Part Abdel-JalilZaidane,Tanger (Maroc)
 

Au Maroc, la corruption est critiquée aussi fermement et de façon aussi indignée; les gouvernants politiques et les gestionnaires luttent en se posant en fermes défenseurs du principe d’intégrité et en opposants de ce mal.

Tant au niveau national qu’international, les ateliers et les cours simulés à l’éthique et au professionnalisme surabondent. Les recherches consacrées à l’intégrité publique et les codes de conduite prennent de l’ampleur.

La pandémie de la corruption et la crédibilité des États

Extrêmement omniprésente, la corruption revêt de nombreuses formes. Pour n’en citer que quelques-unes : abus de pouvoir aux fins de profit personnel ; subornation, vol, détournement de fonds ; fraude et acceptations de dessous-de-table ; activités d’acquisition de rentes ; fraude fiscale ; extorsion et intention de resquiller ; sollicitation de faveurs; pratique de la discrimination, du « clientélisme », du patronage et du copinage ; omission de dire la vérité ; distorsion de la réalité ou falsification des preuves de façon malhonnête dans le but de s’insinuer dans les bonnes grâces des riches et des puissants…

On aperçoit des cas de corruption dans toute une série de pays, quel que soit leur niveau de développement. La corruption touche malheureusement tous les secteurs professionnels et certaines activités traditionnelles de l’honnêteté et de la moralité dont entre autres les universités, les institutions religieuses, les organisations internationales et les assemblées législatives qui ne sont épargnées.

Le fossé enfoncé et profond entre la théorie et la pratique, la discordance, en réalité, entre le discours officiel et la réalité certaine ont avant tout contribué à l’amoralité du grand public et à la décadence de sa confiance. Bien plus que des erreurs de jugement, ces signes d’incohérence ont affaibli la crédibilité des institutions publiques et terni l’image de l’État.

Stratégies de lutte contre la corruption

Les stratégies de lutte contre la corruption sont venues s’ajouter aux domaines de l’indulgence des conseillers en gestion des gouvernements soucieux de prouver, sur les plans intérieur et international, qu’ils font de leur mieux pour lutter contre cette pandémie.

Avec quel niveau d’efficacité ? Difficile à dire. Pour ne citer que les dernières affaires des pots de vin (notamment pour ce qui nous concerne les extorsions et corruptions dans le cadre des passations de marchés à des sociétés prestataires…). Ce mal coûtait au Royaume du Maroc plus de 2% de son PIB ; c’est ainsi, le pays avait adopté en 2015 la stratégie nationale de lutte contre la corruption et s’est donné le défi de mettre en application dans un délai de dix ans.

 A terme,  la stratégie en question prévoit, en impliquant les secteurs public et privé ainsi que la société civile, d’aboutir à une société fondée sur l’intégrité et l’éthique, une administration publique efficiente,  honnête, inclusive et exempte de corruption qui garantit l’équité et la justice sociale et une confiance du citoyen envers l’administration publique. Objectifs qui se sont accompagnés par la mise en œuvre des textes relatifs aux conflits d’intérêts, au droit d’accès à l’information (la loi n° 31-13 du 12 mars 2018), ainsi que la loi portant charte des services publics  n° 54-19 du 14 juillet 2021, en vue de pousser l’ensemble des services administratifs à se conformer aux exigences imposées par la Charte.

On souligne l’amélioration des conditions d’accueil et l’obtention de meilleures prestations fournies, à travers la simplification et la dématérialisation des procédures administratives et le suivi des réclamations des usagers ainsi que le recours aux voies consensuelles dans la résolution des différends avec ces derniers.

Il s’agit aussi, d’assurer la pleine activation des règles de conduite que les ressources humaines doivent observer, mais aussi élaborer et adopter des programmes de renforcement des valeurs de probité, de prévention et de lutte contre toutes les formes de corruption.

En attendant, la corruption pousse !

Le phénomène, qui n’est vraiment pas nouveau, a gagné en renom au cours des dernières années en raison, surtout, de son ampleur, de sa propagation et de la multitude des formes qu’elle prend dans les différentes cultures.

Internationalement reconnu comme un spécialiste de la question, le professeur Robert Klitgaard la définit comme « l’utilisation malveillante d’une position à des fins non officielles »et explique qu’elle se développe « dans des conditions de monopolisation du pouvoir, de manque de transparence et d’imputabilité » (voir “Combating Corruption and Promoting Ethics in the Public Service”).

Cependant, les récentes tentatives de diffusion du pouvoir et de suppression des monopoles d’État, ou l’injection des approches issues du secteur privé dans la prestation de service public, n’ont pas vraiment abouti. Au contraire, puisqu’elles ont sans doute aggravé le problème dans certains pays.

