La première fois que je mis les pieds au Canada, fut en 1986 pour une formation de 5 semaines en milieu de travail. Ce fut exactement 9 ans après avoir quitté la France, pour retourner au Maroc au terme de mes études et après avoir exprimé le vœu de ne plus jamais quitter le Maroc une fois dedans.
J’aurais pu rester en France… Comme bon nombre de mes concitoyens. Mais les blessures héritées du colonialisme n’en finissaient pas de guérir et le commun des français peinait à admettre que dorénavant il a à traiter « l’Arabe » d’hier soumis , bafoué ridiculisé et diminué comme un citoyen libre capable de réussir et de percer là où il n’était permis qu’à l’européen de réussir.
Bref… Traiter le colonisé d’hier comme un être humain d’aujourd’hui.
Un de mes condisciples algériens à l’École Nationale des Sciences géographiques (Saint-Mandé, banlieue de Paris) est allé, une fois, rendre visite à l’un de ses cousins (en 1976). Chemin faisant, il demanda à un français de souche où se trouvait le foyer des travailleurs immigrés SONATRACH. Le français lui répondit en crachant son mépris : « Tu n’as qu’à suivre les crachats sur le trottoir ; bougnoule !». C’est juste pour dire à tel point l’Arabe était écrasé par le derniers des français (alors que la plupart parmi ces ‘’arabes’’ s’identifiaient comme amazighs… Mais autant en emporte le mépris) .
Certains supportaient l’humiliation car ils avaient des familles à nourrir… Misère oblige; car ils avaient sur les épaules la misère du pays d’origine (dont le colonisateur français y est pour beaucoup, et ce, en pillant le pays avant et après l’avoir quitté)…
Certains supportaient la morgue des français . Ce ne fut pas mon cas
Mais revenons à ce court séjour de 5 semaines au Canada (entre mai et juin 1986). J’ai découvert un pays non musulman tout autre! : divers, ouvert et , disons-le sans aller plus loin : Humain. Et quand (suite à certaines contraintes) je fus à la recherche d’un havre de paix pour élever mes enfants loin des turbulences politiques et sociales dans et autour du pays d’origine, je n’ai eu aucune difficulté à jeter mon dévolu sur le Canada. J’y arrive avec la marmaille en septembre 1991. Mes enfants ont eu tout le temps de bien se remplir les poumons de cette bouffée d’oxygène avant que le destin ne mit sur notre chemin le 11 septembre 2001.
Nous n’y sommes absolument pour rien: Ni nous, ni l’extrême majorité de ces musulmans et musulmanes qui ont fui les anciens continents pour mettre leur progéniture à l’abri de la furie furieuse des extrémismes de tous bords et en vue de lui garantir des lendemains meilleurs . Mais la haine européenne de l’Arabe anciennement colonisé, presque réduit à l’esclavage, a traversé l’Océan atlantique !
Il faut réagir bien-sûr! Il faut refuser la ghettoïsation et aller vers son prochain afin de l’empêcher de voir ce que nous sommes à travers le prisme déformant de ceux et celles qui nous avaient asservi et qui n’arrivent pas à concevoir que les esclaves d’hier que nous étions brisent leurs chaînes aujourd’hui et aspirent à devenir des citoyens à part entière… même ailleurs (au Canada); loin de l’Europe… loin des anciennes colonies !
Nous ne sommes pas des terroristes . Il faut que nos concitoyens canadiens le sachent !
L’islam n’est pas une race mais une religion ! Tant d’évidences pour nous sont des trous noirs d’incompréhension pour ceux et celles qui habitent en face de chez nous, qui nous croisent dans la rue , qui travaillent avec nous mais qui ne nous connaissent qu’à travers ce prisme déformant de certains médias malveillants ou tout simplement mal renseignés.
Aussi, nous sommes-nous dits en juin-juillet 2003 en lançant ‘’Maghreb Canada Express’’ (MCE) : il faut briser les frontières du ghetto et aller vers nos autres concitoyens afin qu’ils se rendent compte à tel point nous sommes Humains… Aussi humains qu’eux-mêmes !.
Nos concitoyens canadiens doivent entendre à travers notre tribune MCE que nous ne sommes pas en terre d’accueil pour conduire notre destinée, et celles de nos enfants, les yeux rivés sur le rétroviseur de notre vie antérieure. Cela ne rend service ni à notre pays d’origine ni à celui d’accueil. Nous sommes là pour nous imprégner de ce qui est bien et pour transmettre de notre passé et de notre culture ce qui est le mieux pour notre pays d’accueil, et ce, dans un esprit d’intégration bidirectionnelle. Car nous sommes conscients que le produit d’un mélange culturel (comme le mélange de deux liquides) est un nouveau produit qui, grâce à la tolérance de tout chacun sera un produit meilleur.
Que notre pays d’accueil ne soit pas instrumentalisé, manipulé et transformé en instrument de vengeance de la lie d’un colonialisme révolu contre une communauté qui n’aspire qu’à un vivre-ensemble qui fera grandir le Canada encore beaucoup plus qu’il ne l’est déjà !
De son côté, et comme gage de bonne foi (et de bonne volonté), MCE a fait le choix de sa langue d’édition parmi les deux langues officielles du Canada (au lieu de l’arabe, langue maternelle de son fondateur) . Et ce fut le plus naturellement du Monde que le Français fut choisi; résidence au Québec et ‘’tare’’ coloniale française obligent .
