentations et de controverses.
DÉFINITION OFFICIELLE
‘‘L’évaluation des politiques publiques a pour objet d’apprécier l’efficacité de cette politique en comparant ses résultats aux objectifs assignés et aux moyens mis en œuvre’’.
Derrière la clarté de cette définition, on devine la difficulté de l’exercice. L’exigence d’évaluer, se heurte aux objectifs flous et contradictoires de l’action .
« Évaluer » c’est, pour aller vite, élaborer un « référentiel » (ensemble de critères opératoires et politiquement légitimes de l’efficacité et la réussite d’une politique), formuler les questions des recherches adossées à ce référentiel et pertinents du point de vue de l’action et de la décision et, enfin, y remédier au mieux en puisant de manière pragmatique dans les boites à outil des sciences sociales et du management.
La politique de l’évaluation inclut des activités techniques et d’observation, de mesure et d’analyse, mais elle ne s’y réduit pas. Ce n’est pas une discipline scientifique au sens habituel du terme mais une « activité institutionnelle qui a vocation à s’intégrer à la gestion publique et au fonctionnement du système politique ».
D’avantage qu’un outil de connaissance, c’est une démarche guidée par un certain nombre d’exigence et de valeurs à rigueur, impartialité, transparence, souci de tenir compte de la pluralité des points de vue, volonté de faire prévaloir l’intérêt général.
PRINCIPES METHODOLOGIQUES
L’évaluation s’applique à des politiques, programmes et projets à des niveaux géographiques différents (local, régional, national) et dans des domaines variés de l’action publique (santé, éducation, environnement, sécurités, interventions économiques…. Elle peut avoir différentes finalités explicites ou implicites : aide à la décision, rendre compte, management, médiation, apprentissage…. Il en résulte une grande diversité de méthodes, de principes de conduite selon les structures.
L’évaluation est une démarche à caractère institutionnel et à visée opérationnelle avant d’être une technique.
On utilise parfois l’expression de ‘‘recherche évaluative’’ pour désigner des techniques et méthodes des sciences sociales appliquées.
Les principes méthodologiques et déontologiques applicables à la conception, l’organisation, la conduite et la valorisation de l’évaluation. C’est la ‘‘méthode processus’’. Aussi, les techniques de collecte, de traitement et d’interprétation d’information ainsi que les corpus scientifiques susceptibles doivent être mobilisés ; c’est la ‘‘méthode outils’’.
La prise en compte des finalités de l’évaluation, doit influer davantage sur le choix et la formulation des questions à examiner que sur la teneur des réponses qui leurs sont apportées.
Évaluer une politique, c’est d’abord la questionner
Une action publique ne peut être valablement évaluée que sur l’initiative d’une autorité légitime, d’une démarche institutionnelle, d’une obligation réglementaire,d’une décision ou mandat d’une institution de contrôle (Cour des comptes, Parlement…)
Porter un jugement suppose le choix d’un ‘‘angle de vue’’….
Le questionnement évaluatif n’est pas motivé par la seule curiosité scientifique : il est sous-tendu par des préoccupations d’ordre normatif (porter un jugement sur la politique) et opérationnel (contribuer pratiquement à ce que l’action publique réponde plus efficacement aux besoins de la société.
Pour caractériser l’orientation du questionnement, on distingue habituellement différents ‘‘angles de vue’’, qui correspondent aux principales qualités de pertinence, cohérence, efficacité, impact systémique (effets), et d’un référentiel.
En résumé, un lecteur potentiel d’un rapport d’évaluation doit pouvoir comprendre : l’objectif de l’évaluation, la délimitation exacte de l’objet, comment l’évaluation a été planifiée et conduite, quels faits ont été établis, quelles conclusions ont été tirées, et quelles recommandations ont été tirées ?
L’ÉVALUATION COMME CONNAISSANCE
L’essentiel du travail concret des évaluateurs consiste à rassembler, traiter et interpréter des informations en se soumettant aux exigences de la rigueur scientifique.
Les arguments qui constituent la trame d’un rapport d’évaluation sont de différents types : données de cadrage et indicateurs, constats et descriptions, opinions, raisonnements, arguments théoriques et démonstrations, des chiffres et des lettres.
Tous les savoirs sectoriels, toute la panoplie des techniques de mesure, d’analyse et d’interprétation des faits sociaux sont à la disposition des évaluateurs : données existantes, enquêtes, questionnaires, entretiens, techniques de présentation des données, techniques de jugement, corrélation et causalité, l’analyse des coûts-avantages-efficacité…..
L’ETAT DES PRATIQUES AU NIVEAU MONDIAL
Aux États-Unis, les premières évaluations scientifiques de programmes publics datent du début du siècle. L’avance américaine demeure incontestable, elle se manifeste à l’observateur par la vitalité du milieu professionnel, par le nombre et la qualité des publications spécialisées et par l’ampleur des débats autour de l’évaluation.
