Le 27e Salon international du livre d’Alger (Sila) qui se tiendra du 6 au 16 novembre 2024, sous le thème « Lire pour triompher » sera fermé à la prestigieuse maison d’édition française Gallimard, éditeur de Kamel Daoud, l’éditeur de l’écrivain-journaliste franco-algérien Kamel Daoud récipiendaire du Prix Goncourt 2024 pour son roman Houris qui explore les thèmes de la religion, de la liberté et de l’identité ainsi que les violences de la « décennie noire », les années du terrorisme 1992-2002.
Gallimard dit avoir reçu un courrier qui n’apporte aucune explication quant aux raisons ou motifs qui justifient cette décision. Selon des sources à Alger citées par un magazine français les organisateurs du Sila ont demandé à Gallimard de ne pas tenir de stand au salon, mais ont précisé que les autres maisons d’édition du groupe Madrigall n’étaient pas concernées par cette interdiction. « Mais Gallimard a refusé, aucune maison de son groupe [Pléiade, Folio, J’ai lu, Casterman, Flammarion, POL, Minuit, Christian Bourgeois, etc.] ne participera au SILA », a-t-on ajouté. « Par solidarité, le groupe Madrigall ne se rendra donc pas au SILA », a déclaré au magazine d’actualité littéraire et éditoriale ActuaLitté, Antoine Gallimard, président de cette holding, quatrième groupe éditorial français. Lundi 4 novembre, alors que ce roman obtenait le prix Goncourt, Antoine Gallimard est revenu sur l’empêchement de la venue de la maison d’édition au salon du livre d’Alger et sur l’interdiction de vente du livre en Algérie. « C’est malheureux. Et c’est malheureux aussi, d’ailleurs, puisque l’Algérie nous a empêchés d’être présents à la Foire du livre. Mais je pense qu’en Algérie ils sont assez forts pour trouver un moyen de le lire autrement », a-t-il déploré dans une déclaration à l’AFP.
Interrogé sur le dialogue qu’il aurait pu avoir avec les organisateurs du Salon du livre, il a indiqué qu’il n’y en avait eu « aucun ». « On a essayé mais ils ne répondaient pas, il n’y avait personne. La loi du silence », a-t-il expliqué, selon la même source. L’Agence France presse a rapporté par ailleurs que des jurés du prix Goncourt ont démenti que cette interdiction du roman ait orienté leur choix. « Il ne faudrait absolument pas voir ce livre-là, ni même sa consécration par l’Académie Goncourt, comme un geste politique vindicatif à l’encontre d’un pays ami », a souligné le président du jury, Philippe Claudel. « Et je pense que la littérature, justement, peut permettre de réinstaller, de recoudre des liens que certains ont trop tendance à vouloir déchirer, ou peut-être intérêt à voir déchirés », a-t-il ajouté.
« Je ne crois pas du tout qu’il y ait une recherche d’affrontement » a commenté, de son côté, Christine Angot, autre jurée interrogée par l’Agence France presse. « On a une voix. C’est la seule voix qui dit ce qui est à dire. Donc on ne peut pas ne pas en tenir compte, le reconnaître, s’incliner. On ne peut pas faire comme si on n’entendait pas ce qu’il dit », a-t-elle estimé au sujet de Kamel Daoud.
Distinction méritée pour un roman interdit en Algérie
Grand favori, Kamel Daoud a reçu le prix Goncourt lundi 4 novembre pour « Houris » publié en aout dernier (Gallimard) , un roman interdit en Algérie (il n’a pu être exporté dans le pays en encore moins traduit en arabe) parce qu’il évoque le tabou des années du terrorisme en Algérie. Présentation : « Je suis la véritable trace, le plus solide des indices attestant de tout ce que nous avons vécu en dix ans en Algérie. Je cache l’histoire d’une guerre entière, inscrite sur ma peau depuis que je suis enfant. ».
Aube est une jeune Algérienne qui doit se souvenir de la guerre d’indépendance, qu’elle n’a pas vécue, et oublier la guerre civile des années 1990, qu’elle a elle-même traversée. Sa tragédie est marquée sur son corps : une cicatrice au cou et des cordes vocales détruites. Muette, elle rêve de retrouver sa voix.
Son histoire, elle ne peut la raconter qu’à la fille qu’elle porte dans son ventre. Mais a-t-elle le droit de garder cette enfant ? Peut-on donner la vie quand on vous l’a presque arrachée ? Dans un pays qui a voté des lois pour punir quiconque évoque la guerre civile, Aube décide de se rendre dans son village natal, où tout a débuté, et où les morts lui répondront peut-être…
Parallèlement à sa brillante carrière de journaliste, Kamel Daoud a publié, Meursault, contre-enquête (roman, 2013), est une réécriture du célèbre L’Étranger d’Albert Camus, vue du point de vue de l’Arabe anonyme tué par Meursault. Ce roman lui vaut le Prix Goncourt du premier roman en 2015, ainsi que le Prix François-Mauriac et le Prix des cinq continents de la Francophonie. Il est également connu pour ses prises de position courageuses sur des sujets sensibles, tels que la religion et la politique en Algérie.
La France est « un pays d’accueil pour les écrivains, pour les écritures et tout cela qui vient d’ailleurs », a salué l’auteur Kamel Daoud en réaction au Prix Goncourt 2024 qu’il a remporté haut la main. « Je sais qu’on aime faire du French bashing mais pour moi, ce pays-là, c’est un pays d’accueil pour les écrivains, pour les écritures et tout cela qui vient d’ailleurs »,rapporte l’AFP. « On a toujours besoin de trois choses pour écrire : une table, une chaise et un pays. J’ai les trois », a souligné l’écrivain-journaliste contraint à l’exil en France.
Kamel Daoud a par ailleurs assuré que le principal personnage féminin de Houris, prénommée Aube, était une incarnation de « toutes les femmes, y compris la femme qui s’est déshabillée hier dans une université en Iran » et qui a été, depuis, arrêtée par les autorités.
Par Ahcene Tahraoui