« L’indice de perception de la corruption’’ (IPC) de cette année montre que la corruption est plus répandue dans les pays où les gros capitaux peuvent circuler librement lors des campagnes électorales et où les gouvernements n’écoutent que la voix des personnes riches ou ayant des relations », explique Transparency International.

L’exemple de l’Afrique du Nord et de l’Amérique du Nord

Le Maroc a perdu sept places dans l’indice Transparency. Après une légère amélioration dans le classement couvrant l’année 2018,  il a reculé à nouveau. En 2020, le Royaume occupe la 86ème position sur les 180 pays étudiés avec un score de 41/100. Il est classé en milieu de tableau dans la région Moyen-Orient/Afrique du Nord (MENA), où la moyenne est de 40/100.

« Le Maroc et la Tunisie continuent de présenter des tableaux mitigés avec des efforts de réforme substantiels, mais aussi des défis considérables« , note Transparency. En Afrique du Nord, la Tunisie (69e) affiche toutefois le niveau de corruption le moins élevé suivi du Maroc. L’Algérie et l’Égypte sont à niveau beaucoup plus élevé (104e et 117e).

Le Canada reste  le pays le moins corrompu des Amériques, néanmoins il n’en devient pas moins une destination privilégiée du blanchiment d’argent. Ainsi, il rétrograde désormais du 9ème au 12ème rang de son palmarès de 2019 des pays les moins corrompus en Amériques et aurait perdu sept places depuis 2012.

Avec un IPC de 77 sur une échelle de 0 (très corrompu) à 100 (très propre), le Canada demeure le pays le mieux classé des Amériques devant l’Uruguay (21e rang, IPC de 71), les États-Unis (23e rang, IPC de 69) et le Chili (26e rang, IPC de 67).

Les pays les moins et les plus corrompus au Monde

En tête se retrouve la Nouvelle-Zélande et le Danemark, ex aequo avec 87 points, talonnés de près par la Finlande à 1 point d’écart.

Avec seulement 9 points sur 100, la Somalie ferme la marche des mal classés derrière le Yémen, la Syrie et le Sud-Soudan.  

Du gouvernement à la bonne gouvernance

Les notions « État » et « public » ne méritant manifestement plus grand-chose, ce n’est sans doute pas une coïncidence s’ils sont tous deux manquants du débat perpétuel sur la « modernisation » et la réforme du secteur public. Mais un changement de concept constitue-t-il la bonne solution pour le mal qui nous préoccupe ? La littérature est féconde en termes nouveaux et séduisants pour « commercialiser » les idées. Le terme « gouvernance », probablement en haut de la liste, domine le discours depuis plus de 30 ans. L’expression « du gouvernement à la gouvernance » est devenue la nouvelle médication. Elle indique des systèmes essentiellement décentralisés, basés sur la coopération, dans lesquels le service public et l’entreprise privée, de même que la société civile, participent au partage des pouvoirs. Si l’on tient compte de sa nouveauté, la fréquence et l’omniprésence de ce nouveau terme sont véritablement étonnantes.

Cela a commencé au début des années mille neuf cent quatre-vingt, l’État étant discrédité et considéré comme la « source de nos problèmes, pas leur solution », la gouvernance a été « réinventée » et largement mise en pratique. Contrairement à l’ « État tentaculaire », un terme extrêmement péjoratif, cette expression à la fois ancienne et nouvelle, qui remonte au XVIIe siècle, a été savamment interprété pour envoyer un message positif. La Banque mondiale, qui l’a pour la première fois utilisée en 1989, a préparé un livre sur ce sujet en 1992, dans lequel une définition de la « gouvernance » est proposée. Selon cette étude, le terme désignait la « manière dont le pouvoir est exercé dans la gestion des ressources économiques et sociales d’un pays en vue de son développement ».

On y ajoute que la bonne gouvernance est symbolisée par une élaboration des politiques prévisible et éclairée (à savoir des processus transparents), une bureaucratie empreinte d’une éthique professionnelle, un organe exécutif de l’État responsable de ses actions et une société civile dynamique qui participe aux affaires publiques et où tous se comportent dans le respect du droit.

En conclusion…

La constance d’une culture de la bonne gestion n’est cependant pas moins importante. Celle-ci doit non seulement établir les paramètres, mais aussi inciter les fonctionnaires à servir l’intérêt public. Même si, pour expliciter la question en des termes apparents, les « stratégies de lutte contre la corruption » et les autres punitions exogènes peuvent aider les fonctionnaires à suivre un chemin droit, ce sont les valeurs intégrées comme elles se doivent et mises en place de façon logique, qui, à terme, détermineront la personnalité des professionnels du service public et guideront leur façon d’agir. L’interdépendance rigoureuse entre les structures institutionnelles et la culture incarne ce qui différentie les institutions bien gouvernées des institutions corrompues.

Par Abdel-JalilZaidane,Tanger (Maroc), pour Maghreb Canada Express, Vol. XIX, N°12 , pages 12-13, Décembre 2021

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