Plusieurs facteurs propres aux États-Unis expliquent le dynamisme de l’évaluation et son développement précoce.
En France plus qu’ailleurs, le développement des pratiques est indissociable de ‘ ’la politique de l’évaluation’’. Celle-ci s’est traduite depuis les années 1970 par une succession d’initiatives institutionnelles aux fortunes diverses.
La rationalisation des choix budgétaires (RCB) visait à développer la planification budgétaire (les budgets de programmes) et l’évaluation ex-post, elle a été officiellement abandonnée en 1984 en tant que procédure formalisée.
A partir du milieu des années quatre-vingt, la réflexion administrative s’oriente vers l’évaluation ex-post. L’objectif est de à la fois de faire de l’évaluation un élément central de la prise de décision gouvernementale et du débat démocratique et de faire progresser les méthodes et de la déontologie de l’évaluation.
L’ÉVALUATION, CLÉ D’UNE NOUVELLE GOUVERNANCE
L’évaluation s’impose comme l’une des seules réponses possibles à un ensemble de défis qui appellent de nouvelles formes de légitimation de décisions et de mobilisations des énergies. Il est commode de relier ces défis à la notion de ‘‘gouvernance’, qu’on peut définir schématiquement comme la capacité d’une société à se gouverner au moyen d’institutions, de systèmes de représentation, de processus de négociation, de décision et de contrôle.
Répondre à la demande sociale est d’autant plus difficile que celle-ci tend à se morceler. Circonstance aggravante, la segmentation fonctionnelle des administrations publiques complique le traitement des problèmes qui, le plus souvent, ont un caractère universel.
Crise des idéologies, de l’autorité et du management public
Premièrement, on fait plus confiance à priori sur la base des valeurs affichées,
Deuxièmement, les acteurs sociaux supportent de moins en moins bien le pilotage centralisé et autoritaire des politiques publiques qui les concernent. Ainsi, les gouvernements doivent faire plus avec moins, pour un public plus sceptique et moins déférent.
Passer du ‘‘faire’’ au ‘‘faire faire’’ n’est pas facile et des usages pas toujours vertueux
L’État abandonne progressivement son rôle de producteur direct des biens et services. Un nombre croissant des d’activités d’intérêt public sont privatisées et placées sous le contrôle d’autorités publiques de régulation distinctes de l’administration. Cette externalisation prend parfois la forme d’une ‘‘agencisation’’, qui consiste à sous-traiter la mise en œuvre des politiques publiques à des agences autonomes liées à l’État par des contrats d’objectifs.
En pratique, les évaluations produisent des effets à des différents niveaux et répondent simultanément à plusieurs finalités : aide à la décision budgétaire, contribution à l’enrichissement du débat public, compte rendu, aide au pilotage, médiation, apprentissage, mobilisation, etc..Sans oublier l’apport purement cognitif de la recherche évaluative.
Une telle ambition se heurte à tous les problèmes techniques de l’évaluation car, l’évaluation doit être considérée comme un programme particulier d’action publique. A chacun de ses niveaux, s’observent des formes de dispersion spécifiques, ambigüité des objectifs du projet, attentes éclatées, hétérogénéité des matériaux et des pratiques, multitude des produits.
Au jeu de l’évaluation et de la gouvernance, tous les acteurs n’ont pas le même poids. Certains ont le pouvoir de décider des politiques et des règles de jeu de l’évaluation. D’autres n’ont pas ce pouvoir. Il faut certainement un peu de crédulité pour accepter l’hypothèse et entrer dans la croyance que l’évaluation est un moment hors du jeu habituel.
CONCLUSION
Au terme de cette lecture, l’évaluation pâtit d’une ‘‘identité multiple et contestée’’. Elle n’a pas encore trouvée une place stable dans le paysage scientifique et administratif. Loin d’être purement spéculative, cette question conditionne les stratégies de consolidation et d’institutionnalisation des activités d’évaluation.
Le caractère hybride de l’évaluation, explique la difficulté de donner à l’évaluation une place stable et reconnue dans le champ des pratiques scientifiques et administratives, mais cette complexité fait aussi son intérêt.
Les débats autour de l’évaluation des politiques publiques touchent à des questions aussi diverses que le statut de la connaissance sociale, l’avenir de la démocratie et la modernisation de l’État. Ils ont de quoi satisfaire aussi bien un intérêt intellectuel pour la méthodologie et l’épistémologie des sciences sociales qu’une aspiration citoyenne à ouvrer pour un gouvernement plus efficace, plus responsable et plus transparent. C’est ce qui explique qu’un nombre croissant de chercheurs, d’experts et de fonctionnaires s’y engagent avec passion.
Par Abdel-Jalil Zaidane, Expert financier ; Tanger (Maroc) pour Maghreb Canada Express, Vol. XIX, N°08 , pages 14-15 , Août 2021