Par Abderrafie Hamdi (Maroc)
Ce dimanche, 24 novembre 2024, une activité inhabituelle animait l’aéroport Mohammed V à Casablanca. Deux camions-citernes de la protection civile étaient en position d’attente, non pas pour faire face à un accident imprévu – que Dieu nous en préserve – mais pour une célébration mondiale connue sous le nom de water salute. Ce rituel consiste à projeter de l’eau en arcs au-dessus d’un avion pour marquer une occasion spéciale. Cette fois-ci, il s’agissait d’accueillir le dernier-né de la flotte de Royal Air Maroc (RAM) : un Boeing 787-9 Dreamliner.
Avec cette acquisition, ce géant des airs devient le dixième appareil de ce type à intégrer la flotte de RAM. Fidèle à son surnom, l’« avion de rêve » représente une prouesse technologique remarquable. Mis en service pour la première fois en 2011, il a été inauguré par la compagnie japonaise ANA. Capable d’accueillir environ 330 passagers, il atteint une vitesse de croisière de 1028 km/h et peut voler plus de 14 heures sans escale. Son prix ? Un montant faramineux d’environ 250 millions de dollars (près de 2,5 milliards de dirhams). Toutefois, il convient de préciser que cette somme n’a pas été financée par les bénéfices propres de la compagnie, mais grâce à un soutien direct de l’État, puisé dans les fonds publics.
Quand cet « avion de rêve » a atterri, un mélange d’émotions m’a envahi. Comme l’a si bien exprimé la journaliste libanaise Christiane Bisri : « J’ai souri une fois, mais j’ai pleuré deux fois. »
En tant que Marocain, j’ai ressenti une grande fierté en voyant la compagnie aérienne de mon pays évoluer et renforcer sa flotte avec un appareil d’une telle envergure. Cela m’a ramené à sa création en 1957, peu après l’indépendance, à l’instar d’autres institutions souveraines comme les Forces armées royales, le ministère des Affaires étrangères ou la Direction générale de la sûreté nationale, fondée en 1956. Le premier président-directeur général de RAM, feu Driss Charadi, avait été chargé de mission auprès du prince héritier Moulay Hassan (le futur Hassan II, que Dieu ait son âme).
Pour moi, cette fondation traduisait une vision anticipative de l’importance du transport aérien et de ses valeurs d’ouverture, à une époque où le monde était marqué par le repli sur soi, conséquence de la guerre froide.
Mais mon premier moment de tristesse est lié à la dégradation continue de la qualité des services de notre compagnie nationale. Je n’évoquerai pas ici les humiliations subies par nos concitoyens résidant à l’étranger, notamment en Italie, lors de l’opération « Marhaba » cet été, ni les cas de passagers ayant payé leur billet à l’heure pour découvrir qu’aucun siège ne leur avait été attribué. Quant aux retards au décollage et à l’arrivée, ils sont devenus si fréquents qu’ils passent désormais sans excuses. Et si vous souhaitez déposer une réclamation, armez-vous de patience. Ceux qui ont tenté de médiatiser leur mésaventure se sont heurtés à des portes closes, car la menace du retrait publicitaire plane en permanence. Même les réseaux sociaux ne sont pas à l’abri des interférences d’une main invisible.
Tout cela survient alors que l’État soutient généreusement la compagnie. En 2023, un accord sans précédent a été signé entre RAM et le gouvernement marocain, engageant ce dernier à fournir les ressources nécessaires pour l’achat de 150 nouveaux appareils. L’objectif est de porter la flotte de RAM à 200 avions d’ici quinze ans, contre 50 actuellement. Aucun PDG précédent, pas même des figures influentes comme Driss Benhima, Mohamed Hassad ou Mohamed Brada, n’avait rêvé d’un tel appui.
Mon deuxième moment de tristesse s’est manifesté en pensant aux défis stratégiques imminents, tels que la Coupe d’Afrique 2025, la Coupe du monde 2030 et l’ambition d’attirer 20 millions de touristes. Avec quelle gouvernance et quelle stratégie de communication la direction actuelle de RAM se prépare-t-elle à ces échéances ? Il semble évident que la satisfaction des clients n’est pas une priorité tant que le robinet des subventions publiques reste ouvert.
Pour conclure, alors que le « Dreamliner » atterrissait à Casablanca dimanche, accueilli en grande pompe par des personnalités de marque, le vol en provenance de Bruxelles, AT 831, accusait à son arrivée à Rabat un retard de plus de quatre heures. Malheureusement pour moi, un expert international en droits de l’enfant, avec qui j’avais rendez-vous, se trouvait à bord.
La question reste donc posée : Royal Air Maroc a-t-elle besoin d’un nouvel appareil Dreamliner ou d’une gouvernance responsable ?