Et c’est ainsi qu’au fil des années notre lectorat non arabophone a explosé. Tant mieux ! Car c’est là notre objectif d’autant plus que nul n’est prophète dans son pays (d’origine) d’abord et car il ne sert à rien d’essayer de reconvertir un converti aux valeurs qu’on aspire de partager avec nos concitoyens du pays d’accueil.
La peur de l’inconnu rend agressif
L’une des grandes causes du rejet de l’autre serait la peur de l’inconnu… Ceci serait encore plus vrai quand des sources, que nous prenons comme sures et dignes de foi, nous parlent de l’inconnu à travers ce fameux prisme déformant dont on avait déjà parlé plus haut.. Ce serait le cas de certains médias français qui ‘’expliquent’’ l’extrémisme musulman en Europe en occultant le passé colonial de cette Europe avec les pays musulmans. Or les heurts s’expliqueraient beaucoup plus par les rancunes héritées des dérapages violents du colonialisme contre les populations colonisées (majoritairement musulmanes) que par leur religion; l’Islam . Mais, se diraient-ils, si on peut avoir un ‘’deux pour un’’ pourquoi pas ? Détruire les ennemis d’hier ainsi que leur religion de toujours… Bref !
Le Canada « Feuille Érable » n’a jamais colonisé personne
L’engouement pour le Canada de la part de communautés comme la nôtre (maghrébine et musulmane) fatiguées de ce qui se passe ailleurs s’expliquerait par le fait que ce pays n’a aucun passé colonial. D’où le choix, de notre part, de ce pays en vue d’enterrer des peurs et d’élever nos enfants, parmi les générations futures du Canada, dans un havre de paix où tous les espoirs sont permis… Loin des prismes déformants (répétons-le) de la Haine et de l’exclusion de son prochain.
Le vivre-ensemble, notre bouée de sauvetage
D’où l’un des objectifs de MCE : Celui de promouvoir ce vivre-ensemble. Or le vivre-ensemble n’est pas une gymnastique socioculturelle, un art de vivre en tournant le dos à l’autre, en concevant sa vie comme si l’autre n’existe pas… Le vivre-ensemble ne serait pas non plus de se regarder en chiens de faïence, mais ce serait de saisir chaque occasion pour aller vers l’autre. Et des gestes comme l’opération « Apportez votre soupe » durant le mois du ramadan ne sont pas des moindres.
La tâche n’est pas aisée car les ennemis du vivre-ensemble ne chôment pas non plus . Et le moindre faux pas, la moindre petite différence culturelle négative est amplifiée aux maximum pas les objecteurs de la peur et de la haine.
Et c’est pour briser toute cette peur que plus de 300 auteurs et chroniqueurs se sont succédés, bénévolement sans autre récompense que celle du sentiment du devoir accompli, pour publier sur les colonnes de MCE plus de 2000 articles, tout aux long de ces 20 ans d’existence du journal , dont plus de 47% sont directement consacrés à l’immigration, l’intégration et au vivre-ensemble, 36% touchent des sujets liés indirectement aux nouveaux arrivants (économie, culture, activités des associations telles que l’Association musulmane de Montréal-Nord, l’Association de solidarité Canada Maroc, l’association Cap-Sud, l’association Passerelle, etc… etc. Ceci sans oublier que 17% des publication furent consacrées seulement et spécifiquement au Maroc.
Des auteurs et chroniqueurs bénévoles ont enrichi MCE de dizaines, voire de centaines d’article (Voire Tableau ci-dessous) . D’autres n’ont publié qu’un seul article. Mais, comme les petites goutes de pluie qui finissent par créer les fleuves, ce sont ces petits articles qui finissent par écrire les grandes pages de l’Histoire d’une Nation; notre Canada.
Depuis le premier juillet 2003, 315 auteurs et chroniqueurs de tous les niveaux académiques et de toutes les origines ethniques ont publié sur nos colonnes pas moins de 2043 Articles rien que pour promouvoir le vivre-ensemble !
Tant d’efforts désintéressés, juste pour répondre à l’appel du journal ; celui d’ériger des ponts de compréhension et semer l’entente « D’un Continent à l’autre » , une devise qui illustre une des pages de MCE depuis vingt ans et qui attache tous ceux et celles qui ont donné de leur temps et qui ont partagé leurs idées, leurs craintes, leurs amours et leur espoirs avec le reste de leurs concitoyens canadiens; Ceux-là , leur nom et leur(s) contribution(s) fait (font) dorénavant partie du Patrimoine Canadien pour toujours … Et ce, aussi longtemps que l’institution ‘’Bibliothèque et Archives Canada (BAC)’’ où sont déposés toutes les publications de MCE, existera; Cette institution que la mission officielle est d’aider les Canadiens à mieux comprendre leurs racines, agit comme mémoire permanente du gouvernement fédéral et de ses institutions ainsi que comme gardien du passé lointain et de l’histoire récente de notre pays.
C’est à tous ces bénévoles, que le Premier Ministre du Canada se joint à nous à travers son message (Image ci-dessous) pour leur exprimer notre reconnaissance et notre gratitude.
Quant au Maghreb en général et au Maroc en particulier (auquel MCE a consacré 17% de ses publications) : Silence RADIO. Rien d’étonnant : Personne n’est prophète… etc, etc !
Merci à vous toutes et tous pour démontrer à toutes et à tous que nous sommes citoyens canadiens à part entière.
Par Abderrahman El Fouladi pour Maghreb Canada Express , Vol. XXI, N°06 et 07, Pages 4 et 5, Édition de Juin_Juillet 2023.