Déjà le 25/02/2021, la journaliste Sasha Verlei écrivait sur le site de « alter midi », je cite : « Le nationalisme progresse dangereusement dans le monde et la France n’est pas épargnée. À 14 mois des présidentielles, la gauche démembrée ne propose pas d’alternative : aucune nouvelle liste prometteuse n’émerge et un nouveau face à face Le Pen-Macron s’annonce. Le gouvernement adopte une stratégie risquée : le rapprochement vers l’extrême droite tout en voulant rassurer et s’allier la droite traditionnelle qui valide une politique ultralibérale. »
En vue de 2022, face à l’ascension explosive de l’extrême droite depuis quatre ans, le gouvernement a choisi d’aller chasser sur leur terrain pour répondre à la colère des électeurs du Rassemblement national et les convaincre de rejoindre son camp. Tout en se démarquant parallèlement de l’ultra-droite via l’interdiction de mouvements identitaires racistes et violents, il rassure ainsi la droite traditionnelle. Celle-ci s’avère plutôt satisfaite de la politique ultra-libérale de l’exécutif et pourrait s’avérer un précieux allié au deuxième tour.
En effet, comme on peut le voir en France, tous les jours dans la rue ou ailleurs, la colère sociale est grande et la répression s’abat sur les contestataires. La méfiance envers les élites jugées hors réalité et la frustration grandissante alimentent la radicalisation et le populisme de droite.
L’inquiétude est grande, d’autant qu’il n’est pas certain que l’atout « barrage » puisse une nouvelle fois empêcher le passage du RN. Le bilan social de ce premier mandat, le virage très à droite de l’exécutif et les engagements non tenus pourraient avoir refroidi une partie des électeurs de gauche qui s’étaient mobilisés en 2017.
Mais la stratégie gouvernementale, en dédiabolisant les idées du RN ne risque-t-elle pas de renforcer le vote RN et de faire élire Marine Le Pen ?
La banalisation du mal
Comme l’écrivait Hannah Arendt, la banalité du mal n’est pas de l’ordre de la théorie ou du concept, mais du fait. Elle la propose comme une constatation. Il ne s’agit pas d’un phénomène ordinaire ; pour autant, il s’observe dans le comportement de gens ordinaires.
En focalisant sur des thèmes chers à l’extrême droite, tels que l’immigration, le séparatisme, l’islam, la sécurité (notamment avec les lois contre le séparatisme et la sécurité globale), Gérald Darmanin, tout en affirmant avoir des positions communes avec le RN, contribue à banaliser les idées racistes et xénophobes du parti nationaliste. Ces dernières s’implantent dans les médias grâce aux chroniqueurs de l’extrême-droite ancrés dans les chaînes d’infos en continu, comme l’explique le sociologue Ugo Palheta dans son livre La possibilité du fascisme.
Le Rassemblement national, seule alternative qui n’ait pas été encore tentée, arrive à convaincre que « l’ennemi est à l’intérieur et détourne la colère sociale » sur l’étranger, l’immigré, le musulman.
Il est malheureusement tout à fait plausible que le parti de Marine Le Pen qui construit également une façade républicaine trompeuse, figure au deuxième tour face à Emmanuel Macron et qu’elle soit élue présidente de la République.
Des ambitions politiques qui priment sur le bien commun
Les chiffres des expulsions des ressortissants algériens, marocains et tunisiens n’ont jamais été aussi mauvais. Selon le tableau de bord interne de l’exécutif qu’a pu consulter Europe 1 sur les expulsions et la délivrance de visas, la France a durci le ton envers ces pays en réduisant drastiquement le nombre de visas délivrés.
La France durcit le ton envers l’Algérie, le Maroc et la Tunisie. Selon une information Europe 1, elle a fortement réduit le nombre de visas accordés à ces pays qui refusent de reprendre leurs ressortissants en situation irrégulière.
Dans le cas de l’Algérie, entre janvier et juillet 2021, la justice française a en effet ordonné 7731 obligations de quitter le territoire français et seulement 22 sont repartis chez eux, soit à peine plus de 0.2%. Et ce constat s’explique notamment par le fait que l’Algérie refuse de délivrer des laissez-passer consulaires, un document sans quoi une expulsion ne peut pas être exécutée. Cette année sur les 8000 demandes faites par Paris seule une vingtaine a été obtenue. Un chiffre qui a fait bondir Emmanuel Macron à plusieurs conseils de défense cet été.
Après avoir tenté plusieurs approches, le dialogue, le conditionnement des aides au développement, et enfin les menaces, l’exécutif est finalement passé aux sanctions. Une décision prise secrètement il y a tout juste un mois, à bas bruit. Le chef de l’Etat a décidé de diviser par deux le nombre de visas délivrés pour l’Algérie et le Maroc, et de 30% pour la Tunisie, en prenant 2020 comme année de référence. Car ces trois pays ne jouent pas le jeu et refusent en réalité ce qu’ils considèrent être un chantage de Paris.
Sur les 6 premiers mois de l’année 2020, environ 63.000 visas ont été délivrés, pour 96.000 demandes, soit un taux de délivrance de 65%. Un chiffre qui a empiré sur les 6 premiers mois de l’année 2021 pendant lesquels plus de deux demandes de visas sur trois émanant de l’Algérie ont été satisfaites par la France. Emmanuel Macron a donc demandé aux services consulaires du Quai d’Orsay de délivrer pour les 6 prochains mois, 31.500 visas maximum, soit une division par deux. L’année 2019 avait d’ailleurs atteint des records avec 275. 000 visas accordés à l’Algérie.
La France a donc choisi d’appliquer une mesure de rétorsion rendue possible par le code communautaire de Schengen. Alors que l’immigration occupe le devant de la scène politique, le chef de l’Etat le sait, il n’a plus beaucoup de temps avant la présidentielle. Et s’il veut corriger son bilan migratoire, il n’a pas d’autres choix que de prendre des décisions radicales.
En tout cas, à quelques mois des présidentielles, aucune alternative n’émerge et la probabilité d’un deuxième tour Le Pen-Macron est plausible. Quelle liste, verte ou gauche, pourrait, en se présentant seule, avoir des chances d’être élue ?
Seule une alliance calculée, un large front commun qui s’entendrait et proposerait une riposte politique à la hauteur de l’urgence et des enjeux pourraient éviter que notre pays soit en 2022 présidé par Marine Le Pen, ou que la France reparte pour cinq ans de politique ultra-libérale. Il n’est pas certain que les électeurs échaudés fassent cette fois barrage en nombre suffisant.
Malheureusement, l’expérience précédente ne semble pas jusque-là avoir servi à l’opposition : chacun continue de prêcher pour sa chapelle et les divisions font éclater la moindre velléité de changement. Les ambitions politiques et de pouvoir priment sur le bien commun alors que l’heure devrait, indéniablement, être à l’union, vu la gravité de la situation.
Le Canada qui s’y met aussi
La fusillade du 29 janvier 2017 au Centre culturel islamique de Québec, qui a entraîné la mort de six musulmans, est aussi factuelle que l’attentat terroriste du 6 juin 2021, contre quatre membres d’une même famille musulmane, à London en Ontario, qui furent tués après avoir été percutés par un véhicule automobile ! On ne peut plus nier la montée d’un climat islamophobe au Canada.
Même si on ne peut établir de lien direct entre ces attentats et la « critique de l’islam » qui occupe une grande place dans le débat public, les musulmans constituent aujourd’hui une des minorités les plus stigmatisées, que ce soit au Québec ou dans l’ensemble du Canada.
Les sentiments de méfiance et d’hostilité envers les musulmans ont été exacerbés depuis le projet de charte des valeurs québécoises mis de l’avant par le gouvernement péquiste de Pauline Marois. Les débats autour de ce projet ont engendré une multiplication des propos ouvertement xénophobes, que ce soit dans les commentaires du public circulant dans les médias ou sur des sites Internet spécialisés dans la « vigilance » face à l’islam.
N’en déplaise à Zemmour et compagnie, l’islamophobie est un racisme qui se manifeste par une haine, des préjugés et une discrimination délibérée à l’endroit de l’islam, des membres de la communauté musulmane, pratiquants ou non, ou des objets et lieux de culte islamique.
C’est pourquoi on a du mal à comprendre la décision du Canada de suspendre les vols du et vers le Maroc et punir ses propres citoyens en les empêchant de rentrer au Canada.
Officiellement, cette décision est justifiée par la situation épidémiologique risquée au Maroc. Comme on peut le lire dans le quotidien « L’Opinion » du 25/09/2021, sous la plume de Achraf El Ouad : « C’est une décision aussi absurde qu’arbitraire, et ce tenant compte de la considérable amélioration de la crise épidémiologique au Royaume, notamment avec la régression des nombres de cas positifs et de décès liés au Covid-19.
Après s’être directement adressé à l’ambassadeur du Canada au Maroc, le journaliste et écrivain canadien d’origine marocaine, Mohamed Lotfi, fait monter d’un cran le ton de son discours fustigeant la dernière décision du gouvernement Trudeau. « Avec le prolongement de la suspension des vols, on a l’impression d’être sous la commande d’une machine qui n’obéit à aucun contrôle humain, aucun bon sens. Il n’existe aucun fondement scientifique derrière cette décision. Aucun ! », lit-on sur le compte Facebook de Lotfi. Pour lui, et afin de lutter contre les faux tests, l’ambassade canadienne à Rabat aurait pu désigner quelques laboratoires marocains de confiance pour s’assurer de la fiabilité des tests PCR. « Cette option de bon sens n’a jamais été considérée, alors que la même ambassade l’applique depuis toujours avec des médecins marocains pour l’obtention des visas d’immigration ».
« A la fin de sa publication, Mohamed Lotfi met l’accent sur le sentiment de non-appartenance qui s’insinue petit à petit dans le cœur de ces citoyens canadiens, « j’en connais quelques-uns qui n’ont même plus envie de retourner au Canada, tellement ils se sentent insultés et abandonnés ».
Par Mustapha Bouhaddar pour Maghreb Canada Express, Vol. XIX, N°10 , pages 4-5, Octobre 2021